Le développement de l’industrie du divertissement en Afrique : entretien avec Thomas GIL


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Thomas Gil

À la croisée du sport, de la culture et de l’économie, l’Afrique voit émerger une nouvelle dynamique : celle d’une industrie du divertissement en pleine structuration. Pour en parler, nous donnons la parole à Thomas Gil, président-fondateur du réseau Arts & Sports Events (ASE). Expert international en organisation de grands événements sportifs, titulaire d’un DESS en management du sport, Thomas Gil cumule plus de 25 ans d’expérience sur le continent.

Ancien Conseiller du président du COCAN Mali 2002, Directeur de la planification du CNJF Niger 2005, puis fonctionnaire international à l’OIF, il fût Responsable du marketing, de la communication et des partenaires puis Directeur par intérim du Comité international des Jeux de la Francophonie avant de lancer sa propre structure.

Aujourd’hui, il accompagne gouvernements, agences, dirigeants et entreprises dans le conseil et la mise en œuvre d’événements sportifs, culturels et corporatifs. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, son attachement profond à l’Afrique, et sa vision du sport africain.

Afrik : Vous travaillez depuis plus de 25 ans au service du sport africain. Quel a été le déclencheur de cet engagement, et comment votre parcours vous a-t-il conduit à fonder Arts & Sports Events (ASE) ?

Mon engagement pour le sport découle d’une passion profonde née très tôt dans ma jeunesse, lorsque je pratiquais le tennis à un niveau compétitif. Je me demandais qui pouvait organiser les championnats et Jeux olympiques, qui était derrière la caméra et qui mettait en musique tout cela et je m’étais alors dit que j’aurais aimé être celui qui produit et supervise ces événements.

Par ailleurs, je suis très attaché à l’Afrique, pour y être né, à Dakar, ma ville natale, et y avoir vécu la majeure partie de ma vie. C’est aussi sur ce continent que j’ai construit l’essentiel de mon parcours professionnel. Naturellement, j’ai voulu contribuer à sa dynamique de développement, et c’est ce qui m’a poussé à fonder Arts & Sports Events (ASE), une structure spécialisée dans le conseil en marketing sportif et en communication événementielle, avec un ancrage fort en Afrique et dans l’océan Indien, des régions que je connais donc particulièrement bien et où je dispose d’un vaste réseau professionnel. Étant attaché à ce continent je souhaite également que mes activités laissent un héritage, une empreinte positive, un impact durable sur la ville, le pays hôte organisateur ou l’ayant droit.

J’ai également souhaité associer les arts et les sports, car je suis convaincu que ces deux mondes, malgré leurs différences, sont indissociables et se rejoignent sur un bon nombre d’aspects, notamment au niveau organisationnel. Comme à l’époque des Jeux Olympiques antiques, leur combinaison incarne un idéal de dépassement de soi, d’excellence, mais aussi de créativité. Le sport apporte la rigueur, la norme, les arts apportent la créativité et l’expression…les deux apportent de la performance, de l’émotion et du spectacle. Ensemble, ils nourrissent une vision plus complète du divertissement et de l’impact social positif et durable que peuvent avoir les grands événements culturels et sportifs sur la jeunesse de tout un pays. C’est pour cela que l’on parle aujourd’hui de l’industrie du divertissement car cela englobe ces deux dimensions artistiques et sportives.

Que pensez-vous du sport africain en tant qu’industrie ? Et en quoi diffère-t-elle du modèle occidental ?

Le sport africain est devenu, comme au niveau des autres continents, une réelle industrie, mais il est encore en développement. Il dispose intrinsèquement d’une force culturelle et sociale considérable, et a un immense potentiel économique. Toutefois, en tant qu’industrie, il reste encore sous-exploité. Contrairement aux modèles occidentaux, où le sport est fortement professionnalisé, structuré et financé notamment par le privé, le modèle africain reste souvent soutenu et parfois dépendants des financements publics et pas suffisamment structuré et professionnalisé et soutenu par le secteur privé. Ceci étant dit, la passion populaire, le talent, l’énergie des jeunes et la diversité des disciplines pratiquées en Afrique représentent des atouts majeurs.

Le football, bien entendu, reste le sport roi, mais dans certains pays, la lutte africaine n’a cessé de se structurer et de se professionnaliser. Enfin, le Esport, reconnu désormais comme un sport à part entière par le mouvement olympique, qu’il soit sous la forme gaming loisirs ou sous la forme de compétition, ne cesse de se développer auprès des jeunes, notamment en Afrique, et compte désormais parmi les principaux sports et de loisirs de divertissements. De façon générale, avec les bons investissements, une structuration cohérente et une vision stratégique à long terme, le sport africain, et notamment l’événementiel sportif, peut, et va j’en suis convaincu, devenir un véritable moteur de développement économique et social pour les pays du continent. Beaucoup de pays notamment africains ont dors et déjà compris la force du sport en tant que soft power.

Quels sont aujourd’hui, selon vous, les leviers prioritaires pour structurer durablement cette industrie sur le continent ?

Pour structurer durablement l’industrie du sport en Afrique, plusieurs leviers peuvent être activés de manière simultanée. D’abord, la formation est essentielle, tant pour les décideurs, les encadrants que pour les gestionnaires et les techniciens. Il faut continuer de créer des filières d’enseignement spécialisées, adaptées aux réalités locales. Ensuite, l’investissement dans les infrastructures sportives et plus largement ludo-sportives est indispensable pour offrir des espaces attractifs, adaptés, modernes et accessibles à tous. Il est aussi important de professionnaliser les fédérations sportives, en renforçant leur capacité à attirer des partenariats, notamment à travers les outils du marketing sportif destiné à monétiser le contenu sportif. Enfin, le rôle de l’État et des collectivités est déterminant pour impulser des politiques publiques ambitieuses et créer un cadre favorable à l’éclosion d’un écosystème sportif solide et d’ouvrir les financements de la pratique physique et ludo-sportive au secteur privé.

Le marketing sportif est au cœur de vos préoccupations. Pourquoi ce domaine reste-t-il si peu exploité en Afrique, et comment peut-il devenir un catalyseur de croissance ?

Le marketing sportif qui consiste à “commercialiser” la pratique sportive ou un événement sportif avec les mêmes outils que le marketing et en prenant le sport comme un “produit-service” ou un “programme”, reste encore méconnu ou sous-exploité en Afrique. Cela s’explique notamment par un manque de formation spécialisée dans ce secteur et par une méconnaissance des outils permettant de valoriser les compétitions, les sportifs et les événements. Pourtant, bien utilisé, le marketing sportif est un formidable catalyseur de croissance, de richesse sociale et économique pour l’ensemble des acteurs publics, privés et le grand public en reste le principal bénéficiaire (jeunes et moins jeunes). Il attire les annonceurs-sponsors (terrain et tv), fidélise les fans, génère des revenus additionnels et renforce la notoriété des marques comme des institutions sportives.

Pour changer la donne, il faut former une nouvelle génération de professionnels du management et du marketing sportif, c’est-à-dire le management et le marketing appliqué au secteur sportif, esportif, artistique culturel et du divertissement au sens large, encourager les clubs, les associations sportives et culturelles et les fédérations à s’approprier ces outils, et sensibiliser les entreprises africaines à l’intérêt de s’associer à des projets sportifs porteurs de sens. D’ailleurs, c’est pour cela que l’on peut désormais même parler de marketing sportif et culturel vu que les outils marketing peuvent s’appliquer autant au secteur sportif qu’au secteur culturel et artistique et ceci est valable bien entendu également en Afrique.

Avez-vous des exemples récents de projets, pays ou fédérations qui montrent la voie en matière de structuration ou de professionnalisation ?

Alors en effet plusieurs initiatives récentes à travers le continent montrent la voie et témoignent d’une réelle montée en puissance du sport africain. Le Maroc s’est affirmé comme un acteur incontournable sur la scène sportive mondiale, notamment grâce à sa remarquable performance lors de la Coupe du Monde de la FIFA, ses infrastructures de niveau international et son engagement sur une politique durable dans le domaine du football à travers l’organisation de différentes Coupe d’Afrique des Nations, celle des jeunes, puis la CAN féminine et enfin en vue la coupe du monde de football 2030 que le Maroc organisera avec l’Espagne et le Portugal. Le Maroc est un modèle de réussite en misant sur le football, mais aussi sur le Esport plus récemment et sur l’événementiel en général artistique et corporatif.

Autre exemple, la Côte d’Ivoire a également marqué les esprits avec l’organisation des Jeux de la Francophonie à Abidjan en 2017, suivie d’une CAN exceptionnelle en 2024, parfaitement orchestrée et saluée à l’unanimité. Il leur reste désormais à poursuivre cette politique sportive pour un héritage durable post CAN à travers l’exploitation de leurs infrastructures sportives et l’accueil d’autres grands événements sportifs et culturels internationaux.

Le Sénégal s’est illustré par la structuration de ses clubs, de ses formations et l’accueil prochaine des Jeux Olympiques de la Jeunesse Dakar en 2026 qui sera une véritable fête de la jeunesse. Il devra poursuivre cette lancée tout comme la Côte d’Ivoire et en inscrivant cet événement dans une politique de long terme pour bénéficier d’un impact durable pour le pays.

Le Bénin, lui aussi, investit dans la formation des jeunes, la modernisation des stades, et le développement d’un sport accessible, inclusif et ancré dans les réalités locales dans le cadre d’une politique sportive ambitieuse.

Le Rwanda a su utiliser le sport et également la culture comme levier stratégique de développement. Il va accueillir prochainement les championnats du monde de cyclisme à Kigali en septembre 2025.

L’Ile Maurice a su également trouver une dynamique à travers l’organisation des Jeux des Iles de l’océan Indien et il reviendra bientôt aux Comores d’accueillir les prochains Jeux.

Ces pays, parmi tant d’autres, démontrent que la professionnalisation et l’innovation sont possibles quand il y a une volonté politique forte, une vision et un engagement à long terme.

Quel regard portez-vous sur le rôle des États, des collectivités locales et des sponsors privés dans cette dynamique ? Peut-on parler de co-construction d’un nouveau modèle ?

Le sport est bien connu pour son utilité sociale, ses valeurs positives et ses bienfaits sur la santé d’une population, il est donc naturel que les pouvoirs publics le soutiennent. L’événementiel sportif est également un formidable levier de développement si celui-ci est bien planifié et organisé pour permettre un impact socio-culturel économique politique médiatique touristique et donc un héritage durable sur une ville ou un pays hôte.  La co-construction est non seulement souhaitable, mais elle est désormais devenue indispensable. Les États ont un rôle central à jouer pour créer un cadre réglementaire, impulser des politiques publiques cohérentes et investir dans les infrastructures. Les collectivités locales, elles, sont proches des réalités de terrain et peuvent être des relais efficaces pour la mise en œuvre de projets sportifs inclusifs.

Quant aux sponsors privés, leur implication apporte les ressources financières, mais aussi l’expertise marketing, la visibilité et l’innovation. Il faut favoriser un dialogue ouvert entre ces acteurs pour bâtir ensemble un modèle durable, inclusif et adapté aux spécificités de chaque pays africain. L’État seul ne peut et ne doit porter seul les politiques sportives, artistiques et plus largement celles du loisir et du divertissement. Le secteur privé doit également s’impliquer pour participer au développement de ces pratiques et bénéficier en retour de ses bienfaits socioéconomique et médiatique. Le sport reste pour l’ensemble des acteurs, publiques privés, un formidable levier de développement à fort impact et valeur ajoutée.

Quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse africaine qui rêve d’une carrière dans le sport – qu’elle soit sur le terrain, dans les médias, ou dans la gestion d’événements ?

À cette jeunesse africaine passionnée et ambitieuse, je veux dire que tout est possible. Le sport offre une multitude de carrières, bien au-delà du terrain. Il y a une vraie demande en Afrique pour des professionnels bien formés dans les domaines de la gestion, de la communication, du journalisme sportif, de la production et de la réalisation tv et digitale, de l’analyse de performance ou encore de l’événementiel. Pour les sportifs de haut niveau, et également les artistes d’ailleurs, il est essentiel de se former, de développer des compétences variées, un réseau et de s’investir pleinement dans sa pratique de prédilection, mais également de s’ouvrir aux autres pratiques qui gravitent autours du secteur sportif, artistique et du divertissement au sens large. Le sport est un secteur exigeant, mais profondément gratifiant surtout pour des passionnés comme nous. L’Afrique en mouvement, dynamique, fier, ambitieux, à fort potentiel artistique et sportive, performante, a besoin de sa jeunesse pour écrire les nouvelles pages de son histoire sportive, avec audace, créativité et rigueur. Il revient ainsi aux autorités publiques de porter l’impulsion de cette jeunesse et lui offrir les moyens de s’épanouir et il revient aux jeunes d’être ambitieux et rigoureux pour se révéler et offrir à leurs pays les retombées qu’ils méritent. La richesse d’un pays passe par sa pratique culturelle, sportive et ses loisirs et cela est valable pour nos pays du continent africain.

Un mot de fin, Thomas ?

J’espère à travers Arts & Sorts Events (ASE) pouvoir développer un Réseau d’expertise pluridisciplinaires et sectoriels et apporter mon humble contribution, à travers mon expérience, au développement du continent africain qui m’est cher.

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