Le Canard Libéré : nouveau poil à gratter de la presse marocaine


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Le premier numéro du Canard Libéré , un hebdomadaire satirique qui veut manier dérision, sérieux et respect, a été publié le 3 février dernier au Maroc. Il naît dans un contexte marqué par la condamnation de l’hebdomadaire Nichane et le procès, en France, du journal Charlie Hebdo. Driss Messaoudi, journaliste pour le nouveau poil à gratter, explique à Afrik.com pourquoi Le Canard Libéré a sa place dans le paysage médiatique marocain.

« Un journal sérieux et crédible », dédié à la satire et offrant une large place à la caricature. C’est ce que le nouvel hebdomadaire marocain Le Canard Libéré, créé par Abdallah Chankou, ancien journaliste à Maroc Hebdo et Aujourd’hui le Maroc, se promet d’être. Le premier numéro est sorti le 3 février dernier. Quelques jours après que le directeur de l’hebdomadaire arabophone Nichane a été condamné à de la prison avec sursis pour un article sur la façon dont les Marocains « rient de la religion, du sexe et de la politique », et alors que les caricatures de Mahomet font de nouveau parler d’elles en France par le biais d’un [procès->] intenté au satirique Charlie Hebdo. Naître dans ce contexte aurait pu constituer le premier coup d’éclat du Canard Libéré. Drissi Messaoudi, journaliste pour le jeune hebdomadaire, ne le pense pas. Passé par la RTM (Radio-Télévision marocaine), Aujourd’hui le Maroc et L’Economiste, il explique à Afrik pourquoi il estime qu’un satirique a sa place au Maroc.

Afrik : La presse satirique manque-t-elle au Maroc ?

Driss Messaoudi : Il y a eu des satiriques au Maroc et il y en aura encore. Beaucoup de journaux utilisent le ressort des caricatures, des journaux arabophones essentiellement. On peut donc dire qu’il y a une presse satirique au Maroc. Même si tous ces journaux ne se sont pas créés sur le modèle du Canard Enchaîné, une institution en matière de presse satirique.

Afrik : Comment Le Canard Libéré se différenciera-t-il de ces journaux ?

Driss Messaoudi : Nous ne sommes pas venus avec une logique qui consiste à se demander : « qu’avons-nous de plus ?» M. Chankou a conçu un produit de journalisme pur et dur, pas complètement calqué sur le Canard enchaîné. Il y a apporté des éléments, en tenant compte d’un marché et d’un contexte où la presse satirique s’est faite remarquer, ces derniers temps, au Maroc comme à l’international.

Afrik : Un communiqué indique que la ligne éditoriale du journal « est basée sur le respect de la religion, de la patrie et des symboles de la patrie ». Que faut-il comprendre ?

Driss Messaoudi : Nous ne disons rien de ce que nous n’avons pas envie de dire. Si M. Chankou a pris soin de préciser ces choses, c’est parce qu’il ressentait le besoin de les revendiquer. Il y a ce terrorisme monstrueux, intellectuel, qui amène à ne plus oser dire qu’il faut respecter la religion, aimer son pays et son roi, donc on le dit. Nous sommes musulmans, nous sommes croyants, nous aimons notre pays et notre roi, nous respectons nos institutions. Notre ligne éditoriale n’est pas imposée.

Afrik : Y a-t-il des lignes rouges au Maroc ?

Driss Messaoudi : La mythologie des « lignes rouges » est niaiseuse. A partir du moment où vous êtes dans un système, un élément de ce système, vous n’allez pas vous en prendre à ce qui tient votre édifice. Ce que vous appelez des lignes rouges, c’est ce qui me détermine dans ce système.

Afrik : Ce que j’appelle des lignes rouges, ce sont des domaines d’activité sensibles, difficiles voire impossibles à évoquer…

Driss Messaoudi : Il ne faut pas le voir comme une contrainte extérieure, sinon, c’est fini. Car il faut agir, pas réagir. Il y a des zones sensibles. Par responsabilité, car nous sommes là pour délivrer un discours publique, nous sommes tenus à certaines réserves, à une certaine mesure, à de la pondération. Je n’appelle pas ça comme cela, des « lignes rouges ». Nos exigences et notre échelle de valeurs nous suffisent largement.

Afrik : Qu’avez-vous pensé du texte mis en cause dans le journal Nichane ?

Driss Messaoudi : Il y a dans le numéro 1 du Canard Libéré une petite caricature qui traite de cette question. Elle montre un petit bonhomme en forme de journal Nichane qui forme un Z en courant, avec un regard malicieux… En bandeau est écrit : « Nichane devrait changer de nom ».

Afrik : Que pensez-vous du procès qui se tient actuellement en France contre le satirique Charlie Hebdo ?

Driss Messaoudi : Je déplore que ce soit des musulmans dits « modérés » qui font un procès à Charlie Hebdo. Je déplore que la religion soit prise en otage par des personnes qui ne sont pas forcément éclairées. Ceci est mon avis personnel et n’engage pas le Canard Libéré.

Afrik : Le Canard Libéré a-t-il des liens, formels ou amicaux, avec le Canard Enchaîné?

Driss Messaoudi : Non, mais nous aimerions beaucoup.

Afrik : Pourquoi ne pas avoir recherché un nouveau nom, afin de créer votre image et vous démarquer, sur ce point, du Canard Enchaîné ?

Driss Messaoudi : Dans le numéro 1 il y a un hommage au Canard Enchaîné avec les réponses à vos questions. Pourquoi le Canard…? C’est simplement un hommage.

Afrik : Savez-vous qu’il existe un Canard Libéré depuis 2001 au Niger ?

Driss Messaoudi : Non. Mais nous lui souhaitons une longue vie. Je crois que le nom n’est pas le plus important. Le problème est : « quel produit allons nous mettre sur le marché et pour quelle fonction dans la société ? »

Afrik : Reporters sans frontières (RSF) reproche à M. Chankou, le fondateur du Canard Libéré, d’avoir diffamé un journaliste espagnol, en 2002, en l’accusant dans un article d’avoir été un espion au service du Royaume espagnol. Il a d’abord été condamné avant que la décision ne soit cassée en appel…

Driss Messaoudi : Si la justice lui a donné raison, il n’y a plus rien à en dire.

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