L’Afrique du Sud lance la discrimination positive pour les Blancs


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La Vice-présidente sud-africaine a annoncé, dans un entretien accordé au journal Sunday Times, qu’elle souhaitait que les Blancs bénéficient de la discrimination positive. Le gouvernement semble ainsi avouer à demi-mot les dysfonctionnements de sa politique, destinée à gommer les inégalités engendrées par le régime ségrégationniste de l’Apartheid.

L’Afrique du Sud a besoin de toutes ses forces vives pour développer son économie. « C’est ce que nous encourageons : d’abord chercher les Sud-Africains qui ont les qualifications appropriées », a déclaré la Vice-présidente du pays lors d’un entretien accordé au journal Sunday Times. Phumzile Mlambo-Ngcuka a souligné que la recherche de talents concernait aussi les Blancs « qui ont pris des indemnités de licenciement pour permettre la transformation » du paysage salarial. Une transformation qui vise à gommer les inégalités héritées de l’Apartheid, qui a empêché le développement économique des communautés noires, métisses et indiennes et enrichi les Blancs.

Bilan mitigé de la discrimination positive

Pour atteindre cet objectif, le gouvernement a passé les lois sur l’emploi équitable et la politique de transformation raciale de l’économie (Black economic empowerment). « L’Apartheid a laissé des inégalités que nous voulions éliminer. Nous voulons une représentation équitable de toutes les catégories. Il n’est pas question de léser des Blancs pour aider des Noirs. Si une société n’emploie que des Noirs, elle doit employer des Blancs. Notre loi est très claire à ce sujet », assure-t-on à la Commission pour l’emploi équitable. Les entreprises doivent embaucher un certain quota de personnes de couleur ou/et handicapées. « La loi est bien appliquée. Les employeurs nous donnent chaque année au mois d’octobre un rapport faisant le bilan des transformations. Pour le moment, nous n’avons pas mis en place un système de récompense des entreprises qui s’en sortent le mieux, mais nous y pensons », poursuit-on à la Commission.

Mais d’aucuns estiment que si la Vice-présidente a tenu à préciser que les Blancs étaient les bienvenus, c’est parce que les mesures ont souvent été mal comprises ou mal appliquées. Des dysfonctionnements qui seraient dus à une communication peu efficace et qui ont « gâché » la politique de discrimination positive. Pour Sarah Motha, cette mesure est loin de remplir ses objectifs. « J’ai le sentiment qu’elle met en lumière les différences entre les Blancs et les Noirs. Tout dépend de qui bénéficie de cette politique. En général, c’est toujours une élite qui peut se permettre de d’accéder aux écoles privées qui en profite. Quant aux compagnies, certaines changent juste le nom qu’elles avaient avant l’Apartheid en un nom zulu, par exemple, mais conservent les mêmes employés », confie l’activiste qui défend les droits de l’Homme. « Certaines sociétés n’appliquent pas les quotas », ajoute Paul Thulare, analyste politique.

Certains Blancs ont le sentiment d’une discrimination à l’envers

Ces dispositions ont notamment débouché sur le licenciement, en principe assorti d’une indemnité, de Blancs pour privilégier des Noirs. Les embauches semblent par ailleurs se raréfier. Selon un rapport de l’organisme national de statistiques, Statistics South Africa, 273 hommes et 444 femmes noirs ont été embauché en 2002-2003, dans toutes catégories professionnelles confondues, contre respectivement 37 et 48 chez les Blancs. Le rapport 2004-2005, du même organisme, indique néanmoins une forte baisse des emplois pourvus avec 111 hommes et 94 femmes noirs embauchés, lors de la période couverte par l’étude, contre 8 hommes et 10 femmes blancs. « Selon le Freedom Front, un parti de la droite radicale, quelque 180 000 familles blanches gagnent aujourd’hui moins de 9 000 rands par an, soit environ 1 000 euros, et 10% de la population blanche vivraient en dessous du seuil de pauvreté, contre 0% il y a dix ans », rapporte un article du journal Le Monde, daté du 30 mai dernier. Le quotidien français ajoute toutefois qu’en dix ans, la plupart des Blancs, qui représentent 13% de la population, ne se sont toutefois pas appauvris ».

« La discrimination positive a beaucoup affecté les Sud-Africains blancs, souligne Paul Thulare. Certains sont partis à cause de cela, mais aussi à cause d’autres politiques du gouvernement ou parce que leurs salaires n’étaient pas bons. Des Noirs sont aussi partis pour ces raisons. » Certains Blancs estiment qu’ils sont victimes d’une « discrimination à l’envers ». Ils se sentent parfois rejetés et abandonnés dans leur pays et ont même décidé de le quitter en emportant dans leurs bagages leurs qualifications. Or la Nation arc-en-ciel est en proie à une pénurie sévère de travailleurs dans les secteurs de la santé, de l’ingénierie ou encore de l’éducation. Une crise qui ralentit son développement et l’a poussé à se lancer dans la recherche de cerveaux. Le pays travaille d’ailleurs avec l’Inde pour que des personnels qualifiés viennent temporairement transmettre leurs connaissances aux Sud-Africains et soulager le secteur public.

« La révolution du retour au foyer »

Car l’un des problèmes du pays est le manque de savoir faire. Un manque qui s’expliquerait notamment par le cursus scolaire. « Il y a très peu de gens qui sont qualifiés dans les domaines scientifiques, surtout parmi les Noirs. C’est pourquoi le gouvernement essaye d’injecter plus d’argent dans l’enseignement des sciences à l’école afin que plus de personnes puissent exercer dans ces domaines », commente Paul Thulare. Cela prendra du temps. Alors en attendant, le gouvernement fait la danse du paon auprès de tous ses expatriés. En privilégiant peut-être les Blancs, qui seraient en général plus qualifiés que les autres, même si les autorités se défendent de faire une quelconque discrimination.

« Je crois que le gouvernement a réalisé qu’il ne pouvait pas s’en sortir sans leurs qualifications. Ce programme est une bonne idée pour remplir les places laissées par les personnels qualifiés. Mais la question est : est-ce que le gouvernement aura les moyens de sa politique ? Les coûts pourraient être plus importants comparés à ceux nécessaires pour développer des qualifications localement. Il faudra notamment proposer des salaires compétitifs à ceux qui sont partis à l’étranger », poursuit Paul Thulare. Des Sud-Africains, blancs ou non, reviennent déjà au pays. « Les chiffres ne sont pas encore disponibles, mais la tendance générale est que de plus en plus de Sud-Africains qualifiés reviennent. Un phénomène qui a été surnommé ‘La révolution du retour au foyer’ », confie-t-on à la cellule de Communication et d’Information du gouvernement. Une organisation porte d’ailleurs ce nom et a pour objectif d’« encourager et aider les Sud-Africains qui vivent à l’étranger à retourner chez eux », explique le site de cette organisation à but non lucratif . Car certains quittent leur pays pour deux ou trois ans, avec l’espoir d’y revenir et de participer à son essor.

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