L’affaire Georges Frêche, révélatrice d’un malaise identitaire français


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Le Parti socialiste a annoncé mardi qu’il envisagerait des sanctions contre Georges Frêche, le président de la Région Languedoc Roussillon, si ses propos sur la couleur des joueurs de l’équipe de France de football étaient confirmés. Le même jour, la Justice française a ouvert une enquête sur cette affaire qui révèle une réalité inquiétante. Celle d’une France angoissée qui n’accepte pas de regarder son nouveau visage.

Il y a trop de noirs dans l’équipe de France de football ! C’est ce qu’aurait laissé entendre Georges Frêche, le président de la région Languedoc Roussillon, lors du conseil de Montpellier Agglomération, le 14 novembre dernier. Selon Le Midi Libre daté du 16 novembre, Georges Frêche aurait déclaré à propos des Bleus: « Dans cette équipe, il y a neuf blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. Mais, là, s’il y en a autant, c’est parce que les blancs sont nuls. J’ai honte pour ce pays. Bientôt, il y aura onze blacks ».

Le Parti socialiste et la Justice envisagent des sanctions

Une semaine plus tard, le mardi 21 novembre, le ministre de la Justice, Pascal Clément, annonce que le procureur général près la cour d’appel de Montpellier a ouvert une enquête pour déterminer si les propos de Georges Frêche relèvent du Code pénal. Le même jour, le bureau national du Parti socialiste décide d’aller au-delà des condamnations de principe et envisage, enfin, de prendre des sanctions contre son éminent adhérent. Julien Dray, le porte-parole du PS, a précisé que ces sanctions pourront aller jusqu’à l’exclusion car les déclarations de Georges Frêche, si elles sont avérées, « ne sont pas compatibles avec l’appartenance au Parti Socialiste. La date de réunion de la commission des conflits du PS n’a pas encore été déterminée, mais il semble que le Président de la région Languedoc Roussillon ait de fortes chances d’éviter une sanction exemplaire. En effet, à peine évoquée la possibilité d’une mesure de rétorsion à l’endroit de l’élu, le porte-parole du PS a précisé qu’« il semblerait que les choses ne soient pas aussi simples que celles qui aient été rapportées initialement » car le verbatim de ses déclarations n’existe pas. Pourtant, après la publication de l’article du Midi Libre, Georges Frêche n’avait pas démenti. Se présentant comme un grand pourfendeur du racisme, il s’était contenté de dire que ses paroles avaient été mal interprétées : « j’ai voulu exprimer mon désir de voir une équipe qui soit plus représentative de la diversité de la France ».

George Frêche n’en est pas à son premier dérapage. Le 11 février 2006, lors d’une cérémonie commémorative, il qualifie les harkis de « sous hommes », ce qui lui vaut, quelques jours plus tard, d’être temporairement suspendu des instances dirigeantes du PS. Quelques mois plus tôt, en plein conseil régional, alors que le débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2004 relatif au rôle « positif de la présence française outre-mer » fait rage, il traite les socialistes parisiens de « gugusses » et entonne le Chant des Africains repris en cœur par les élus du Front National. En 2000, lors de l’inauguration du tramway de Montpellier, il s’exclame à propos d’une femme voilée : « Ici, c’est le tunnel le plus long du monde : vous entrez en France et vous ressortez à Ouarzazate. » Deux ans plus tard, après avoir perdu son mandat de député, il explique sa défaite en plein conseil municipal en déclarant que : « La droite a été soutenue par les islamistes et les femmes voilées d’Al-Qaïda. » Et voilà qu’après avoir attaqué une première fois les joueurs de l’équipe de France de football en les qualifiant de « crétins qui ne savent pas chanter la Marseillaise », il s’en prend de nouveau à eux et, cette fois-ci, les juge trop noirs.

Le signe d’un malaise identitaire français

Que ce genre de propos circule dans les rues, aux comptoirs des cafés et dans les bars PMU de France est dérangeant voire choquant. Mais qu’un élu de la République, ancien député de l’Hérault, ancien maire de Montpellier, actuel président socialiste de la Région Languedoc-Roussillon et professeur d’histoire du droit de surcroît, se permette de proférer de telles outrances est intolérable ! Il participe de la banalisation du racisme et des thèses de l’extrême droite alors qu’il devrait le combattre. Il valide aussi l’idée, regrettable, que, de droite comme de gauche, les Français et leurs élus sont racistes.

L’affaire Georges Frêche est révélatrice d’un mal qui ronge la société française. Une crise identitaire qui s’exprime par le fait que pour nombre de citoyens de l’Hexagone, la France ne se ressemble plus. Ils gardent à l’esprit l’image d’une France qui n’existe plus. Le cliché du « vrai » Français, du Français « authentique » a la vie dure. Une représentation dont l’extrême caricature serait celle du blanc avec son béret, sa baguette, sa bouteille de rouge, debout au pied de la Tour Eiffel. Pourtant, un simple regard alentour pourrait convaincre les nostalgiques de tous bords que cette image a vécu. Cette évolution génère quelquefois une angoisse chez les Français dits « de souche », et Georges Frêche, en l’attisant, fait le jeu des extrémistes.

Il n’est pas étonnant que face à de telles agressions, des Français originaires d’Afrique, du Maghreb, des Antilles, décident de se rassembler pour se défendre. Ainsi, le 7 novembre dernier, au Tribunal de Grande Instance de Paris, débutait le procès du philosophe Alain Finkielkraut qui avait déclaré qu’il trouvait l’équipe nationale de football « black black black ». Un procès qui faisait suite à une plainte déposée par deux associations, le Collectif des fils et filles d’Africains déportés (COFFAD) et le Mouvement pour une nouvelle humanité (MNH).

Un « baromètre de la discrimination » édité mardi par l’agence Adia, révélait l’ampleur des pratiques de discrimination à l’embauche en France. Si les employeurs acceptaient de confier des postes à responsabilité dans tous les secteurs d’activité a des candidats issus des anciennes colonies françaises, peut-être les Noirs seraient-ils moins tentés de se diriger vers le sport ou la musique (des domaines où, depuis bien longtemps, l’opportunité leur est donnée de faire la preuve de leur excellence). Peut-être qu’alors, ils seraient moins nombreux dans l’Equipe de France de football…

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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