La première banque islamique d’Europe ouvre en Angleterre


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C’est une première en Europe. Alors que 80 pays connaissent déjà la finance islamique, la Grande-Bretagne saute le pas et vient d’autoriser l’ouverture, en septembre prochain, de l’Islamic Bank of Britain. Un établissement bancaire qui respecte la loi islamique, en excluant notamment l’intérêt usuraire, interdit par la charia. De quoi réjouir les quelque 2,5 millions de musulmans du pays.

La Grande-Bretagne compte 2,5 millions de musulmans. Certains d’entre eux règlent leurs transactions en liquide, d’autres refusent de passer par la case banque pour acheter une maison, d’autres encore, ouvrent un compte dans un institut bancaire la mort dans l’âme… Car pour les musulmans pratiquants, le dilemme est réel : s’adapter aux pratiques bancaires internationales, c’est trahir les préceptes du Coran. En effet, la charia, la loi islamique, interdit strictement la perception de taux d’intérêt, l’argent devant être généré par le travail et non par l’argent lui-même…

Pour soulager les consciences et les porte-feuilles bien remplis, l’Angleterre vient de sauter le pas : la Financial Services Authority a agréé, le 10 août dernier, un nouvel établissement bancaire, unique en Europe, l’Islamic Bank of Britain (IBB). La première banque islamique de dépôt britannique, adoubée par Lord George, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui a déclaré qu’elle « offrirait un vrai confort aux membres musulmans » de la société anglaise. Le siège d’IBB se trouve à Birmingham (qui compte une très forte communauté musulmane) mais sa première agence doit ouvrir, mi-septembre, à Edgware Road, au cœur du quartier arabe et aisé de Londres. L’IBB compte ouvrir cinq agences d’ici la fin 2004 (Birmingham et Leicester à la fin du mois d’octobre, puis devraient suivre Manchester, Leeds, Bradford et Glasgow).

Partager les risques, les pertes et les profits

Son capital de départ s’élève à 14 millions de livres (20,8 millions d’euros). Il a été souscrit par des investisseurs du Proche-Orient (Abu Dhabi, Qatar, Barheïn et Arabie Saoudite) et par un groupe de millionnaires anglais. A sa tête : Abdul Rahman Abdul Malik, ancien directeur de la Banque islamique d’Abu Dhabi. Son directeur du management : Michael Hanlon, ancien directeur regional de la banque de détail au sein de Barclays. L’IBB offre une palette de services « normaux » comme les comptes, les cartes de crédit, la téléphonie et la poste bancaire (les deux dès novembre), des crédits immobiliers mis en place avant la fin de l’année ainsi que des crédits pour les biens de consommation courante, et la banque par Internet en 2005.

Alors d’où vient la différence d’avec les autres banques ? D’abord, cette palette des services exclut tout investissement dans des entreprises liées « à l’alcool, au tabac et à la pornographie ». Ensuite, IBB respecte le précepte coranique qui interdit l’intérêt usuraire. Comment la banque dégage-t-elle des profits ? En partageant pertes et profits et en répartissant le risque entre elle et le client. La finance islamique compte en effet plusieurs solutions, basées sur la dette. L’ijara est un contrat de location : la banque achète un article pour le client et lui loue pendant une certaine période. L’ijara-wa-Iqtina est un arrangement du même type sauf que le client peut acheter l’article à la fin du contrat. Par la mudaraba, le client confie ses fonds à la banque qui les fait fructifier. Le profit dégagé est ensuite partagé entre les deux. La murabaha est une forme de crédit : la banque achète un article pour le client, qui n’a pas à souscrire à un emprunt avec intérêts, et lui revend ensuite en différé. Enfin, la Musharaka est une sorte de joint-venture, un contrat entre plusieurs associés qui contribuent ensemble au capital et au management.

Bienvenue aux non-musulmans

Ces solutions visent bien sûr à attirer les musulmans du pays (41% de Pakistanais, 13% de Bengladis et 11% d’Indiens), ainsi que les centaines de milliers de visiteurs annuels en provenance du Moyen-Orient (600 000 rien que pour les mois d’été). Visés également : les investisseurs institutionnels, les fonds de pension et caisses de retraite du Proche-Orient ou d’Asie, soucieux de diversifier leurs avoirs. Mais l’IBB espère aussi séduire les non-musulmans. Car, même si un conseil de trois docteurs de la foi est chargé de surveiller la conformité des services financiers offerts avec la charia, ceux-ci sont bien sûr ouverts à tous. Ainsi, en Malaisie, les produits bancaires islamiques, qui existent depuis plusieurs années, sont plus utilisés par les Chinois que par la population musulmane. L’IBB refuse les investissements dans des entreprises comme les brasseries, les casinos, les banques, l’armement ou encore les sociétés endettées. Une ligne de conduite rare… qui pourraient également attirer les partisans de placements éthiques.

Restent certaines interrogations. Le journal Le Monde relève le « manque de transparence du capital des institutions islamiques », pointe la « culture financière fondée sur la parole donnée » et critique la « structure complexe de ces banques » qui « se prête mal à un audit en profondeur ». « Les commissions copieuses sur les placements islamiques recourant à des techniques financières complexes et coûteuses pèsent sur la plus-value. La charia interdit à ces banques de garantir un rendement fixe ou de vendre un actif qu’elles ne possèdent pas, réduisant d’autant la marge de manœuvre des gestionnaires », analyse un journaliste du quotidien français.

A l’assaut de l’Europe

Pour autant, l’essor de la finance islamique est un phénomène auquel ne peut pas échapper l’Europe. L’Institute of Islamic Banking, centre de recherche londonien, estime que le taux de croissance de cette activité bancaire se situe entre 10 et 15%. Aujourd’hui, la finance islamique opère dans près de 80 pays et près de 200 institutions financières gèrent entre 200 et 500 milliards de dollars. En une trentaine d’années, le système, basé essentiellement en Egypte et dans le Golfe, est devenu une industrie, prospérant surtout à Bahreïn et dans les Emirats arabes unis.

Sur le site de l’IBB on peut lire que le projet est dans les cartons depuis 2002. Date à laquelle la Grande-Bretagne a commencé à se pencher sur le marché potentiel représenté par sa communauté musulmane (plus de 725 000 personnes uniquement pour la ville de Londres), appelant à la création de prêts hypothécaires islamiques. Chose faite, depuis février dernier, par la banque HSBC… Selon Michael Hanlon, IBB viserait plus largement le marché européen au cours des trois prochaines années. « Les autres pays européens ne possèdent pas de banque dont le fonctionnement est basée sur la charia. L’IBB est unique », a-t-il expliqué. L’Europe compterait quelque 15 millions de musulmans. Un beau marché.

Par Edelweiss Vieira

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