La pompe de Monsieur Camara


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Mohamed Lamine Camara est sans doute l’inventeur africain le plus titré au monde. Sa singulière pompe hydraulique a déjà reçu pas moins de quatre distinctions internationales. Une invention guinéenne pensée, conçue et développée pour devenir un véritable moteur de développement. Interview.

Fini la corvée de la pompe en Guinée. Du moins quand la nouvelle pompe hydraulique villageoise de Mohamed Lamine Camara pourra être largement diffusée dans le pays. Maître de conférence à l’Université Gamal Abdel Nasser à Conakry, l’enseignant en technologie de la construction des machines développe son invention depuis près de neuf ans. Médaille d’or au 26ème salon internationale des inventions de Genève, médaille d’or de l’Organisation mondiale de propriété intellectuelle la même année, médaille d’or au salon Eureka de Bruxelles en 2000 et enfin Grand prix du 3ème Salon africain pour l’invention et l’innovation de Libreville en 2002, sa pompe affiche un palmarès impressionnant. L’aventure ne fait pourtant que commencer…

Afrik.com : Quelles sont les innovations que vous apportez avec votre pompe ?

Mohamed Lamine Camara : Il y a le fait que, quelque soit la profondeur, l’effort pour l’exhaure (sortir l’eau du puit, ndlr) est faible. J’ai joué sur ce qu’on appelle l’avantage mécanique pour alléger considérablement la charge de travail. Il faut appliquer 2 ou 3 kg de pression sur le bras de levier des pompes hydrauliques classiques pour soulever 5 kg. Alors que pour ma pompe, une pression d’un kilo suffit pour soulever 10 kg. Aucune pompe n’est, à ma connaissance, capable de cette prouesse.

Afrik.com : Une économie d’énergie en quelque sorte ?

Mohamed Lamine Camara : Oui mais pas seulement. Car la pompe que j’ai mise au point bénéficie d’un triple système de filtrage de l’eau. Les pompes classiques n’ont généralement qu’une seule crépine (tamis, ndlr) pour cela. D’autre part, il est très facile d’adapter un filtre bactériologique sur ma pompe. Un filtre très simple, constitué de sable, de charbon et de gravier, que tout le monde peut fabriquer dans les villages.

Afrik.com : Votre pompe recèle-t-elle d’autres particularités ?

Mohamed Lamine Camara : Une dernière caractéristique : elle est munie d’un système d’expulsion des particules qui ont réussi à s’accrocher sur les parois du système de pompage vers le fond du puits.

Afrik.com : Quelle est la genèse de votre innovation ?

Mohamed Lamine Camara : Je suis ingénieur en construction mécanique et technologue en construction mécanique. Je suis titulaire d’une chaire à l’université et comme je suis entouré par des jeunes, il me faut montrer l’exemple. Il ne faut pas dire :  » Faites ce que je te dis  » mais  » Faites ce que je fais « . C’est ce qui a en partie motivé mes recherches sur la pompe. Mais L’idée de base était d’alléger les corvées d’exhaure des femmes et de faciliter l’accès des jeunes filles à l’école. La pompe hydraulique participe également à sédentariser la population rurale en lui fournissant de l’eau. Et une eau de qualité. Elle permet aussi de sécuriser les points d’eau à moindre coût, la pompe est scellée au sol et empêche animaux ou enfants de tomber dans le puit.

Afrik.com : Est-ce que l’on peut considérer que votre innovation est un outil de développement ?

Mohamed Lamine Camara : D’une manière générale, la pompe permet de valoriser la production endogène pour réduire la pauvreté. Nous recevons de l’Occident de très bonnes technologies mais elles ne sont pas adaptées à notre mentalité et nous les utilisons mal. Ma pompe s’intègre parfaitement aux usages. Elle suscite même la création d’emplois, pour la fabrication locale, nous avons besoin de forgerons, de cordonniers, de mécaniciens et de personnes pour gérer administrativement la pompe.

Afrik.com : Vous avez reçu votre premier prix en 1998. Où en êtes-vous du développement industriel de votre innovation ?

Mohamed Lamine Camara : L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) m’a accordé la possibilité de fabriquer 12 prototypes grâce à son fonds d’aide à la promotion. Une enveloppe de 8,5 millions de F CFA. Mais je dois moi même apporter 20% de cette somme pour bénéficier de cette aide. Je suis en train de me battre pour y arriver.

Afrik : Quand avez-vous déposé votre brevet ?

Mohamed Lamine Camara : J’ai déposé l’idée en 1994 mais je n’ai eu le brevet qu’en 1996. Un brevet de 20 ans. Je paie actuellement près de 500 000 F CFA pour le conserver. Ces sommes augmentent tous les cinq ans et peuvent atteindre le million de F CFA. L’OAPI estime en effet que l’inventeur aura eu le temps de tirer profit de sa trouvaille en la développant.

Afrik : Vous êtes actuellement enseignant. Comptez-vous changer de métier pour devenir entrepreneur ?

Mohamed Lamine Camara : Le projet intéresse beaucoup de personnes et si les choses évoluent bien, je serais peut être à terme obligé de renoncer à mes activités d’enseignant. J’ai d’ailleurs suivi des cours à l’institut de la Francophonie pour l’entreprenariat afin d’acquérir des notions de gestion et de comptabilité. Mais pour l’heure, ce sont mes étudiants qui prennent les choses en main. Ils vont former une coopérative pour assurer le suivi du développement de la pompe.

lamcamara2002@yahoo.fr

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