La mode africaine existe


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Loin de l’actuelle vogue ethnique en Europe et ailleurs, le créateur nigérien Alphadi milite pour une véritable authenticité de la mode africaine. A travers sa Caravane et le bisannuel Fima, il oeuvre pour une dynamique et une reconnaissance internationales des couturiers du continent. Interview.

Avec une boutique à Paris et une à Washington, le couturier nigérien Alphadi aurait pu se contenter de faire cavalier seul dans la mode africaine. Au contaire, président de la Fédération africaine de créateurs de mode (Fac), président du Festival international de la mode africaine (Fima) et initiateur d’une caravane itinérante qui sillonne l’Afrique et les Antilles pour promouvoir les talents du continent, il s’investit largement dans la reconnaissance d’une mode originale dont il est l’un des premiers artisans. Une mode abandonnée par les Africains et hypocritement boudée par les professionnels européens.

Afrik : Avec le Fima, la Caravane Alphadi et la Fac, vous êtes très impliqué dans la défense de la mode africaine. Quel est le sens de votre engagement ?

Alphadi : La mode africaine ou métisse n’est pas reconnue au niveau international. Je suis là pour essayer de montrer à tous et surtout à nos frères que la mode noire existe, qu’elle est là, qu’elle est valable, qu’elle est capable.

Afrik : C’est l’unique but de toutes vos initiatives ?

Alphadi : Non. Pour la Caravane, il s’agit également de montrer, notamment aux gouvernements, que la mode peut être un important facteur de développement. La mode est créatrice d’emplois , que ce soit dans le textile, la bijouterie ou la maroquinerie. Dans chaque pays que la Caravane traverse, nous essayons aussi de lancer un ou deux créateurs nationaux et des mannequins locaux.

Afrik : Quel regard portez-vous sur la mode africaine ?

Alphadi : La mode africaine est méconnue, même si depuis 15 ans elle commence à être appréciée. Le problème est que les Africains eux-mêmes n’achètent pas nos oeuvres. Ils n’achètent pas de produits africains. Les Africains, notamment ceux de la diaspora, sont pourtant de gros consommateurs de mode mais ils refusent de porter des créateurs inconnus. Ils choisissent leur créateur en fonction de son image, comme les grands créateurs européens. Ils n’encouragent pas la mode africaine alors que c’est celle qui leur correspondrait le mieux, dans l’inspiration et la sensibilité. Au lieu de ça, beaucoup préfèrent singer le Blanc. Personne n’oblige nos ministres à porter du Saint Laurent ou du Pierre Cardin, et pourtant…

Afrik : On reproche peut-être à la mode africaine sont manque de sobriété ?

Alphadi : Beaucoup de personnes jugent les couleurs africaines trop criardes. Mais il faut savoir que les couleurs de nos pagnes actuels ont été imposées par les colons européens, ce ne sont pas les couleurs de l’Afrique. D’ailleurs, les meilleurs batiks viennent de Hollande ou de Manchester. C’est une forme de colonisation culturelle. Nous avons été leurrés, ce qui limite l’Afrique sur les marchés européens. L’Afrique, c’est le bogolan avec deux couleurs maximum, parmi l’ocre, l’indigo le noir ou le blanc par exemple.

Afrik : Que pensez-vous de la vague ethnique dans la mode actuelle ?

Alphadi : Aujourd’hui, l’Afrique devient à la mode. Alors, on rajoute quelques broderies sur un vêtement et on dit que c’est l’Afrique. Ce n’est pas honorable pour nous. L’Afrique n’est pas une mode, c’est notre réalité de tous les jours. Une réalité définitive et éternelle.

Afrik : Est ce qu’il existe des connexions entre les créateurs africains et occidentaux ?

Alphadi : Pas vraiment. Beaucoup de créateurs étrangers essaient de copier ce que nous faisons mais de loin. Ils ne viennent pas personnellement, ils envoient des émissaires pour observer notre travail et prendre des photos. Les Européens en particulier, notamment les Français, viennent piller nos idées et notre inspiration. C’est pour cela que le Fima est un outil de développement considérable. Les créateurs français font le déplacement, ils commencent à venir eux même pour voir ce que nous présentons lors du Fima. Ce sont de nouveaux rapports et l’on peut traiter d’homme à homme. Une bonne chose pour l’avenir de la mode afro, non seulement africaine mais également celle de la diaspora.

Afrik : Etes-vous fier et conscient d’être un porte-drapeau de la mode africaine ?

Alphadi : Je ne me rends pas vraiment compte de qui je suis. Je viens d’une famille relativement aisée et j’ai fait de hautes études, je n’ai jamais compté sur la mode pour vivre. La consécration c’est super mais je n’ai pas la grosse tête par rapport à ce que je fais. Et pour moi, le combat pour la reconnaissance des créateurs africains ne fait que commencer.

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