La mauvaise conduite des auto-écoles chérifiennes


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Moniteur d’auto-école, voilà un métier à lourde responsabilité. Une personne mal formée devient au volant un danger public. Des candidats au permis de conduire se plaignent souvent du manque de sérieux dans la profession. Qu’en est-il au juste et comment travaillent les auto-écoles? Les moniteurs, en crise de motivation, témoignent de leur difficile condition de travail.

De notre partenaire L’Economiste

C’est connu, les candidats au permis de conduire ont affaire à deux moniteurs, l’un pour le code de la route et l’autre pour la conduite. Si le travail du premier est relativement aisé (sauf avec les analphabètes qui nécessitent de déployer des trésors de patience, il n’en est pas de même pour le second. « Sur le terrain, le moniteur de conduite doit en principe passer avec chaque candidat une demi-heure par séance. Dans la réalité, il ne lui consacre que 15 à 20 minutes », affirme Abdeslam, 33 ans, moniteur de son état(2). Il est difficile de faire mieux lorsque l’on sait qu’il est souvent obligé de prendre 25 à 30 personnes dans la même journée. « Les clients en pâtissent. Ils n’apprennent pas vraiment à conduire mais juste ce qu’il faut pour passer l’examen ». Donc, stationnement, demi-tour, entrée de garage et marche arrière principalement.

Raison invoquée, des patrons demanderaient aux moniteurs d’accélérer au maximum les choses, pour se débarrasser au plus vite du client, qui s’acquitte d’un forfait variant entre 1.500 et 2.500 DH, selon les auto-écoles. « Nous souhaiterions faire correctement notre travail mais les patrons nous demandent d’expédier chaque client en dix jours! », se défend Abderrahim, 27 ans. Des propriétaires d’auto-écoles voudraient aussi faire le maximum d’économies sur le diesel. D’après les moniteurs que nous avons interrogés, les cours sont en général dispensés sans rendez-vous. C’est la règle du « premier arrivé, premier servi ». Même lorsque des candidats se présentent à des heures tardives ou au moment du déjeuner, les moniteurs sont obligés d’assurer le cours. La règle d’or des patrons est de ne jamais renvoyer quelqu’un bredouille.

Matériel vétuste

Les voitures sont souvent en piteux état. Certaines ressemblent plus à des carcasses qu’à des outils de travail. Rares sont les moniteurs (les élèves aussi!) qui ont la chance de disposer d’une voiture neuve. « En France, les patrons d’auto-école renouvellent leur parc tous les quatre ou cinq ans. Nous devrions en faire autant », fait remarquer Abdeslam. « Lorsque j’ai vu l’état de la voiture qui allait être mon outil de travail, j’ai quitté l’auto-école qui m’avait embauché le matin même. Elle était bonne pour la ferraille », se souvient Saïd, 36 ans.

Les moniteurs se plaignent aussi de ne pas disposer d’espaces de travail. Généralement, ils squattent une rue proche de leur auto-école et la moins fréquentée possible. Le temps consacré à la conduite proprement dite est vraiment infime. Ce qui explique que beaucoup ne soient pas prêts à affronter les embouteillages même après obtention du permis. Les moniteurs sont obligés de faire très attention pour éviter que les élèves ne fassent d’accident. Ba Lhaj (c’est comme ça qu’on l’appelle dans son entourage), la soixantaine, se souviendra toujours de la fois où un enfant est passé sous sa voiture. « Je l’ai sorti de sous les roues. Heureusement qu’il était sain et sauf. S’il lui était arrivé quelque chose, c’est moi qui en aurais été responsable ». C’est pour toutes ces raisons et d’autres encore que les moniteurs que nous avons approchés n’aiment pas vraiment leur travail. Beaucoup le font uniquement par nécessité. Bonjour donc la motivation!

Moniteurs analphabètes

Pour être moniteur d’auto-école, il faut avoir un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) délivré par le ministère des Transports. Conditions à remplir : posséder les permis de plusieurs catégories (motos tourisme, bus, camions et remorques), un diplôme en mécanique et enfin réussir une série d’examens (code, conduite et mécanique). Aucun niveau d’études particulier n’est requis, ce qui fait que certains moniteurs d’auto-école savent à peine lire et écrire. Auparavant, il n’était même pas nécessaire d’avoir une formation en mécanique. Les premiers moniteurs n’ont donc pas ce diplôme. Mais tous devraient théoriquement avoir la carte de moniteur, véritable autorisation d’exercer. Malheureusement, tous ne l’ont pas. « Certains ont à peine le permis de conduire tourisme. Et parce qu’ils n’ont pas le droit d’exercer, ils sont sous-payés, ce qui nuit aux vrais moniteurs », indique Saïd.

D’après les témoignages recueillis, cette situation est due au fait qu’il y a très peu de contrôle. A commencer par le ministère du Transport. « Et même lorsqu’il y en a un, il suffit parfois d’un pot-de-vin pour que tout rentre dans l’ordre », regrette Abderrahim. Les faux moniteurs concurrencent donc les vrais et certains patrons en font un argument pour amener les seconds à accepter leurs conditions.
Des salaires de misère. Les moniteurs, payés à la semaine, gagnent entre 250 et 600 DH. La majorité perçoit entre 1.000 et 1.500 DH par mois, même après de nombreuses années d’ancienneté. Ceux qui atteignent ou dépassent les 2.000 DH sont très rares. Bien sûr, tous se disent sous-payés et certains semblent vraiment désespérés.

Pas d’horizon

Abderrahim, marié et père de deux enfants, dit avoir à sa charge son père au chômage, sa mère malade, sa femme et ses deux enfants en bas âge. Sans compter qu’il paye un loyer de 1.200 DH, pour un salaire de 1.300 DH. « Je suis dans l’insécurité la plus complète. Du jour au lendemain, pour un oui ou un non, je peux être mis à la porte. Je n’ai aucun droit », se plaint-il, de la détresse au fond des yeux. Comment fait-il alors pour survivre? Abdeslam, lui, est un peu mieux loti que lui. Il gagne 2.000 DH et habite toujours chez ses parents mais n’a ni les moyens de se marier ni de prendre un logement. Son salaire, il le dépense en transport et nourriture.

Tous les moniteurs interrogés voudraient à l’évidence améliorer leurs conditions de vie. Certains ont des rêves, d’autres vivent au jour le jour et ont pratiquement perdu tout espoir. Saïda, 21 ans, monitrice de code, s’est inscrite à un cours du soir de comptabilité. Avec son niveau bac, elle espère trouver un meilleur emploi. Pour arrondir ses fins de mois, Abdeslam, lui, s’improvise installateur de parabole le dimanche. « C’est quelque chose que j’ai appris sur le tas car depuis mon plus jeune âge, je m’intéresse à l’électronique. De plus, c’est un travail qui me plaît ». Abderrahim, lui, ne rêve que d’une chose: fuir en Europe. Ce qui le retient, ce sont ses parents et sa petite famille.

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