La face cachée de la dépigmentation


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La dépigmentation de la peau provoque des troubles parfois irréversibles de l’épiderme mais aussi, selon certaines observations obstétriques, de problèmes gynécologiques et de grossesse. Les corticoïdes entrant dans la composition de certaines crèmes éclaircissantes seraient en cause. La présidente de l’association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle donne des précisions sur ces effets secondaires présumés et fait le point sur la dépigmentation au Sénégal.

On savait que la dépigmentation de la peau provoquait plusieurs problèmes dermatologiques, tels que de l’acné, des dyschromies et des brûlures. Le 17 mai dernier, lors d’une journée de sensibilisation à l’Institut d’hygiène sociale de Dakar, les Sénégalais ont appris que les crèmes éclaircissantes à base de corticoïdes seraient responsables de problèmes gynécologiques. Certaines observations obstétriques évoquent un cycle menstruel irrégulier, des naissances prématurées ou encore un risque de stérilité. Le Docteur Fatimata Ly est présidente de l’association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle, organisatrice de la journée de sensibilisation du 17 mai. La dermatologue revient sur les effets secondaires présumés et fait un bilan de la dépigmentation au Sénégal.

Afrik.com : Des études d’ampleur prouvent-elles les risques gynécologiques associés à l’utilisation de crèmes éclaircissantes ?

Fatimata Ly : Il faut être prudent dans l’interprétation de certaines données médicales, même si on connaît les interférences que les corticoïdes causent dans le cycle hormonal. Les données obstétriques qui font état de problèmes concernent des patientes qui utilisent des crèmes à base de corticoïdes depuis de nombreuses années. Mais pour être sûrs que ce sont bien les corticoïdes qui sont responsables des problèmes, il faut faire une étude comparée avec des femmes qui utilisent des crèmes contenant des corticoïdes et d’autres qui ne le font pas. Pour l’instant, une thèse de médecine portant sur ce sujet était effectuée en 2004. Il s’agissait d’une étude portant sur un échantillon de 99 femmes qui a démontré que des femmes qui s’éclaircissaient avec des crèmes à base de corticoïdes accouchaient de bébés avec un plus petit poids de naissance et avaient un placenta plus petit. L’usage abusif de corticoïdes causerait aussi d’autres maladies, telles que des maladies ophtalmologiques. Nous avons observé que les femmes qui se dépigmentent avec des corticoïdes présentent plus de cataractes et à un âge plus jeune. Il faudrait une étude multicentrique pour confirmer ou infirmer toutes ces observations.

Afrik.com : Quel était l’objectif de la journée de sensibilisation organisée le 17 mai dernier ?

Fatimata Ly : Nous menons régulièrement de telles actions de sensibilisation. Le 17 mai, nous avions organisé une conférence avec plusieurs thèmes : les aspects médicaux, sociaux, et religieux de la dépigmentation artificielle. Il s’agissait de sensibiliser la population sur les méfaits et dangers de la dépigmentation et de condamner le rôle des médias audio-visuels faisant la publicité des produits dépigmentants.

Afrik.com : Des hommes sont-ils venus à cette journée ?

Fatimata Ly : Oui. Il devait y avoir environ 70% de femmes et 30% d’hommes. La consommation de produits dépigmentants augmente chez les hommes dans un certain milieu artistique et chez les homosexuels. Souvent, les hommes prennent les produits de leurs épouses et connaissent donc les mêmes problèmes de peaux que les femmes. Dans une moindre mesure cependant car ils utilisent en général moins ces produits.

Afrik.com : Quels étaient les motifs de consultation des personnes venues à la journée de consultation médicale gratuite organisée en avril 2007?

Fatimata Ly : Nous avons eu 200 cas de mycoses, 63 cas d’eczéma et 51 cas d’acné. Nous avons aussi eu 10 cas de diabète et 9 cas d’hypertension, des conséquences qui peuvent découler de l’usage de corticoïdes.

Afrik.com : Où en est la législation sénégalaise sur la dépigmentation ?

Fatimata Ly : Selon un décret de 1979, la dépigmentation est interdite chez les élèves des cours élémentaire, primaire et secondaire. Mais depuis, rien n’est fait pour interdire les produits à base d’hydroquinone, une substance interdite dans l’Union Européenne et en voie de l’être aux Etats-Unis (en raison du fait qu’elle provoquerait le cancer, ndlr). Nous nous préparons à lancer une pétition pour que les produits à base de corticoïdes soient retirés de la vente. Nous comptons faire une grande offensive auprès du ministre de la Santé et de l’Assemblée Nationale.

Afrik.com : Quels sont les objectifs de votre association ?

Fatimata Ly : Nous ne stigmatisons personne, mais nous voulons informer de la nocivité des produits contenant de l’hydroquinone et des corticosteroïdes. A long terme, on espère que la dépigmentation sera un vieux souvenir. La bataille risque d’être rude car il y a des ministres et des députés qui se dépigmentent et parce que c’est un phénomène qui touche toutes les couches de la population – des médecins aux analphabètes. Il faut par ailleurs sensibiliser les industries qui produisent les crèmes et les médias qui ont en font la publicité.

Afrik.com : Votre association se dit « internationale » mais son action est concentrée sur le Sénégal…

Fatimata Ly : Notre action est très ciblée sur Dakar pour le moment, mais nous avons l’ambition d’agir sur le plan international. Nous envisageons pour commencer de nous allier avec les associations du Mali et du Burkina Faso qui traitent de la dépigmentation afin de créer une journée sous-régionale de lutte contre la dépigmentation artificielle.

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