« La diversité, c’est mon pays ! »


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On connaît son talent, sa liberté de pensée et de parole. Nommé en juin 2005 ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, Azouz Begag a du pain sur la planche. « Je suis là pour que les choses bougent », affirme-t-il.

De notre partenaire Respect Magazine

Alors ça va vraiment bouger?

Azouz Begag :
Je suis là pour ça. Je n’ai pas d’intérêt stratégique ou personnel à rester dans l’inaction pour pouvoir être reconduit dans deux ans. Je connais le peuple français. Depuis des siècles, il est réticent aux changements susceptibles de transformer son mode de pensée, son modèle de référence. Quand on lui dit de regarder un peu ailleurs pour voir comment s’en inspirer, il n’aime pas ça : « Ici, c’est le berceau des droits de l’Homme, de l’abolition des privilèges, personne ne peut nous donner de leçon en la matière ». Et bien moi, je pense qu’il y a des petits hic dans notre philosophie, je voudrais bien qu’on les intègre et que l’on tienne compte de cette France qui est en train de bouillonner, de l’autre côté du périphérique. C’est drôle : cette France des quartiers est devenue, elle aussi, très française. Elle dit : « Non, nous, on se replie, on ne veut pas y aller, on préfère se protéger entre semblables ». Plutôt que d’avancer vers la liberté… Mais vous n’allez pas rester toute votre vie dans le ciment de la communauté, à l’ombre des immeubles… Il faut bouger, tu ne vas pas rester toute ta vie à te plaindre, tu as vingt ans, le monde est ouvert. A ceux qui pensent que nous sommes dans une sale situation financière, psychologique, que nous perdons beaucoup, même les Jeux Olympiques de 2012, je réponds en reprenant le slogan de Jamel Debbouze aux jeunes : « Vous n’avez aucune chance, saisissez-la ». Cette dynamique, ça me plaît. Si l’on n’a pas grand-chose à perdre, alors tout l’horizon des possibles est ouvert. Et dans la diversité ! Car la France multicolore, si on l’avait nourrie dans le creuset français depuis vingt-cinq ans, on aurait peut-être gagné les J.O. de 2012. Moi, avec ma petite politique, j’aimerais bien contribuer à nous faire gagner ceux de 2050. Ça va, il me reste quarante-cinq ans !

Dans les quartiers, s’il y a un point commun entre tous ceux qui ont réussi à construire leur vie, c’est bien d’avoir connu une rencontre décisive. Faciliter la rencontre, est-ce un de vos buts ?

Azouz Begag :
Absolument, et c’est aussi l’objet d’un de mes livres, Les dérouilleurs. Je suis allé voir, il y a trois ans, plus d’une centaine d’individus issus des quartiers, qui avaient réussi socialement, avec une question en tête : faut-il en sortir pour s’en sortir, faut-il s’extraire du quartier, du groupe originel, pour trouver ses marques dans la société ? Et bien oui, il faut traverser le périphérique, aller chez les indigènes là-bas, les descendants de Vercingétorix… C’est risqué, parce qu’on s’en prend plein la gueule, surtout lorsqu’on est basané… Parce que, là-bas, on devra mettre en action notre talent, notre puissance de conviction individuelle, notre personnalité, notre charme, pour convaincre l’autre de nous faire une place. Mais si ça marche, le jeune aura été à l’initiative de sa vie. Et oui, rien que ça… Il faut pousser les jeunes : « ça va être dur, plus dur que de rester avec tes potes dans la cité, mais si tu es porteur d’une conviction personnelle, et que tu la partages avec les autres, ça va être trop fort pour toi ».

Pousser les jeunes à traverser le périf’, c’est bien, mais ne faut-il pas que tous ceux qui sont prisonniers de leurs représentations le traversent aussi, notamment les journalistes ? Média, ça vient de médiateur…

Azouz Begag :
C’est un élément majeur. Aujourd’hui, la construction de l’image de l’autre se fait essentiellement par la télévision. Si le petit écran donne une image caricaturale, restrictive, spectaculaire, le peuple la reçoit telle quelle. Je trouve scandaleux de voir la pauvreté de représentation de la France sur nos écrans par rapport à la richesse multicolore et à la diversité de la rue. C’est une forme d’humiliation. Et qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas de journalistes compétents noirs, arabes, asiatiques, des journalistes qui soient visibles comme il y en a tant à RFO. J’espère très fortement qu’aujourd’hui, avec le nouveau président de France Télévisions, des changements structurels majeurs auront lieu dans les mois à venir. L’une de mes premières actions en arrivant ici fut d’aller voir le président du CSA. La diversité, je la veux pour tous les compartiments de la société française. Je veux dire aux PME, les petites et moyennes entreprises qui représentent 80% de l’emploi : « On a besoin de vous pour cette action républicaine, pour ne pas laisser sur le carreau les jeunes qui sont loin des cercles relationnels. Recrutez dans la diversité ». J’aimerais les voir assumer cela plutôt que de contourner le problème en recourant au CV anonyme. Je veux transmettre aux jeunes, de l’autre côté, ce message : « Sortez de chez vous, n’ayez plus peur, traversez », et dire aux autres : « Attention ! Vous n’avez pas intérêt à ce que ces gamins en prennent plein la gueule, du fait d’une stigmatisation de leur faciès, de leur adresse, ou de leurs tenues vestimentaires. Garantissez-leur, comme dans l’article 1 de la Constitution de 1958, que la France est une République laïque, démocratique, sociale, et que la République assure, A-S-S-U-R-E l’égalité devant la loi, sans distinction de race, origine ou religion ». Ce n’est pas moi qui dis le mot « race » ou même « origine », c’est la République française, article 1 de la Constitution de 1958. Ils vont arriver, les candidats à l’égalité des chances ! Attention, assurez-leur la fin des discriminations, des « plafonds de verre », dans les loisirs, le logement, l’accès à un stage, à un premier emploi, dans la promotion de la carrière. Parce que si vous les trompez et qu’ils refont leur chemin en sens inverse, et bien ça va provoquer du dégât. Le message qu’ils délivreront alors de l’autre côté, il sera loin du message fraternel de 1789…

Si les portes restent fermées, les conséquences seront terribles…

Azouz Begag :
Non seulement elles le seront, mais elles le sont déjà. Depuis vingt-cinq ans, les portes de l’égalité des chances sont bouclées, les communautarismes ont pu germer dans les quartiers. C’est la haine de ne pas pouvoir accéder au même possible, ni plus, ni moins, qui a rendu fou, qui rend fou, et donne naissance à des Khaled Kelkal. Aujourd’hui, j’accède au gouvernement. Je me demande pourquoi la gauche, qui nous avait tant promis, n’a rien fait de tel, ou de plus, dans une période où cela était possible : Mitterrand est arrivé au pouvoir dans un contexte de forte revendication des enfants d’immigrés. Pour le verrouillage des portes, la gauche a été au premier rang. Si je garde ma liberté de parole, mon sens de la responsabilité civique, c’est à moi de dire : « Il faut casser les portes », et si elles ne veulent pas s’ouvrir, il faut y aller au forceps. Partout où la diversité n’existe pas, ça doit être comme une invasion de criquets, dans les concours de la fonction publique, dans la police nationale… Partout, de manière à ce qu’on ne puisse plus revenir en arrière. Le maître mot de ma mission, c’est la sensibilisation. Je l’ai signifié dès la composition de mon cabinet : « Je veux un Noir, je veux un Antillais, un type de Madagascar, je veux des femmes, je veux la diversité ». J’ai composé mon cabinet en fonction de cette diversité, il ressemble à la France d’aujourd’hui.

Vous n’avez pas peur des mots?

Azouz Begag :
[Rires] Vous voyez, moi je dis « noir », parce que noir c’est noir. Cette couleur a un sens dans la société d’aujourd’hui, elle en a un autre dans ce que je veux construire. À force de vouloir éliminer les questions de couleurs de l’espace public français, on alimente le feu. Je pense qu’on peut, avec des mots, désigner d’une manière optimiste, constructive, les individus dont le faciès est source de discrimination, en renverser la logique et en faire une source de diversité. Le problème, c’est que si nous commençons à désigner, certains vont s’indigner : « Ouh, là, là ! Mais votre logique va se terminer en quotas ». Je leur répondrais : « Pour l’instant, nous essayons de rétablir des équilibres… Dans vingt, trente ans, lorsque vous aurez dépassé vos peurs, vous verrez que la question n’est pas les quotas mais de sortir d’une rigidité française, la rigidité de la peur ». Alors quitter ça pour aller vers une autre rigidité, celle des quotas ? Non, il y a sûrement mieux à faire.

Comment, aujourd’hui, permettre de mesurer la diversité ou son absence?

Azouz Begag :
Pour éviter les tremblements de terre et les irruptions volcaniques, avec mes amis vulcanologues, nous plaçons des capteurs, à différents niveaux du volcan, pour mesurer l’activité des gaz et, éventuellement, anticiper l’explosion. En matière de fabrication de la diversité française, il faudra réfléchir très vite à la façon dont on avance sur ce terrain avec les Français. Parce que j’entends : « Mais Monsieur, il y a des Français qui ne sont pas d’accord pour que l’on désigne leurs origines ». J’insiste: les mots « origine » ou « race » sont présents dans l’article 1 de la Constitution. Moi, quand j’allume ma télévision, je regarde le nombre de journalistes noirs, et je mesure : zéro ou un demi. Mais quand je vais chercher combien de commissaires de police sont issus de l’immigration, on me dit : « C’est un peu délicat, cette question »… il faut bien mesurer : quand on dit « zéro », c’est une mesure. Quand je vais au Sénat ou à l’Assemblée nationale, je fais de la mesure avec mes yeux : je dis « zéro ». Donc, il nous faut avancer. Nous allons lancer des expérimentations avec des entreprises, dans le cadre de la Charte de la diversité qui en est à quatre-vingts entreprises signataires. Le but est non seulement que les entreprises ne discriminent plus, mais que la sensibilisation à ce sujet les pousse à aller chercher cette diversité. Moi, j’ai le goût de cela. C’est mon pays la diversité, et ça, je veux le faire comprendre partout.

Propos recueillis par Marc Cheb Sun et Hélène Ganzmann

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