La danse des sept voiles


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Un paradoxe. Alors que le voile rime avec pudeur et réserve, le mot séduction s’attache de plus en plus au voile, faisant perdre à ce dernier sa valeur religieuse. Cependant, nombreuses sont désireuses de ne pas enterrer leur beauté sous le voile. C’est ainsi que la mode amène sous le giron de la religion son lot de fidèles.

Les « canons de l’islam » s’appellent désormais Hanane Turk ou Hala Shiha. Ces actrices égyptiennes connues dans le monde arabe ont un dénominateur commun : le voile. Longtemps « nues », elles ont décidé de devenir des « moutahajibat » (femmes voilées). Du « noir corbeau » aux voiles fashion et colorés, avec chapeau et casquettes assortis, qui laisse passer la frange des cheveux ou les oreilles ornées de boucles… Désormais, il existe mille et une façons de se couvrir le chef tout en se pliant à l’obligation de porter le hidjab (voile). Au grand dam des « conservateurs » – on appelle ainsi ceux qui se tiennent aux fondamentaux – qui souhaitent le retour à la simplicité et aux traditions.

Les têtes voilées se multiplient

Premier constat : que ce soit dans les sociétés arabo-musulmanes ou occidentales, de plus en plus de femmes musulmanes se voilent. L’islam est aujourd’hui la religion qui enregistre le plus grand nombre de fidèles. Alors, regain de religiosité ou phénomène de mode ? Qui décrit ce fait comme tel exagère surement car le phénomène de mode signifie qu’il est éphémère et voué à disparaître tôt ou tard. Or, le pourcentage de femmes portant le hidjab augmente d’année en année et il ne compte pas baisser de sitôt. Les « converties » au hidjab se comptent par centaines chaque année. Même dans les pays qui ont décidé d’y renoncer, tels que la Tunisie ou la Turquie, où le port du foulard est interdit dans les écoles et les administrations. « Les femmes voilées restent extrêmement minoritaires en France et la grande majorité de celles qui le portent ne le font pas par « mode ». C’est peut-être plus le cas en Afrique du Nord », note Nadia Khouri-Dagher, anthropologue et journaliste spécialisée dans les cultures arabes.

Des « moutahajibat » de plus en plus belles

Même si la foi et l’obligation sociale restent les raisons les plus évoquées par les femmes voilées, la mode fait son chemin. En effet, on constate que de plus en plus d’entre elles n’ont rien à envier de leurs « consoeurs » non voilées. A en voir certaines, si belles et si coquettes sous leur voile, l’effet mimétique est (presque) assurée. Dans certains forums en ligne, nombreuses sont celles qui avouent, même à demi-mot, qu’elles le portent car elles ont vu untel le mettre et que « ça leur allait bien ».

Certaines deviennent même plus belles… Même si la séduction n’est pas voulue, des femmes le portent d’une façon telle que le regard ne peut qu’être éveillé. Bruno Gelas, professeur de littérature à l’université Lyon II (Ouest de la France), s’est interrogé sur le jeu du voile, islamique ou non, et du désir lors d’un colloque de la mode fin avril. « Le voile cache. Mais, à la différence des artifices habituellement utilisés à cette fin (qui cherchent à ne pas faire voir), il montre et affiche qu’il cache, comme s’il avait aussi pour fonction essentielle d’attirer le regard », a-t-il analysé.

« Le voile, qu’il soit islamique ou pas, joue sur le caché et le montré. On cache un peu mais pas beaucoup ; on cache pour mieux intriguer. Il attire la curiosité. C’est forcément un facteur de séduction important. Après, tout dépend des circonstances et du type de voile porté par la femme. Mais on constate qu’il y a, de plus en plus, une recherche de couleurs, de formes et même de marques type Saint Laurent ou Chanel », explique Nadine Gelas, présidente de l’université de la mode à Lyon II pour Afrik.com.

Les femmes voilées se défilent

Il est forcément impossible de comptabiliser le nombre de femmes qui portent le voile au nom de la foi, au nom de la mode ou d’une autre raison. Les intentions de chacune restent enfouies dans les cœurs. Cependant, le marché de la mode islamique fait recette. 70 à 80% des femmes en moyenne sont voilées dans les pays arabo-musulmans. Un chiffre qui dépasse même les 90% dans les pays du Golfe persique. Les boutiques entièrement dédiées à la vente de hidjab ont pignon sur rue dans les grandes villes du Maghreb et du Moyen-Orient. Des magasins font même leur apparition en France, à l’image d’Amal qui se fait connaître de plus en plus en région parisienne. Et il y en a pour tous les goûts, jusqu’au plus petit accessoire.

Quant aux défilés de mode islamique, ils se multiplient. Stylistes et couturiers turcs sont devenus, en quelques temps, des « stars du voile ». Atil Kutoglu est l’un de ceux-là. Entré dans les annales pour avoir redessiné le voile tant controversé de l’épouse de Chef de l’Etat turc Abdullah Gul, M. Kutoglu est désormais l’un des stylistes les plus courus au monde. Au Danemark, la télévision publique DR Krum a organisé, en juin, le concours de mode « Miss Voile 2008 ». Concours qui a vu Huda Falah gagner parce que « le bleu clair du voile » qu’elle portait était à la fois « fantastique et choquant ».

La mode aide parfois les jeunes filles d’une vingtaine d’années à passer le cap du « voilement ». Certains créateurs n’hésitent pas à l’affirmer. « Nous avons voulu nous adresser aux jeunes de 15 à 20 ans. Nous voulons que ces jeunes-là trouvent aussi chez nous les modèles qu’ils cherchent tout en s’habillant selon les règles de l’islam », affirme Mustafa Karaduman, fondateur de la marque turque Tekbir, dans un reportage diffusé par France 24 en mai dernier. « La mode absorbe tout ce qui se passe dans la société. Quelque chose se passe dans la société à propos du voile. La mode le récupère à sa manière et le transforme. Chacun le met à sa sauce pour en faire des éléments ludiques », affirme Mme Gelas.

Des femmes plus séduisantes pour des hommes plus réceptifs

Si les textes ne précisent pas la forme que doit prendre le voile, quelques fondamentaux mettent à peu près tout le monde d’accord. Le voile, signe de soumission à Dieu, prévient la séduction. Or, certaines femmes, en quête d’hommes « sérieux », l’utilisent désormais comme une parure et un objet de séduction, ce qui le détourne bien évidemment de sa finalité. « A ce moment-là, le voile est complètement « déreligiosisé ». Lorsqu’il devient objet de mode, il devient forcément quelque part un objet de séduction car la mode est faite pour séduire », ajoute Mme Gelas.

Il semble fini le temps de l’indifférence des regards. Pour de nombreuses « moutahajibat », la séduction vient du visage. Mme Khouri-Dagher va dans ce sens. « Porter le voile n’a rien de séduisant en soi. C’est ce qui vient avec qui l’est : les accessoires, le maquillage, la marque ou le type de voile ». Tout est dans le regard, le comportement et l’habillement. Faire ressortir les yeux avec le khôl et s’habiller en Prada, Chanel ou Dior se fait davantage remarquer.

Dans certains cas, des femmes voient dans le hidjab un moyen de cacher leurs défauts physiques. Surtout, le voile devient un des moyens de trouver un homme à sa « juste » mesure. Pour Mme Gelas, « c’est dans les pays les plus contraignants au port du voile que des attitudes se révèlent des plus périphériques et des plus créatives ». « Les femmes maghrébines savent être créatives. La séduction n’est pas une chose occidentale et les femmes maghrébines n’ont rien à apprendre de l’Occident de ce côté-là », ajoute Mme Khouri-Dagher.

Du côté des hommes, l’appréciation varie. Quelques forums sur la toile parlent pour eux. La plupart semble être séduit par le sérieux que laisse paraître ces jeunes femmes. Le mystère qui les entoure peut faire l’objet d’un fantasme nourri par le mystère, commente un jeune Tunisien. « Pas besoin d’être dénudé pour séduire », affirme un Marocain. Pour ces hommes, l’avocat du diable n’aurait plus qu’une chose à dire aux femmes : couvrez-vous, ça plaît!

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