Khafel : innovation couscous


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arton7928

Qui peut croire que la cuisson à la vapeur du couscous doit tout, depuis toujours, à une jointure en pâte, chiffon ou plastique, entre les deux compartiments du couscoussier, qui tient du bricolage. Nezha et Laurent Doustaly, qui ne pouvaient voir dans la pérennité de cette pratique qu’une influence religieuse, lorsqu’ils se sont aperçus de leur méprise, ont inventé Khafel, le joint universel pour couscoussier.

Pour rendre étanche les deux compartiments du couscoussier, celui du bas, où cuisent les légumes, et celui du haut, où grossissent les grains de semoule à la vapeur, les mères utilisent depuis toujours un chiffon mouillé, de la pâte à base d’eau et de farine, voire un sac en plastique. Une pratique emprunte de tradition et si pleine de charme – excepté avec le plastique – que personne ne s’en était jamais soucié. Jusqu’à Nezha et Laurent Doustaly. Le jeune couple, ex-décorateurs d’intérieurs et ex-restaurateurs, autodidactes dans les deux métiers, ont tout abandonné, il y a deux ans, pour développer leur joint d’étanchéité universel pour couscoussier. Nezha raconte à Afrik sa longue et difficile aventure, toujours en cours, pour faire connaître ce petit “ bout de caoutchouc ” au monde.

Afrik : Quand avez-vous pour la première fois eu l’idée de ce joint d’étanchéité pour couscoussier ?

Nezha Doustaly :
C’était au Maroc. J’y vais très souvent car j’y ai une grande partie de ma famille. Je fais moi-même le couscous de façon traditionnelle. Pour cuire les aliments à la vapeur, on pose entre la casserole, où cuisent les légumes, et le tamis, où est entreposé le couscous, un tissus humecté, de la pâte et parfois même un sac en plastique. Avec mon mari, nous ne pouvions tellement pas croire qu’aucune alternative n’ai jamais été imaginée, que nous pensions qu’il y avait là une symbolique religieuse. Lorsque nous avons vu un jour le joint en sac en plastique d’un couscoussier prendre feu, nous avons décidé de faire quelque chose.

Afrik : Comment ?

Nezha Doustaly :
En rentrant, la première chose que nous avons fait a été de déposer le brevet de notre joint universel. Nous avions déjà fait breveter une idée de fromage en forme de cœur, il y a quinze ans. Lanquetot va le sortir cet hiver ! Notre idée était trop mal protégée. Nous en avions alors eu pour 2 500 francs de brevets (381 euros, ndlr). Pour le joint, nous en avons eu pour 250 000 euros ! Nous sommes soutenus par des professionnels, un avocat de l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle, ndlr) et un avocat spécialisé en droit des sociétés. Depuis deux ans, nous avons tout fait pour notre projet. En commençant par vendre notre restaurant…

Afrik : Vous devez être sûrs de vous, pour avoir vendu votre restaurant et payé vos droits si chers… ?

Nezha Doustaly :
Nous y croyons à 1 000 %. Il n’y a pas que le restaurant, nos familles nous ont prêté de l’argent, nous avons contracté des prêts auprès des banques, de la chambre de commerce… Lorsque nous avons eu les premiers produits finis, nous sommes allés faire le marché de La Paillade, un quartier de Marseille où vit une importante communauté maghrébine. Le premier mercredi, nous avons vendu deux exemplaires, le deuxième, six, le troisième, vingt et le quatrième, cinquante. Cela vaut toutes les études de marché du monde.

Afrik : Les investisseurs étaient-ils aussi convaincus du potentiel de votre invention ?

Nezha Doustaly :
Les gens, en France, ne se rendaient pas bien compte. Il fallait leur expliquer longtemps… Par contre, nous discutons actuellement avec des entrepreneurs maghrébins, que nous n’avons pas eu à convaincre. Ils ont tout de suite compris le potentiel du produit et l’énorme marché qu’il représente. Mais ils trouvent qu’il est encore trop cher pour le Maghreb. Le joint coûte 50 DH au Maroc (5 euros), ce qui est presque le prix d’un couscoussier ! Ils m’ont demandé d’inonder d’abord le marché français, afin que le prix baisse, et qu’ils puissent revenir discuter.

Afrik : Les couscoussiers ne sont pas uniquement utilisés dans la communauté maghrébine. Ils le sont également en Afrique subsaharienne… Avez-vous songé à ce marché ?

Nezha Doustaly :
Bien sûr, nous y avons aussi pensé. Le couscoussier n’est pas utilisé uniquement pour faire le couscous. Il est utilisé en Afrique subsaharienne, et même dans certains restaurants chinois à Paris. Il est utilisable dans toutes les cuisines à vapeur.

Afrik : Comment s’est déroulée la conception de l’objet ?

Nezha Doustaly :
Mon mari a fait un prototype en élastomère, mais ce n’était pas le bon matériau. Nous avons du en faire fabriquer un par un spécialiste, en silicone alimentaire, une matière qui résiste jusqu’à 280 degrés. Le moule nous a coûté 3 000 euros. Nous avons très vite été contactés par Péchiney Maroc, le plus gros constructeur de couscoussier au Maroc, et AMS, le plus important en Tunisie. Nous ne les avions même pas contactés et ne savions pas encore qui ils étaient.

Afrik : Comment vous êtes vous organisés pour la promotion et la vente du produit ?

Nezha Doustaly :
Après sa conception, nous avons passé six à huit mois sur le packaging. A chaque fois qu’il y avait une rectification à effectuer, nous devions contacter des graphistes, qui n’étaient libres que trois semaines à un mois plus tard. Alors nous avons fini par acheter le logiciel Photoshop pour le faire nous-même. Nous avons ensuite créé une Sarl (Société anonyme à responsabilité limité, ndlr), en mars 2003, pour être crédibles dans nos démarchages, pour solliciter des prêts, notamment auprès de la Banque populaire du Midi et de la région Paca. Les gens ne se rendent pas compte du travail nécessaire pour ce petit bout de caoutchouc. Je pensais que le plus dur était passé… mais le travail commercial est encore plus difficile. Aujourd’hui, concrètement, il nous faut faire connaître le produit. Mais la publicité coûte cher.

Afrik : Votre invention a été primée, lors de concours…

Nezha Doustaly :
Nous avons présenté notre produit au concours Lépine, au Salon Maisons et Objets et nous avons reçu le deuxième prix Jeunes Talents… Nous étions très fiers car le premier prix était revenu à un produit très High Tech (haute technologie, ndlr).

Afrik : Où trouve-t-on le joint, aujourd’hui ?

Nezha Doustaly :
Il est vendu depuis environ quatre mois en grande surface. Mais il est mis en vente trop cher, à huit euros. Nous souhaiterions le vendre à cinq ou six. En le vendant à ce montant, nous ne doublons même pas le prix de production. La matière coûte très cher. Mais je me demande si une grande surface est l’endroit le mieux indiqué pour sa distribution… Je vois plus sa vente dans des épiceries, des boucheries hallal, sur les marchés… Même si le fait d’avoir le produit référencé est intéressant, lorsque nous démarchons.

Afrik : Savez-vous combien de joints ont été vendus à ce jour ?

Nezha Doustaly :
Pas encore. Nous devons faire le point à la fin de l’année avec le directeur des achats, pas avant.

 Visiter le site de Nezha pour faire connaître le joint d’étanchéité.

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