Journée mondiale des Lépreux : zoom sur l’association Raoul Follereau


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Raoul Follereau est l’une des principales associations au monde qui lutte contre la lèpre. Un combat commencé au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, mais qui reste malheureusement d’actualité. A l’occasion de la Journée mondiale des Lèpreux, dimanche, Michel Récipon, président de l’Association française Raoul Follereau, revient sur la naissance de la structure, son action et les défis auxquels elle doit faire face.

« La bataille contre la lèpre n’est qu’un chapitre de ce grand combat que tous, qui que nous soyons, nous devons livrer contre ces vraies lèpres, bien plus contagieuses, hélas !, que la lèpre, et qui sont la misère, la faim, l’égoïsme, le fanatisme, la lâcheté. Ces lèpres-là, nous avons appris, au service des lépreux, comment les attaquer, les combattre, les vaincre. » Ces mots pleins de déterminisme sont ceux de Raoul Follereau, l’homme qui a créé l’association éponyme de lutte contre la lèpre. Son combat, né au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, est malheureusement toujours d’actualité. A l’occasion de la Journée mondiale des lépreux, dimanche, Michel Récipon, président de l’Association française Raoul Follereau, revient sur la naissance de la structure, son action et les défis auxquels elle doit faire face.

Afrik.com : Quel bilan feriez-vous de la lutte contre la lèpre ?

Michel Récipon :
Il est encourageant, car le nombre de malades a fortement chuté depuis les années 1970 avec l’apparition d’un traitement appelé polychimiothérapie. Nous avons gagné un combat, mais ne crions pas victoire tout de suite, car l’apparition de nouveaux cas prouve que le problème est toujours d’actualité. Si la mobilisation faiblit, si nous ne continuons pas le dépistage, tous les efforts entrepris depuis 25 ans seront anéantis.

Afrik.com : Comment Raoul Follereau a-t-il commencé à lutter contre la lèpre en Afrique ?

Michel Récipon :
Il a été sensibilisé à la lèpre pour la première fois en 1936, au cours d’un voyage sur les pas du Père Charles de Foucauld, qu’il prolonge au Sud vers la pointe du Niger. Sa voiture étant tombée en panne, il aperçoit au loin des formes faméliques, apeurées, qu’on lui désigne comme des lépreux. Mais ce n’est que pendant la seconde Guerre Mondiale, que la lutte contre la lèpre est devenue son combat. C’est, en effet, sa rencontre avec la supérieure générale de la Congrégation des sœurs de Notre-Dame des Apôtres qui a découvert, au cours d’une tournée en Afrique, des centaines de lépreux livrés à eux-mêmes sur l’Ile Désirée (Côte d’Ivoire, ndlr) qui sera déterminante. La religieuse rêve d’un centre où ces lépreux pourraient être soignés dignement et pris en charge – ce que l’on appelait à l’époque une léproserie. Raoul Follereau va mettre à profit ses talents d’orateur pour récolter les fonds nécessaires à ce qui deviendra le centre d’Adzopé, premier village de lépreux, qui appartient maintenant au gouvernement.

Afrik.com : Dans combien de pays africains êtes-vous présents ?

Michel Récipon :
Nous avons un représentant dans une dizaine de pays d’Afrique francophone et nous intervenons au total dans 27 pays dans le cadre de l’ILEP (Fédération
internationale des Associations contre la lèpre, ndlr) : une fédération internationale qui regroupe une vingtaine d’associations qui se partagent les pays d’endémies pour le financement de la lutte contre la lèpre.

Afrik.com : Comment se passe votre travail sur le terrain dans la lutte contre la lèpre ?

Michel Récipon :
Nous faisons faire. Nous avons des accords avec les ministères de la Santé des pays, et ce sont leurs personnels qui agissent sur le terrain. Mais nous avons un représentant Raoul-Follereau par lequel transitent les fonds. Nous fournissons la logistique, les médicaments (comme le fait parfois l’Organisation Mondiale de la Santé) ; nous assurons la formation et nous faisons des évaluations. Tout le travail direct, lui, est fait localement. Notre interlocuteur est pour chaque pays, le coordinateur du Programme National de Lutte contre la Lèpre.

Afrik.com : Quels avantages trouvez-vous à déléguer ?

Michel Récipon :
Il est nettement plus profitable de faire faire que de faire, même si c’est plus long parfois. De plus, il y a suffisamment de compétences au niveau local. Et lorsque ce n’est pas le cas, nous intervenons, mais notre aide reste d’appoint.

Afrik.com : Vous agissez dans des pays majoritairement francophones. Pourquoi ?

Michel Récipon :
Au sein de l’ILEP, chaque membre a choisi une zone internationale où il avait des liens, une connaissance du terrain, un ancrage, …

Afrik.com : Travaillez-vous de concert avec d’autres associations ?

Michel Récipon :
Comme nous l’avons dit précédemment notre association est en lien avec d’autres associations membres d’une fédération internationale, l’ILEP. Nous travaillons aussi avec les ministères de santé. Notre action nous conduit à traiter non seulement des problèmes de santé mais aussi de réinsertion. Et pour ce dernier point, nous collaborons avec les Associations Raoul Follereau locales. Sinon, nous nous appuyons sur des partenaires qui sont, très souvent, des religieux.

Afrik.com : Comment financez-vous vos actions ?

Michel Récipon :
Nous faisons appel à la générosité des donateurs en France par le biais de notre journal bimestriel Lèpres, par des mailings, par des parutions dans la presse. L’autre source de rentrée d’argent est la Journée Mondiale des Lépreux, créée par Raoul Follereau en 1954. A cette occasion, nous organisons une grande campagne médiatique avec, notamment, des spots télévisés qui montrent notre action et la réalité du terrain. L’objectif est de sensibiliser les Français. Pour cette journée, nous mobilisons environ 35 à 40 000 quêteurs. Enfin, nous sommes aussi habilités à recevoir des legs.

Afrik.com : Rencontrez-vous des problèmes lors de la collecte de fonds ?

Michel Récipon :
Il y a des donateurs fidèles, mais la méconnaissance et le manque de médiatisation de la maladie freinent la collecte. Il faut aussi compter avec le fait que beaucoup d’associations font des appels de dons pour lutter contre des maladies qui touchent plus directement les Français, comme le sida ou le cancer.

Afrik.com : Lors de vos campagnes, certaines affiches montrent des personnes très handicapées par la maladie. Est-ce pour choquer les populations, afin qu’elles donnent plus ?

Michel Récipon :
Les images ne sont pas faites pour choquer mais pour montrer la réalité. Nous voulons sensibiliser, pas culpabiliser.

Afrik.com : Quel est le symbolisme de la Journée Mondiale des Lépreux ?

Michel Récipon :
Tout d’abord, vous remarquerez que ce n’est pas la Journée Mondiale contre la Lèpre, mais la Journée Mondiale des Lépreux. C’est une journée de reconnaissance pour eux qui sont parfois – et encore trop souvent – rejetés et exclus de la société. Au Mali, par exemple, lors de la cérémonie de la JML (Journée Mondiale des Lépreux, ndlr), tout le monde porte la même tenue pour montrer qu’il n’y a aucune différence entre malades et bien-portants.

Afrik.com : Pensez-vous que le message que Raoul Follereau délivrait de son temps est toujours d’actualité ?

Michel Récipon :
Oui, le message de Raoul Follereau est toujours d’actualité car la lutte contre la lèpre et toutes les lèpres, était d’abord un combat contre l’exclusion dont le lépreux était victime. Or la bataille contre l’intolérance, l’égoïsme, est toujours vraie à notre époque, malheureusement. Et le message de Raoul Follereau c’est aussi agir concrètement, sensibiliser la communauté médicale pour trouver un traitement efficace ; sensibiliser des hommes et des femmes pour s’occuper des lépreux jusqu’à leur donner la possibilité de se réinsérer dans la société, sans oublier ceux qui, invalides, ont besoin d’une prise en charge ; sensibiliser des donateurs pour financer cette lutte… Ce sont les différentes facettes de la mission que nous poursuivons aujourd’hui, dans la fidélité du message de Raoul Follereau.

Afrik.com : Comment sont répartis les fonds de l’association ?

Michel Récipon :
Chaque année, après l’approbation de notre assemblée générale, nous publions nos comptes dans notre revue Lèpres. En 2003, par exemple, nos missions sociales représentent 79% de nos ressources, qui étaient alors de 9 387 000 euros. Par ailleurs, nous avons des représentants sur le terrain qui supervisent et distribuent, chaque trimestre, les sommes destinées au financement des projets et qui remettent ensuite au siège les justificatifs des sommes investies. Le solde de notre budget se répartit entre les frais d’appel à la générosité du public (14%) et les frais généraux (7%).

Afrik.com : En 2001, un sujet diffusé par (Radio France Internationale) vous mettait en cause dans une affaire de détournement de fonds. Pourriez-vous revenir sur cet épisode ?

Michel Récipon :
Je suis surpris qu’en 2005 vous nous posiez cette question, qui n’est plus d’actualité. Nous avons été contrôlés, comme toutes les associations faisant appel à la générosité du public, par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS, ndlr). La meilleure réponse que nous pouvions faire vis-à-vis de nos détracteurs, a été de publier le rapport intégral de l’IGAS sur notre site Internet, une première dans le milieu associatif. Nos donateurs ont bien compris la manipulation et ont continué de garder leur confiance dans notre Association.

Afrik.com : Comment garantissez-vous la transparence des activités de l’Association Raoul Follereau ?

Michel Récipon :
Raoul-Follereau s’est engagé dans une démarche interne de mise en conformité de son organisation et de son action, par rapport à un référentiel de qualité. Cette démarche sera à terme certifiée par un organisme compétent (type Bureau Veritas Quality International), afin de donner à tous ceux qui la soutiennent l’assurance que leurs dons sont utilisés conformément aux objectifs annoncés. Il n’y a actuellement que trois associations qui ont accompli cette démarche. Nous avons également un contrôleur interne.

Afrik.com : La lèpre recule. Cela signifie-t-il qu’un jour elle pourra être éradiquée ?

Michel Récipon :
Je ne suis pas médecin, mais je sais qu’aucune maladie n’est éradiquée. Certaines maladies qu’on croyait disparues, réapparaissent. Des cas de varioles ont été constatés en France, par exemple. En ce qui concerne la lèpre, on constate, chaque année, 600 000 à 700 000 nouveaux cas. Ce qui prouve bien que même si on arrive à la soigner, la maladie n’est pas maîtrisée pour autant. Notamment parce que c’est une maladie liée à la pauvreté et à la malnutrition. Tant que le nombre de nouveaux cas ne s’infléchira pas, on ne pourra pas crier victoire.

Afrik.com : Quels sont les pays africains sur la voie de l’éradication ?

Michel Récipon :
On ne parle pas d’éradication, mais de seuil de santé publique qui se situe à moins d’un cas pour 10 000 habitants, selon l’échelle de l’Organisation mondiale de la santé. Le seul pays à être en-dessous de ce seuil est le Burkina Faso. Le Mali compte moins de 600 habitants sur 10 000 touchés chaque année, et le Bénin moins de 400. Comme il y a toujours des nouveaux cas, il est nécessaire de développer le dépistage précoce et d’accroître les efforts de formation du personnel de santé.

Afrik.com : Qu’entendez-vous par « efforts de formation » ?

Michel Récipon :
Auparavant, il existait des antennes médicales qui s’occupaient spécifiquement de la lèpre. Le personnel y était spécialisé. Mais comme la lèpre a régressé, elles ont été intégrées dans les systèmes de santé. Il faut donc, aujourd’hui, former des soignants pour que le dépistage puisse se faire précocement et sans risque d’erreur de diagnostic. En mars 2004, nous avons organisé à Bamako, une session de formation avec les associations de l’ILEP.

Afrik.com : Quels sont les pays les plus endémiques ?

Michel Récipon :
Proportionnellement, l’Inde et le Brésil. En Afrique, c’est à Madagascar que l’endémie est la plus répandue. Une situation due à l’isolement de zones trop éloignées d’un centre de soin et difficiles d’accès selon la saison.

Afrik.com : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

Michel Récipon :
Intervenir dans les moments difficiles : les guerres, les déplacements de population. Comment retrouver les malades dont le traitement est en cours ? Comment faire le dépistage ? Et il n’y a parfois plus de personnel sur place…

Afrik.com : Est-il déjà arrivé qu’un pays refuse votre présence ?

Michel Récipon :
Nous ne nous imposons pas à un pays. Nous n’arrivons pas en disant : « Nous voulons vous aider ». La demande vient de l’Etat et le programme d’action est défini avec le ministère de la Santé.

Afrik.com : Pourquoi vous être diversifiés en luttant aussi contre l’ulcère de Buruli ?

Michel Récipon :
Nous ne nous sommes pas diversifiés. Nous nous appuyons sur nos partenaires et quand ils nous ont soumis ce nouveau projet, nous avons décidé de les accompagner. Nous avons commencé à travailler sur l’ulcère de Buruli en 1998 car peu d’associations s’y intéressaient. A l’époque, il n’y avait pas de traitement. C’était un véritable défi. Par ailleurs, la mycobactérie ulcéreuse est proche de celle de la lèpre. Il y a donc un lien. Nous avons financé la recherche médicale pour trouver un traitement efficace car, jusqu’à présent, seule l’opération chirurgicale permet de stopper la maladie.

Afrik.com : Quels sont les autres projets que vous financez ?

Michel Récipon :
Nous ne nous diversifions pas pour nous diversifier. Toutes nos actions correspondent à des besoins. Le centre de notre action est la lèpre. Mais à Madagascar, par exemple, où des religieuses s’occupent des enfants pour les guérir de la lèpre, elles en profitent pour les nourrir, les scolariser, leur apprendre un métier. L’aide dépasse donc le seul traitement la maladie. Nous aidons les enfants en détresse et nous participons à l’aide au développement. C’est notre façon d’apporter notre pierre à l’édifice : créer des activités génératrices de revenus et éduquer pour faire reculer la pauvreté et tout ce qui en découle. C’est aussi une façon de combattre la lèpre, qui est une maladie due à la pauvreté.

Afrik.com : Le raz-de-marée du 26 décembre dernier en Asie du Sud a suscité un formidable élan de générosité internationale. Ne craignez-vous pas que cela détourne les donateurs des autres grandes causes à travers le monde, et notamment de la Journée mondiale des lépreux, qui a lieu dimanche ?

Michel Récipon :
Face aux tragiques événements en Asie, les Français ont effectivement fait preuve d’une générosité exceptionnelle. Sans nier le drame du tsunami, il ne faut pas oublier les autres parties du monde touchées par la grande pauvreté et je souhaite que notre campagne réussisse à mettre suffisamment en valeur les autres endémies qui bénéficient d’une profonde fidélité de nos donateurs.

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