Jimmy Jean-Louis, de Haïti à Hollywood


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Jimmy Jean-Louis
Jimmy Jean-Louis

En interprétant le rôle de « L’Haïtien » dans la série fantastique américaine Heroes, Jimmy Jean-Louis est devenu une star du petit écran. L’acteur a aussi imposé sa présence sur le grand écran en participant à plusieurs longs métrages aux Etats-Unis, en France et dans la Caraïbe. Il est le parrain de la 4e édition du festival international de cinéma Cinamazonia, qui se déroule du 19 au 24 novembre en Guyane française.

Cinamazonia.jpgLe festival Cinamazonia met en avant les documentaires, longs et courts métrages de la Caraïbe, de l’Amérique du Sud et de l’Outre-mer, dont certains sont distingués par un jury de professionnels. Ouvert sur le reste du monde, il invite également des films et des créateurs originaires d’Afrique, de France et d’Europe. Pour cette quatrième édition, les organisateurs du festival ont choisi l’acteur haïtien Jimmy Jean-Louis pour parrain. Né à Pétionville, en Haïti, en 1968, son adolescence se déroule en région parisienne où il rejoint ses parents. Une fois adulte, il sillonne l’Europe où il exerce les professions de mannequin, danseur et comédien. Arrivé aux Etats-Unis en 1998, il réussit à force de persévérance à jouer dans plusieurs longs métrages, à Hollywood. C’est le film Point d’impact (2002), qu’il tourne avec Jean-Claude Van Damme, qui lui ouvre les portes des studios. Il travaille par la suite avec Bruce Willis et Monica Bellucci dans Les larmes du soleil (2003), avec Harrison Ford et Josh Hartnett dans Hollywood Homicide (2003), avec Jane Fonda et Jennifer Lopez dans Sa mère ou moi (2005), et bien d’autres encore. En rejoignant, en 2006, le casting de la série Heroes diffusée par la chaîne NBC, son visage et son jeu deviennent familiers pour des millions de téléspectateurs à travers le monde. Jimmy Jean-Louis reste néanmoins attaché à sa région d’origine. Il joue régulièrement dans des films de réalisateurs caribéens. L’année prochaine il sera à l’affiche, entre autres, d’Orpailleur, du guyanais Marc Barrat (dont la première projection a eu lieu samedi dernier, dans le cadre du festival Cinamazonia– le film sortira sur les écrans en France en 2010), et de Moloch tropical du haïtien Raoul Peck. Il nous a accordé un entretien.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous accepté d’être le parrain du festival Cinamazonia ?

Jimmy Jean-Louis : J’ai accepté pour continuer de promouvoir et de pousser tout ce qui se fait dans l’art de la Caraïbe et de l’Outre-mer. Je veux supporter tous les efforts qui sont réalisés pour nous faire entendre. Et un festival comme celui-là mérite d’être soutenu pour qu’il puisse continuer.

Afrik.com : Quel regard portez-vous sur les cinémas de la Caraïbe et de la Guyane ?

Jimmy Jean-Louis : C’est un cinéma qui a des difficultés car il n’est pas soutenu au niveau national, au niveau de la distribution et des finances. Donc, c’est à nous de faire ce qu’il faut pour qu’il progresse. Avec plus d’argent, il sera digne de celui des Etats-Unis et de la Métropole. Ce qui est sûr, c’est qu’on a des histoires extraordinaires à raconter. Je vis à Los Angeles, mais je reste proche de ce cinéma. J’ai joué dans Le président a-t-il le sida ? (2006) d’Arnold Antonin et Cousines (2006) de Richard Sénécal, deux films haïtiens. J’ai aussi tourné avec Christian Lara, dans Le mystère Joséphine (2008). Christian Lara est le premier qui a fait un film en Guadeloupe. Et cette année, j’ai tourné dans Orpailleur, de Marc Barrat, le premier film guyanais. Donc bizarrement, je vis loin de la Caraïbe, mais je reste en contact avec elle. Je suis aussi en contact avec le cinéma africain. J’ai fait un film au Nigeria, j’ai travaillé sur un projet du Ghana. Je tourne en France également. Je viens de tourner dans Coursier, de Herve Renoh, avec Michaël Youn. Donc avec toutes ces expériences, j’arrive à bien comprendre le cinéma en général.

Afrik.com : Quelles sont les différences, pour vous qui êtes des deux côtés de la barrière, entre le tournage d’un film en France et aux Etats-Unis ?

Jimmy Jean-Louis : Il y a beaucoup de différences. Mais le budget, c’est la plus grande des différences. En fonction de lui, tout change. Avec un gros budget, on peut faire ce qu’on veut ! Il y a une grosse différence, aussi, au niveau des horaires. Aux Etats-Unis, on travaille douze heures par jour. En France, huit heures. A cause du poids du budget, les rapports sont plus humains en France et plus robotisés aux Etats-Unis où l’on n’a pas droit à l’erreur. En France, au déjeuner, il y a du vin. Aux Etats-Unis, ce n’est pas pensable ! C’est vraiment un autre système. Moi, j’apprécie énormément le système français. Il est plus humain, et l’art passe avant le business. Tandis qu’aux Etats-Unis, on fait du cinéma pour faire de l’argent.

Afrik.com : Vous serez à l’affiche l’année prochaine d’Orpailleur, du guyanais Marc Barrat, et de Moloch Tropical, du haïtien Raoul Peck. Qu’avez-vous tiré de ces expériences ?

Jimmy Jean-Louis : J’ai travaillé avec des pros à 100%. Les deux films m’ont fait découvrir des pays, des lieux magnifiques. La Guyane, la forêt. Haïti, la citadelle du Cap haïtien. Une merveille ! Ce sont deux films dont je suis très fier. Les messages qu’ils délivrent sont très forts. Le premier parle de la nécessité de préserver la nature et de supprimer l’orpaillage clandestin ; le second, Moloch tropical, de l’abus du pouvoir dans tous les sens du terme. Ce sont des films qui peuvent faire avancer les deux pays, et même l’humanité. Ce sont des films réalisés dans de petits pays, mais qui pourtant touchent tout le monde. C’est pour ça qu’il faut qu’il y ait plus de films dans les îles et dans l’Outre-mer.

Afrik.com : Maintenant, vous êtes un acteur « bancable ». Vous êtes l’un des personnages principaux de la série Heroes, vous avez joué dans plusieurs longs métrages à Hollywood. Est-ce qu’il est difficile de faire son trou aux Etats-Unis ?

Jimmy Jean-Louis : Très difficile. Beaucoup plus qu’on peut l’imaginer. Et ça reste difficile jusqu’à maintenant. Il y a encore beaucoup de travail à faire, et je le dis sincèrement, pour continuer à travailler et garder un certain statut. Il faut se battre pour l’image des noirs à Hollywood, en France ou ailleurs. En France, on se bat pour avoir des noirs « bancables », et il n’y en a pas. Il faut que les grosses maisons de production, la presse, fassent confiance aux talents. De la même façon qu’ils acceptent de mettre en avant un Vincent Cassel ou une Sophie Marceau, il faut stariser des acteurs noirs. Il n’y a aujourd’hui aucune grande star noire qui puisse interpréter un premier rôle et représenter la France. Il faut que ça change.

Afrik.com : Avant de devenir comédien et de rencontrer la notoriété, vous avez dû emprunter des chemins très tortueux. Racontez-nous votre parcours, de Haïti à Hollywood.

Jimmy Jean-Louis : Enfant, je ne savais pas ce que c’était Hollywood… Je suis né en Haïti, dans une famille plutôt défavorisée, sans électricité, sans eau courante, donc je ne savais pas ce que voulait dire le cinéma. Puis, grâce à ma mère, puis à mon père, j’ai atterri en France, vers l’age de onze-douze ans. J’ai étudié, j’ai passé mon bac. Et quand j’ai eu dix-huit ans, mes parents ont décidé de retourner en Haïti. Ils estimaient que leurs trois enfants, ma sœur, mon frère et moi, étaient grands, qu’ils avaient fait ce qu’il fallait. Moi, je suis resté sur Paris. J’ai commencé à fréquenter le monde de la nuit, les acteurs, les danseurs… J’ai commencé à prendre des cours à l’AID, l’Académie international de danse, dans le 16ème arrondissement, grâce à une tchatche incroyable ! L’école coûtait très cher. Je leur ai fait croire que j’avais de l’argent et que j’allais payer. J’ai pris tous les cours que je pouvais : acting, danse, chant… Ils m’ont foutu à la porte quelques mois après, mais ça a été une bonne base.

Afrik.com : Et comment avez-vous fait vos premiers pas dans le métier d’acteur ?

Jimmy Jean-Louis : Je n’ai pas trouvé de travail en France, donc je suis parti à Barcelone, en Espagne, où j’ai travaillé pendant deux ans dans un théâtre musical. Puis j’ai fait mes valises pour l’Italie où, pendant deux ans, j’ai travaillé dans le mannequinat. Ensuite, j’ai été en Afrique du sud, toujours dans le mannequinat, et en Angleterre où j’ai travaillé dans le mannequinat aussi et la pub. A chaque fois, j’essayais de relever un nouveau challenge, d’atteindre un autre point. Et c’est comme ça que je suis arrivé à Los Angeles. Ca n’a pas été facile. Pendant trois ans, j’ai tourné dans des films d’étudiants non rémunérés, dans de petits films, et petit à petit dans des films plus importants. Et puis, il y a eu Heroes dans lequel je tourne depuis quatre ans. Et je ne vous ai même pas parlé des galères !

Afrik.com : Par exemple ?

Jimmy Jean-Louis : J’ai été SDF, en France, dans le froid, en hiver. Parfois, je squattais un appartement, et en rentrant, à la place de la porte je trouvais un mur, et le peu d’affaires que j’avais bloquées à l’intérieur. D’où le système D : rester tard en club, essayer de chopper une nana qui veuille bien m’inviter chez elle… Toutes ces épreuves font ce que je suis aujourd’hui.

Afrik.com : Comment expliquez-vous que vous ayez eu tant de difficultés à vous en sortir en France, alors qu’ailleurs vous y êtes parvenu plus facilement ?

Jimmy Jean-Louis : Quand on est du pays, c’est plus dur d’y arriver. Quand on vient de l’extérieur, on arrive avec une certaine crédibilité. Puis, avec l’expérience on arrive à se sortir plus facilement des situations difficiles. Et quand je viens en France maintenant, c’est avec toute cette expérience. Ce qu’il m’est arrivé ne veut pas dire que le noir qui a grandi en Espagne ou en Italie a plus de facilité à réussir dans son pays que celui qui a grandi en France.

Afrik.com : Vous restez très attaché à Haïti, le pays où vous êtes né et où vous avez passé une partie de votre enfance. Vous avez créé l’association Hollywood unites for Haïti (HUFH) et êtes ambassadeur de bonne volonté de la Pan American developement foundation (PADF). Comment aidez-vous concrètement votre pays ?

Jimmy Jean-Louis : En tant qu’ambassadeur de bonne volonté pour les enfants d’Haïti, je représente ces enfants, je fais du bruit, je vais à Washington, je défends cette cause dans beaucoup d’événements. Hollywood unites for Haïti, c’est une association que j’ai créée pour aider les enfants défavorisés au niveau du sport et de la culture, des sujets que je connais. On a pu donner pas mal d’équipements sportifs, de matériel informatique, à des associations qui en avaient besoin. Le but de HUFH, c’est d’avoir un centre culturel et sportif pour les enfants, vers Pétionville, Port-au-Prince, puis de reproduire ce centre dans d’autres villes du pays. L’idée est de sortir les enfants de leurs galères quotidiennes, pour faire diminuer le vandalisme, former de vrais professionnels et créer un esprit d’équipe parmi ces enfants. Car l’esprit d’équipe, c’est très important pour réussir.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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