Jean-Yves Ollivier : « Beaucoup d’analogies entre Mandela et Luther King »


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Jean-Yves Ollivier a œuvré dans le plus grand secret pour la libération de Nelson Mandela. L’homme d’affaire Français, âgé de 69 ans, négociant dans les matières premières, est l’objet du documentaire « Plot for peace » qui raconte comment sa discrète mission a débloqué les verrous d’une Afrique du Sud minée par l’apartheid. Il lève le voile sur sa mystérieuse histoire.
Entretien

Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé d’être à la manœuvre d’une affaire si complexe ?

Jean-Yves Ollivier :
Je m’étais fait la promesse de ne jamais raconter mon histoire. Lorsqu’on a décidé de ne pas parler, on ne prend pas de photo, on n’a pas de carnet de note. Je n’avais aucun matériel à ma disposition sauf ma parole. On reste dans la tradition africaine de la parole. J’ai été séduit par l’idée d’un film, car il allait me permettre d’emmener des témoignages qui allaient conforter ce que j’allais raconter. Je pense qu’on s’y est pris un peu tard. Peut-être qu’il fallait le faire il y a quatre ou cinq ans. Il a fallu me convaincre d’accepter que ce documentaire soit fait sur mon histoire. Et ça n’a pas été facile. Il a fallu six mois avant que je n’accepte de me lancer dans cette aventure. Et si mes amis ne m’avaient pas poussé, je n’aurais sans doute pas accepté.

Afrik.com : Pourquoi teniez vous tant à ce que votre histoire reste secrète ?

Jean-Yves Ollivier :
Pour moi, c’était normal. C‘est à dire, ça faisait partie de ma vie. C’était une chose naturelle. Peut-être avec le recul, je me rends compte peu à peu de la dimension de mon action. Elle était peut-être plus importante que je ne le pensais.

A propos de Plot for Peace

Plot for Peace (complot pour la paix) raconte la mystérieuse histoire de Jean-Yves Ollivier, qui a contribué à la libération de Nelson de Mandela grâce à des tractations très secrètes entre différents pays.

C’est dans un contexte très tendu, au milieu des années années 80, en Afrique du Sud, que le négociant français en matières premières entre en action. L’Afrique du Sud est alors minée par l’apartheid. La grogne s’intensifie dans les townships contre la ségrégation raciale. Cette situation très complexe dans le pays ne dissuade pas pour autant Jean-Yves Ollivier, dont le nom de code est « Monsieur Jacques ». Il décide alors de devenir l’intermédiaire d’une négociation secrète entre les différentes parties en conflit. Il met soigneusement à l’oeuvre un échange de prisonniers de guerre entre l’Angola, dévastée par la guerre-froide, et l’Afrique du Sud pour établir une confiance entre les dirigeants de la sous-région. Un an plus tard, en décembre 1988, il est à l’initiative d’une autre prouesse : le retrait des troupes sud-africaines et cubaines d’Angola, permettant la signature d’un accord de paix régionale. Nelson Mandela sera libéré quatorze mois après.

Ces multiples tractations, qui ont été mises à mal de nombreuses fois, ont inclus de multiples personnages d’envergures de l’époque. Entre autres : l’ex-épouse de Nelson Mandela, Winnie Mandela, le ministre Délégué à l’Afrique de Ronald Reagan, Chester Crocker, le Président congolais Denis Sassou Nguesso, les ex-Présidents d’Afrique du Sud Thabo Mbeki et du Mozambique Joaquim Chissano… Tous interviennent dans le documentaire pour conforter le récit de Jean-Yves Ollivier et raconter comment eux-mêmes ont été impliqués dans ce vaste « complot pour la paix ». Les réalisateurs, Mandy Jacobson, et Carlos Agullo, réussissent à maintenir le suspense tout au long du documentaire. On se demande alors si « Monsieur Jacques » réussira ou non à atteindre son but. Le scénario soigneusement ficelé, digne d’un polar, rend le film mordant. Sans compter que les images d’archives, qui permettent la construction du film, sont bien réparties, donnant l’impression que cette mystérieuse histoire s’est déroulée hier.
Dommage que Nelson Mandela n’ait pu témoigner à temps. Peut-être fallait-il réaliser Plot for peace plus tôt?

Afrik.com : Quel était votre but ?

Jean-Yves Ollivier : (Il réfléchi longuement avant de répondre). Je l’ai fait parce que je devais le faire. Quand vous voyez un accident devant vous, vous ne vous posez pas de question. Vous ouvrez votre porte, vous sortez et vous ne faites pas attention à salir votre costume ou non. Vous vous dîtes que vous pouvez peut-être arrêter l’hémorragie. Je serai embêté qu’on me demande pourquoi j’ai arrêté l’hémorragie. Ce que j’ai fait je l’ai fait naturellement. Ce n’était pas réfléchi. Je ne me posais pas la question de savoir où, quand, comment, jusqu’à quand. Il fallait que je le fasse, c’est tout.

Afrik.com : Dans cette affaire qu’est-ce qui a été le plus compliqué pour vous ?

Jean-Yves Ollivier :
Le plus compliqué c’était le détail. C’était qu’à un moment donné, un détail pouvait briser l’édifice. Ces genres de négociations sont compliquées. Elles incluent les pays, ministres des Affaires étrangères, chefs d’Etat, services secrets. Vous êtes un moment donné le détenteur des accords. Mais à tout moment un détail peut tout faire capoter. A tout moment, il peut se passer quelque chose de totalement inconscient, qui va mettre tout l’édifice à plat. La seule garantie que vous offrez, c’est votre réputation. On ne peut pas faillir. On ne peut pas tricher dans ces moments-là.

Afrik.com : Qu’est ce qui vous a attiré en Afrique du Sud, où la situation était très compliquée ?

Jean-Yves Ollivier :
Je suis un homme d’affaires et je cherchais des pays qui n’étaient pas simples. En Afrique du Sud, tout était compliqué. Il y avait des embargos, des difficultés, le rejet, donc ça n’a été qu’une motivation matérielle. Il fallait que je fasse des affaires et je l’ai fait dans ce pays.

Afrik.com : Mais finalement tout a changé…

Jean-Yves Ollivier :
Bien sûr ! Et finalement je n’ai pas fait d’affaires ! Et beaucoup l’ignorent.

Afrik.com : Comment avez-vous vécu la rencontre entre Jacques Chirac et Botha qui ne s’est pas faite finalement ?

Jean-Yves Ollivier :
J’étais sans voix. J’étais arrivé si loin comme. Comme je travaillais dans le secret, on ne me tenait pas au courant des programmes diplomatiques. Le sommet de Lomé m’avait échappé. Et tout s’écroulait. Mais je n’ai pas renoncé. J’ai essayé de rebondir avec Sassou Nguesso qui m’a fait confiance et à qui je rends hommage.

Afrik.com : Que vous a apporté cette expérience ?

Jean-Yves Ollivier :
Sur le plan matériel, elle m’a coûté beaucoup d’argent (rires). Humainement, elle m’a convaincu qu’on peut encore faire confiance à l’Homme. Quelque soit son origine, son passé. Un moment donné, il y a une étincelle qui se déclenche chez l’Homme qui fait qu’il mérite d’être respecté dans tous les cas et qu’on lui fasse confiance.

Afrik.com : Et votre rencontre avec Nelson Mandela comment s’est-elle passée?

Jean-Yves Ollivier :
La première fois que je l’ai vu, il n’était pas Président. On lui avait parlé de moi. Il souhaitait me rencontrer. J’ai pris le petit déjeuner avec lui. Je l’ai revu plusieurs fois après ce petit déjeuner. Nelson Mandela a une qualité fantastique, extraordinaire. Il est au niveau de son interlocuteur. Si c’est la femme de ménage où le serveur qui le rencontre, il est à ce niveau-là. Quel que soit son interlocuteur, il ne domine pas. Il rentre dans l’exercice de la modestie et avec le respect de l’autre de façon naturelle. Et c’est ça la grande leçon de Nelson Mandela, c’est une humilité fantastique.

Afrik.com : Quel regard portez-vous sur l’Afrique du Sud aujourd’hui puisque entre l’époque où vous vous y trouviez et aujourd’hui il y a eu des évolutions ?

Jean-Yves Ollivier :
Je fais beaucoup d’analogies entre Nelson Mandela et Martin Luther King sur un point. Tous les deux ont eu un rêve. Ils vont disparaître. Mandela va probablement disparaître sans que ce rêve ne se soit totalement accompli. Ce qui est magnifique, c’est que ce rêve va se perpétuer après eux. Jusqu’au moment où il va s’accomplir. Et je pense que c’est une merveilleuse leçon. Mandela va disparaître sans que la nouvelle Afrique du Sud soit telle qu’il la rêvait. Mais elle va se réaliser, parce que son rêve va, lui, rester, car il y aura des gens qui vont y adhérer.

Afrik.com : Vous considérez-vous comme un Africain de cœur ?

Jean-Yves Ollivier :
Le plus beau compliment qu’on puisse me donner c’est de me dire : « Toi tu es un Noir dans la peau d’un Blanc ». C’est une expression utilisée par beaucoup de mes amis Africains parce que j’adore l’Afrique, et je suis passionné par l’Afrique. Je regarde l’Afrique avec un regard d’Africain. C’est-à-dire je respecte les traditions. Je mange ce que l’Africain mange. Vraiment, c’est un continent que j’adore. Je pense que l’Afrique, ou on l’aime ou on la déteste. Quand j’emmène quelqu’un en Afrique, je lui dis : « Tu vas voir, ça va être l’un ou l’autre. Où tu vas adorer où tu va détester ». Généralement on aime quand on y va. Il y a peu de pays africains que je ne connaisse pas. Peu de chefs d’Etat que je ne connaisse pas. Je me suis toujours intéressé aux difficultés et conflits qui existent en Afrique. Dire que l’Afrique est devenue une de mes spécialités, non. Mais c’est un continent qui attire ma pensée, mon regard, et m’emmène à agir.

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