Jacques Schwarz-Bart, à la recherche d’une musique totale


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Jacques Schwarz-Bart
Jacques Schwarz-Bart

Jacques Schwarz-Bart a fait une entrée remarquée dans le paysage musical international. Son premier album solo, Soné Ka-La (2006, BMI), mêle jazz et gwoka, la musique traditionnelle de la Guadeloupe, l’île où il est né en 1962. Il est en concert à Paris, le 29 septembre, au Festival de Gwoka, et le 7 octobre, au Festival Vibrations Caraïbes.

Alors qu’ancien élève de Sciences Po Paris, il vient d’entamer une carrière d’attaché parlementaire au Sénat français, Jacques Schwarz-Bart, à 27 ans, décide de tout abandonner pour la musique. Il aurait pu, influencé par ses parents, André et Simone, tous deux écrivains renommés, essayer de se faire un nom dans le monde de la littérature. Mais c’est le jazz et le saxophone qui l’attirent. Il se présente au concours d’entrée de la prestigieuse Berklee School et y est admis.

Depuis, son chemin a croisé de nombreuses pointures de la musique jazz et soul américaines. Roy Hargrove, David Lacy, Erykah Badu, Steve Coleman, d’Angelo, pour ne citer que ceux-là, qu’il accompagne en concert ou sur leurs albums. Mais le gwoka, la musique traditionnelle de la Guadeloupe, son île natale, ne cesse de le hanter. Il élabore alors le projet Soné Ka-La, qui mêle jazz et gwoka, et le mûrit pendant plusieurs années. En 2006, l’album paraît et est salué par la presse française et américaine. Jacques Schwarz-Bart, qui vit aujourd’hui à New York, sera en concert les 29 septembre et 7 octobre à Paris. Il a accordé une interview à Afrik.com.

Afrik.com : Vous rappelez-vous de votre première rencontre avec le gwoka ?

Jacques Schwarz-Bart : Ma première rencontre avec le gwoka est venue à ma naissance. Ma mère est une fan de gwoka, et mon défunt père était un fervent défenseur de cette musique. Aussi, il y en avait toujours à la maison. Dès bébé, mes parents m’ont emmené a des Léwòz (Rencontre de musiciens et danseurs de gwoka), et c’est naturellement que j’y ai pris goût et commencé a battre le boula à l’age de 4 ans.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous voulu mêler jazz et gwoka ?

Jacques Schwarz-Bart : Dans un premier temps cela est venu plus d’une inspiration artistique que d’un projet délibéré. Lorsque je suis arrivé a l’école de Berklee, je me suis aperçu que j’avais tendance a entendre les rythmes de façon différente que mes camarades. Qu’il y avait quelque chose de naturellement caribéen dans mon phrasé. Et quand Phil Wilson m’a suggéré d’approcher le jazz a travers mon identité musicale particulière, le mélange avec le gwoka m’est apparu comme un évidence. Mais ce n’est que 15 ans plus tard que j’ai jugé avoir la compétence nécessaire en tant que compositeur, arrangeur, réalisateur, leader, saxophoniste et pluri-instrumentiste, afin de mener à bien cette tache monumentale et délicate a la fois.

Afrik.com : Sur l’album « Soné Ka-la », certains de vos musiciens sont originaires des Etats-Unis et d’Europe de l’Est. Comment avez-vous fait pour les faire rentrer dans l’univers gwoka ?

Jacques Schwarz-Bart : J’ai enregistré des démos de tous les morceaux dans mon studio, afin qu’il n’y ait aucune équivoque sur la façon de jouer ma musique. D’autre part, j’ai choisi des musiciens qui ont tous un sens rythmique et polyrythmique très développés, et qui comprennent la notion de groove et de syncope, au delà des figures rythmiques. Leur origine est tout a fait accessoire pour moi.

Afrik.com : Il y a une trentaine d’années, le guitariste Gérard Lockel a créé le « Gwoka moderne ». Il a été le premier à développer la musique gwoka en la jouant avec des instruments harmoniques, et plus seulement sur des tambours. Vous êtes-vous inspiré de ce travail ?

Jacques Schwarz-Bart : Gérard Lockel a ouvert la voie à toutes les expériences actuelles sur l’ouverture du gwoka à d’autres musiques. C’est un pionnier incontournable. Et j’admire énormément son travail. Néanmoins, ma musique est très différente de la sienne. D’abord la musique de Gérard Lockel n’ a pas de contenu harmonique. Alors que l’harmonie prend une place cruciale dans ce que je fais. Les techniques de composition à la fois classiques et jazzistiques sont au centre de ma musique. Aussi, le type d’improvisation que j’utilise inclut tous les moyens d’improvisations tant en termes de gammes, de modes, d’intervalles, de développements motiviques et de structures harmoniques a ma disposition, alors que Gérard Lockel voulait s’en tenir strictement aux gammes modales du gwoka. Et finalement j’utilise assez souvent les mesures composées et des rythmes impairs (5, 7, 11, etc…). Donc, je prends des rythmes de gwoka traditionnels et parfois je les re-charpente pour leur donner une expression plus sombre ou simplement différente. En gros, je recherche une musique totale et sans limite, qui s’adresse au cœur, au corps et a l’esprit, a la fois l’intellect et le mystique.

Afrik.com : Vous avez fait de brillantes études supérieures, vous êtes diplômé de Sciences-Po Paris, vous avez été assistant parlementaire, et brusquement, à 27 ans, vous avez décidé de partir étudier la musique aux Etats-Unis. Pourquoi cette rupture ?

Jacques Schwarz-Bart :Je me suis sévèrement trompé de vocation. Et ce qui était perçu extérieurement comme une réussite sociale est très vite devenu un cauchemar pour moi. De plus je venais de découvrir le saxophone juste avant de prendre mes fonctions dans la haute administration. J’ai vite pu comparer la voie musicale a la voie politico-administrative, et en tirer la conclusion que je m’acheminais vers une vie de frustration profonde a moins d’opérer un changement drastique. Et donc j’ai pris mes testicules dans une main et mon saxo dans l’autre et j’ai démissionné de mon poste d’assistant parlementaire pour partir étudier a l’école de musique de Berklee a l’age de 27 ans, alors que je n’avais commencé le sax que 3 ans plus tôt…)

Afrik.com : Vous avez joué avec des pointures du jazz US, telles que Roy Hargrove ou David Gilmore. Est-il difficile de rentrer dans la grande famille du jazz américain lorsqu’on n’est pas issu du sérail ?

Jacques Schwarz-Bart : Oui. C’est une tache très difficile. Car les places sont déjà chères pour les Américains, alors pour les étrangers…. Je pense que mon assise rythmique et mon oreille ont beaucoup contribué a l’intérêt que m’ont porté certaines pointures a New York. Mais cela ne s’est pas fait sans mal. L’adaptation humaine a souvent été difficile. Il m’a fallu accepter de comprendre autrui sans espérer être compris en retour. Mais cet exercice d’écoute m’a beaucoup aidé a grandir humainement.

Afrik.com : Quel regard portez-vous, depuis les Etats-Unis, sur la musique caribéenne d’aujourd’hui ? Avez-vous l’impression qu’elle se développe ou qu’elle s’appauvrit ?

Jacques Schwarz-Bart :Il semble que certains mouvements, tels que le zouk, s’appauvrissent. Je trouve que le zouk love est bien moins intéressant que le zouk de Kassav par exemple. Mais il y a d’autres mouvements qui semblent tirer la musique vers l’avant. L’intégration du gwoka dans un nombre croissant de projets est un progrès a mes yeux. Dominique Coco, Tania St Val, AdmiralT, et bien d’autres s’y essaient dans la musique populaire. Franck Nicolas, Christian Amour, Alfred Memel, Christian Laviso et bien d’autres dans le domaine de la musique instrumentale. Donc je dirai que le paysage est positif dans l’ensemble et j’ai bon espoir que de nouvelles générations de musiciens feront avancer les choses beaucoup plus loin.

Afrik.com : Avez-vous un nouvel album en préparation ?

Jacques Schwarz-Bart : J’ai beaucoup d’albums en préparation. Le premier sera un deuxième opus de Soné Ka La. J’espère l’enregistrer avant l’été 2008. J’ai aussi des projets de collaborations avec la chanteuse Stephanie McKay et bien d’autres….

Afrik.com : Avez-vous déjà eu l’occasion de travailler avec des musiciens africains ?

Jacques Schwarz-Bart : Oui. Lionel Loueke, Hervé Samb, Cheik Tidiane Sek, Richard bona, André Manga, Etienne Mbappé, Ali Keita, Abou Diarrassouba, pour n’en citer que quelques uns. Ma dernière expérience fut d’être invité par Karim Ziad et Ahmid el Kasri pour jouer aux festivals Gnaoua d’ Essaouira et de Casablanca. Ce fut une expérience très profonde pour moi. Une redécouverte de mon être d’ordre mystique. Je pense que l’esprit de la musique Gnaoua me possède et restera en moi pour toujours…

Afrik.com : Avez-vous des projets en direction de l’Afrique ?

Jacques Schwarz-Bart : Je suis sûr que ma connexion profonde avec les musiciens gnaouas portera des fruits tôt ou tard. Je souhaiterais aussi faire un projet avec Cheik Tidiane Sek. J’ai beaucoup d’options a envisager avant de m’arrêter sur un concept défini.
Mais il est certain que l’Afrique est au cœur de ma démarche et de mon inspiration ! Beaucoup de critiques font entrer ma musique dans la catégorie du jazz africain… Je pense qu’ils ont raison, en l’occurrence. Le gwoka est une musique dont la souche africaine est évidente a la première écoute !

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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