« Il ne faut pas diaboliser Gbagbo »


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Laurent Gbagbo
L'ancien Président ivoirien, Laurent Gbagbo

Il faut arrêter de diaboliser Laurent Gbagbo dans la crise ivoirienne car les ex-rebelles n’ont jusque-là montré aucun geste de bonne volonté pour trouver une solution à la situation. Pour Laurent Dona-Fologo, le préalable aux changements législatifs dans le pays reste l’amorce du désarmement. Le président du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire estime par ailleurs que la radio RFI a été une des armes les plus nocives de la rébellion.

Comment analyser l’actuelle situation en Côte d’Ivoire ? Pour le Président du Conseil économique et social de Côte d’Ivoire, il ne faut pas jeter la pierre uniquement au chef de l’Etat, mais considérer la responsabilité des ex-rebelles dans l’inertie du processus de réconciliation. Laurent Dona-Fologo estime qu’il ne saurait y avoir de mesures législatives ou de modifications constitutionnelles sans que le pays soit unifié. D’où l’impérieuse nécessité de s’occuper en premier lieu du désarmement. Il revient également sur le rôle de RFI dans la crise ivoirienne et ses désaccords avec Henri Konan Bédié, l’actuel président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dont il est toujours membre.

Afrik : Quel est, selon vous, l’origine du blocage de la situation en Côte d’Ivoire ?

Laurent Dona-Fologo : Le problème ivoirien a été mal compris aussi bien à Marcoussis qu’à Kléber. Ce qui fait que les accords conclus sont difficiles à mettre en œuvre sur le terrain. On ne pouvait pas s’attendre à mieux à Marcoussis, vu que tous les protagonistes du conflit étaient présents à la table des négociations. A Kléber, le Président a fait l’objet d’une humiliation que nous n’avons jamais admise. Il s’agissait d’un règlement de compte opéré avec la volonté de punir. La France n’avait sans doute pas admis l’accueil houleux dont avait fait l’objet Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, lors de son voyage à Abidjan. On a traité Laurent Gbagbo avec mépris. On lui a imposé des ministres qui savent à peine écrire. On lui a fait nommer son Premier ministre depuis Paris, ce qui est pour le moins incongru !

Afrik : Que faut-il garder de Marcoussis ?

Laurent Dona-Fologo : Il faut garder l’essentiel de Maroussis, mais il faut reconnaître et respecter le fait que le chef de l’Etat reste la clé de voûte du système présidentiel en Côte d’Ivoire. Il faut assouplir certains articles de la constitution, mais seulement dans le cadre prévu par celle-ci.

Afrik : Comme quel article ?

Laurent Dona-Fologo : Comme l’article 35 sur les conditions d’éligibilité qui stipule que le candidat doit être de père et de mère ivoiriens et ne pas s’être prévalu d’une autre nationalité. Si c’est le prix de la paix on peut modifier ce texte de loi. Mais pour qu’il le soit, il faut qu’il soit adopté par les 2/3 des députés à l’Assemblée pour qu’il puisse ensuite être voté par référendum. Il est possible de contourner le référendum si 4/5 des députés adoptent les modifications de la loi. Tout le monde semble vouloir ignorer une constitution qu’ils n’ont pourtant jusque-là pas remise en cause. Marcoussis n’a pas abrogé la constitution. Et personne, parmi les ex-rebelles, ne l’a refusée. Alors dans ce cas, agissons dans les cadres prévus par celle-ci.

Afrik : N’existe-il pas un moyen pour le chef de l’Etat de passer outre l’Assemblée nationale ou le référendum ?

Laurent Dona-Fologo : Certains parlent de l’article 48, qui permet au Président de s’arroger les pleins pouvoirs quand la nation est en péril. Mais on ne demande pas une telle chose deux ans après le début des événements ! C’est un piège dans lequel Laurent Gbagbo ne tombera pas.

Afrik : Beaucoup de personnes fustigent le Chef de l’Etat en l’accusant d’être à l’origine des blocages actuels …

Laurent Dona-Fologo : Il n’est pas juste de diaboliser le Chef de l’Etat. Aujourd’hui nous ne voyons pas ce que les rebelles ont fait comme acte depuis Marcoussis pour arranger la situation. La région qu’ils occupent s’appauvrit d’avantage, les banques sont fermées, comme les écoles et les hôpitaux.

Afrik : Que faudrait-il faire selon vous ?

Laurent Dona-Fologo : Si on imagine organiser un référendum en Côte d’Ivoire, il faut que nous puissions faire campagne dans le pays. Or, aujourd’hui cela reste impossible. Si l’on doit hiérarchiser les priorités, il faut d’abord commencer le désarmement.

Afrik : A l’issue d’Accra III, il a pourtant été convenu que les changements de loi devaient précéder le désarmement

Laurent Dona-Fologo : Les textes n’étaient pas aussi clairs que cela. Mais disons qu’il faut qu’il y ait une avancée concomitante des choses. Il faut qu’il y ait un début de geste de bonne volonté pour faciliter la tâche de ceux qui veulent que la loi soit votée.

Afrik : Comment analysez-vous la position de la France dans la crise ivoirienne ?

Laurent Dona-Fologo : Depuis la fin de la guerre froide, nous sommes parfaitement conscients que beaucoup d’Etats n’ont de souveraineté que le nom. La France, si elle l’avait voulu, aurait très bien pu régler rapidement la situation. Elle a adopté une position assez floue à l’égard des autorités ivoiriennes. Il faut dire que Gbagbo n’est pas l’homme de la France. C’est un homme de gauche, alors que la France est actuellement à droite. Quand Bédié a été renversé, Lionel Jospin (socialiste, ndlr), qui était alors Premier ministre, n’a pas levé le petit doigt pour faire quelque chose.

Afrik : Pourquoi assiste-t-on à une hostilité croissante à l’égard de la France en Côte d’Ivoire ?

Laurent Dona-Fologo : L’amitié franco-ivoirienne est menacée. Il y a un sentiment d’hostilité qui est aujourd’hui présent. Beaucoup ont été déçus par l’attitude de la France. Le 43 Régiment d’infanterie de marine présent en Côte d’Ivoire aurait dû aider automatiquement le gouvernement quand les événements ont commencé. Il est par ailleurs impossible que la France ne soit pas au courant de qui finance la rébellion. La France n’a pas bien traité notre problème. Elle a perdu en cela beaucoup de terrain en Côte d’Ivoire. Les Patriotes ou les rebelles ont le même âge. Blé Goudé (le leader des « Jeunes patriotes », ndlr) ou Guillaume Soro (Secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d’ivoire, MPCI, ndlr), sont de la même génération. Tous deux sont fait du même bois et sont issus du même milieu étudiant.

Afrik : Pourquoi êtes-vous extrêmement critique à l’égard du rôle joué par Radio France Internationale dans la crise ivoirienne ?

Laurent Dona-Fologo : RFI a été une des armes les plus nocives de la rébellion. Donner la parole aussi souvent à Guillaume Soro nous a nui. Cela lui accordait une importance et une légitimité qu’il n’aurait jamais eue sans ce puissant relais d’information.

Afrik : Vous êtes membre du MPCI. Quelles sont vos actuelles relations avec l’actuel président du parti, Henri Conan Bédié ?

Laurent Dona-Fologo : Je suis toujours membre du PDCI, mais tant que Bédié en sera le président, je ne serais pas un militant actif. Je suis un houphouetiste originel, je reste fidèle à sa mémoire et je ne crois pas qu’il aurait souhaité que son parti soit dirigé comme il l’est actuellement.

Afrik : Votre différent avec Monsieur Bédié est-il irrémédiable ?

Laurent Dona-Fologo : J’ai créé un mouvement qui n’est pas un parti politique. Je contrôle 12 députés à l’Assemblée. Je suis tout à fait disposé à discuter avec Bédié mais il n’a pas l’humilité de le faire.

Afrik : Que pensez-vous de l’actuelle alliance Bédié/Ouattara (Rassemblement des républicains, RDR) ?

Laurent Dona-Fologo : Je ne suis pas contre une réconciliation mais je ne crois pas que ce soit très profond. Il s’agit pour moi d’une fraternité de circonstance où Bédié n’a même pas pris la peine de réunir le bureau politique pour en discuter. S’il avait vraiment été frère avec Ouattara en 1993, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

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