Gestion des déchets médicaux : un casse-tête pour les hôpitaux africains


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En Afrique, avec le peu de moyens humains et financiers dont disposent les établissements sanitaires, la situation liée à la gestion des déchets médicaux est critique. La majorité des hôpitaux du continent n’assure pas correctement la gestion de ses déchets médicaux ce qui représente un risque de contamination tant pour la population que pour l’environnement.

(De notre correspondant)

Après une enquête minutieuse, réalisée au Mali mais aussi au Bénin, au Cameroun et au Gabon avec l’appui de collègues du programme Sjcoop (Science journalism corporation) de la Fédération mondiale des journalistes scientifiques, nous sommes en mesure de vous livrer les dernières informations disponibles sur la gestion des déchets médicaux dans ces pays. Des agents de santé témoignent. Des témoins confirment. Des praticiens tentent d’expliquer. Des médecins montrent les dangers. Et des spécialistes essayent de comprendre. Voici le résultat de nos investigations…

« A la maternité Joséphine Bongo, les chiens trainaient les placentas des femmes qui avaient accouché. A l’hôpital général de Libreville, on a vu des chiens qui se baladaient avec le bras d’un être humain ». Ces faits ne sont pas des histoires, ni des contes imaginés par le pasteur Gaspard Obiang du Gabon. Ce sont bel et bien les conséquences catastrophiques de la gestion des déchets médicaux en Afrique. Peut-on vraiment parler de gestion des déchets hospitaliers sur le continent ? Difficile de l’affirmer car dans beaucoup de nos hôpitaux africains, on traite les déchets biomédicaux parfois comme des déchets ordinaires. Seringues, tests de laboratoire, placentas, membres amputés, etc… côtoient les déchets issus des cuisines dans des poubelles en plein air.

Pire, la plupart des établissements sanitaires du continent, qu’ils soient privés ou publics, a recours le plus souvent aux collecteurs d’ordures ménagères pour se débarrasser de leurs déchets. Amadou, jeune éboueur, la trentaine, teint noir, taille moyenne, sillonne chaque jour plusieurs établissements sanitaires de la commune VI du district de Bamako, pour collecter ces déchets. Il fait son travail sans gants ou moyens de protection adéquats. Pire, il ignore les règles élémentaires de collecte des déchets médicaux.

Un danger permanent

Cela fait maintenant quelques années qu’Amadou collecte les déchets médicaux pour ensuite les déverser dans les différents dépotoirs d’ordures de la capitale malienne. « Je n’ai aucune qualification requise pour ramasser les déchets médicaux. Un jour, une aiguille de seringue m a blessé au doigt. Ce jour-là, je n’avais pas porté de gant de protection. Pire, ceux que nous portons ne sont pas appropriés », raconte notre éboueur. Amadou ignorait tous les risques qu’il encourait. « Je ne savais pas que la collecte des déchets médicaux pouvait être aussi dangereuse », confesse-t-il.

Le danger est permanent, tapis dans l’ombre. Déjà pour l’environnement, les sols sur lesquels ces déchets sont déposés, mais aussi pour ceux qui les manipulent sans protections. « On peut considérer les déchets biomédicaux comme une synthèse des différentes maladies qui existent étant donné que ça provient des différents services. Vous comprenez que toutes les maladies peuvent se retrouver là-bas et le risque de contracter ces maladies est très élevé lorsque vous ne prenez pas de dispositions pour vous prémunir », soutient Jean Marie Takam, ingénieur biomédical et de génie sanitaire au Cameroun.

Un risque pour la population

Malgré ces risques, ce sont des milliers de jeunes Bamakois qui s’adonnent à ce travail de collecteurs d’ordures sans en connaitre les dangers. Le plus souvent, ils sont utilisés naïvement par des patrons attirés par le profit. « Je reconnais que la collecte des déchets médicaux est dangereuse pour mes agents. Mais on ne voit que le coté argent », reconnait une responsable d’entreprise chargée de la collecte des déchets médicaux a Bamako. Pour elle, seul l’appui des autorités peut aider les entreprises à mieux gérer la question des déchets médicaux. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui à Bamako. Ici, dans la capitale malienne, l’écrasante majorité des établissements ne dispose pas d’incinérateur digne de ce nom. Pire, les hôpitaux et les cliniques privés ont recours aux groupements d’intérêt économique pour se débarrasser de ces objets encombrants.

C’est le cas aussi au Cameroun où les éboueurs de la société d’hygiène et salubrité travaillant aux alentours des formations hospitalières, se trouvent régulièrement face à des déchets hors du commun. Le personnel hospitalier semble n’y voir aucun véritable problème. « Quelques fois, vous pouvez trouver de façon hasardeuse quelques aiguilles et placenta, mais c’est souvent dû à la négligence de certaines personnes. Et puis vous savez qu’à la maternité on remet les placentas à celles qui en ont besoin, d’autres les prennent et les jettent à la poubelle », raconte un médecin camerounais. Pourtant, comme le dit Souleymane Sarr de l’ONG Action jeunesse Mali, les déchets biomédicaux doivent être traités différemment. Il faut une bonne organisation dans les aires et districts de santé et cela fait grandement défaut.

Les déchets médicaux, ce sont aussi des liquides. Il s’agit de toutes ces eaux usées issues des multiples services des hôpitaux, qui s’avèrent être très dangereuses pour l’environnement et l’homme. « Les déchets biomédicaux liquides, c’est tout déchet liquide provenant de l’organisme de l’être humain sur lequel on a effectué une intervention. Il faut trouver une structure bien adéquate pour gérer ces liquides car ils contiennent des germes et des microbes, sinon on risque d’infecter les autres qui sont venus faire des soins », affirme le Dr Kuassi Jean. 

Or, cet aspect est bien souvent oublié par les politiques mises en place dans les formations sanitaires. C’est par exemple le cas de l’hôpital de Yaoundé. « Effectivement, nous avons de grands problèmes de gestion des eaux usées à l’hôpital central. Beaucoup de fosses sous-dimensionnées sont très souvent remplies. Pour peu que la vidange soit retardée même d’un seul jour, les eaux circulent partout le long de la route en créant la pollution de l’air, du sol », reconnait Jean Marie Takam du service d’entretien de cet hôpital. Pire, ces eaux usées sortent parfois des morgues, comme c’est le cas dans la zone de Comè au Bénin.

Le système D dans les hôpitaux

Face à cette situation, les hôpitaux africains deviennent des adeptes du système D. Les établissements sanitaires essaient de s’organiser à leur manière afin de répondre à ce problème épineux. Ainsi, au Mali, Souleymane Sarr de AJA-Mali a mis à la disposition de plusieurs centres de Bamako des incinérateurs de fortune. « Nous avons construit un incinérateur à partir de matériaux locaux et on le fait fonctionner avec des charbons de bois et tous les déchets biomédicaux y sont incinérés », soutient-il. Mais ces incinérateurs de fortune qui fonctionnent à ciel ouvert comportent d’énormes risques pour la santé. Ils peuvent être source d’infections pulmonaires et de cancers.

Pour éviter d’en arriver à ce genre de situations malheureuses, chaque hôpital devrait avoir une politique de gestion de ses déchets biomédicaux. L’idéal ici s’avèrerait être un incinérateur conforme. « Il y a des incinérateurs spécifiques de type Mofor qui servent à fondre même ce qui est en métal pour pouvoir en faire un débris qui est inoffensif, car c’est à des températures très élevées, environ 1 000 degrés Celsius », affirme le coordonnateur de l’hôpital de zone de Come au Bénin. Au besoin, plusieurs hôpitaux pourraient se regrouper autour du même incinérateur. Seulement, à l’heure actuelle, on compte sur les doigts d’une main les formations sanitaires qui disposent d’incinérateurs dans nos pays, qu’il s’agisse du Bénin, du Mali ou ailleurs. Au Cameroun par exemple, la capitale Yaoundé, avec tous ses hôpitaux de référence, n’a que deux incinérateurs comme le dit Luc Fouda. A Bamako, seul le Chu du point G dispose d’un incinérateur digne de ce nom.

Outre ces incinérateurs, une bonne gestion des déchets médicaux passe aussi, selon Souleymane Sarr, par un travail en amont dans chaque formation hospitalière. Le tri doit être effectué à la base à travers la sensibilisation du personnel : « On doit sensibiliser le personnel des hôpitaux à avoir 3 sortes de poubelles : les déchets piquants dans une, les médicaments et flacons de labo dans une autre et les placentas et autres organes dans une autre poubelle avant d’aller dans l’incinérateur », note-t-il. Un point de vue qui interpelle les autorités compétentes qui tentent tant bien que mal de trouver une solution durable à la gestion des déchets médicaux.

Ainsi, au Bénin, on parle de la mise en service d’une quinzaine d’incinérateurs. Au Mali, le professeur Adama Diawara de l’agence nationale des hôpitaux a dirigé une étude sur la question : « La gestion des déchets va au-delà du seul Ministère de la Santé et si on veut une véritable prise en charge de cette question, il faut une collaboration avec le Ministère de l’Environnement. Et au niveau des établissements sanitaires, il faudrait qu’il y ait une organisation pour mieux gérer la question. Que ceux qui produisent les déchets soient bien formés pour faire le tri. Que l’évacuation aussi soit assurée par des gens formés », soutient-il.

Encore des efforts à faire

Ces recommandations sont partiellement suivies par les autorités sanitaires qui mettent plutôt l’accent sur la formation et le suivi des agents. Mais cette formation reconnait un cadre du service d’hygiène de la direction national de la santé du Mali, ne parvient pas à couvrir l’ensemble des acteurs chargés de la gestion de déchets hospitaliers.

Selon M. Bocoum du service d’hygiène de la direction nationale de la santé, les autorités s’emploient tant bien que mal à fournir les établissements sanitaires du pays en matériels de collecte : « Il existe un système de gestion des déchets médicaux qui prend en compte toutes les étapes de la gestion des déchets bio médicaux. Cela avec l’appui des partenaires techniques et financiers. Depuis 2002, toutes les structures sanitaires du pays disposent d’un plan de gestion des déchets médicaux », soutient-il. « Mais nous sommes confrontés à certains comportements déplorables de nos agents qui ne respectent pas les procédures normales en la matière. Malgré cela, un système de transport des déchets a été mis en place. Cela pour le traitement sanitaire des déchets dans les établissements qui respectent les normes de traitement en la matière », soutient M. Bocoum

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