France-Rwanda : le procureur réclame la condamnation de Pierre Péan


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Le journaliste et écrivain français comparaissait depuis mardi au tribunal de Paris pour « complicité de diffamation raciale et complicité de provocation à la discrimination, à la violence et à la haine raciale envers les Tutsi ». SOS racisme et l’association des Tutsi Rwandais Ibuka sont à l’origine de la plainte. Ils lui reprochent d’avoir publié dans son livre Noirs fureurs blancs menteurs consacré au génocide de 1994 au Rwanda des clichés à caractères racistes à l’encontre des Tutsis. L’affaire a été mise en délibéré jeudi. La décision du président du tribunal Philippe Jean Drher reste attendue.

« Nous avons été blessés. Ce livre a rouvert nos blessures et rendu difficile la guérison ». Au troisième et dernier jour du procès de Pierre Péan accusé de racisme anti-Tutsi, l’un des rescapé du génocide de 1994 expose ainsi son sentiment à l’égard de Noirs fureurs, blancs menteurs, livre qui vaut un procès au journaliste français. Marcel Kabanda, la quarantaine entamée, est président en France de l’association Ibuka, dédiée au devoir de mémoire des victimes Tutsi. Ce jeudi matin, il a longuement témoigné devant le tribunal, pour tenter d’invalider les thèses défendues par Pierre Péan dans son livre consacré au génocide au Rwanda.

En 2005, le livre de Pierre Péan, journaliste d’investigation et auteur qui n’en est pas à son premier coup d’éclat – il est notamment coauteur de la face cachée du Monde-, sort chez Fayard dans la collection des « mille et une nuits » Noirs fureurs, blancs menteurs. Ce volumineux pavé se veut, selon lui, une relecture du génocide qui, une décennie plus tôt, avait fait plus de 800 000 morts au Rwanda.

Ramant à contre-courant de l’opinion généralement répandue, Pierre Péan y défend la thèse du double génocide : ce n’est pas une seule ethnie (les Tutsi) qui a été victime des tueries. Au contraire Hutu et Tutsi se seraient entretués dans une énorme guerre interethnique dont l’auteur fixe le point de départ dans la soirée du 6 avril 1994 au moment de l’attentat aérien qui coûta la vie aux présidents Habyarimana (Rwanda) Cyprien Ntaryamira (Burundi), ainsi qu’à plusieurs hauts responsables du Rwanda et du Burundi, qui revenaient de Tanzanie, où ils avaient participé à un sommet consacré aux crises burundaise et rwandaise.

Les Tutsi accusés de véhiculer « la culture du mensonge »

Le journaliste, déterminé à rétablir l’honneur de la France à qui certains observateurs attribuent une part de responsabilité dans le génocide, n’est pas seul à défendre cette lecture des événements sanglants de 1994. Mais ce qui ce qui provoque l’ire des associations comme Ibuka et SOS racisme, ce sont des passages de son livre qui traitent les Tutsi de menteurs congénitaux et de manipulateurs.

Reprenant les clichés véhiculés dans les années 1940 par Paul Dresse, proche de l’extrême droite belge et auteur d’une étude douteuse sur les Tutsi du Rwanda, Pierre Péan y affirme par exemple que « la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis, et dans une moindre part, par imprégnation, chez les Hutus ».

D’où la plainte déposée en 2006 par SOS Racisme et Ibuka. Les deux associations accusent l’auteur et Fayard, son éditeur, de complicité de diffamation raciale et complicité de provocation à la discrimination, à la violence et à la haine raciale envers les Tutsi. « On a affaire là à une essentialisation désagréable des êtres humains. Il parle de l’ensemble des Tutsi qu’il qualifie collectivement de menteurs. Cela revient à trouver une qualité commune à toute une ethnie », a expliqué Guillaume Ayne, Directeur général de SOS Racisme, à Afrik.com. Pour lui, la rigueur habituellement reconnue au journaliste, sa qualité de spécialiste de l’Afrique, tout comme la large diffusion de son ouvrage qui s’est vendu à plus de 12000 exemplaires constituent des facteurs aggravants.

Pierre Péan a cité entre autres témoins le député UMP de Paris Bernard Debré, ministre de la Coopération, au moment du génocide et partisan comme lui de la thèse du double génocide et Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée sous Mitterrand.

« Ce livre sent la haine »

Même s’il s’est ému au point de fondre en larme, mercredi, au deuxième jour du procès, lorsque dans son témoignage l’ancien président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), Benjamin Abtan, l’a implicitement accusé de négationnisme et comparé son livre au Mein Kampf d’Adolf Hitler, Pierre Péan demeure ferme sur sa position. Il a ainsi qualifié le procès de « flétrissure ». Pour lui, ses adversaires ne sont que des menteurs à la solde de Paul Kagamé, le président Rwanda.

Selon le journaliste, Paul Kagamé, dont le gouvernement a rendu public il y a plusieurs jours son propre rapport mettant solidement en cause la France dans l’exécution du génocide, manœuvrerait en coulisse pour échapper aux poursuites diligentées contre lui par le juge français Bruguière. « Il s’agit là d’une simple stratégie judiciaire qui vise à délégitimer notre action. Nous ne sommes pas du tout téléguider par le Rwanda », plaide Guillaume Ayne. Marcel Kabanda ne dit pas autre chose : « Ce livre sent la haine. Je n’ai jamais rencontré Kagamé. Pierre Péan cherche à protéger des personnalités françaises. Ce faisant, il nous cause un grand tort ».

Les plaignants souhaitent donc que le tribunal de Paris rétablisse la vérité et l’honneur bafoué. Mais chacun voit différemment la solution appropriée. Pour SOS Racisme, il s’agit avant tout de faire œuvre de pédagogie. « Nous voulons mettre en garde contre ce genre de généralisation qu’on trouve dans certains passages douteux du livre. Notre objectif premier n’est pas d’obtenir l’interdiction du livre, car il a déjà été largement diffusé », affirme Guillaume Ayne. Ibuka de son côté veut obtenir plus. « Il faudrait que ce livre soit retiré du marché, et que Pierre Péan présente des excuses écrites à l’endroit des victimes et des rescapés du génocide », souhaite Marcel Kabanda.

Le procureur de la République est allé dans leur sens, puisqu’il a requis la condamnation de Pierre Péan et de Fayard son éditeur, même s’il a laissé la peine à l’appréciation du juge. L’affaire a été mise en délibéré.

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