France : des sans-papiers évacués du siège d’un syndicat patronal


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Sakomima

Des travailleurs sans papiers du bâtiment ont été évacués mercredi du siège du syndicat patronal de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), occupé depuis 16 jours. Les grévistes espèrent leur régularisation, pour pouvoir bénéficier de la sécurité sociale et de la retraite pour lesquelles ils cotisent. La FNTP tente de se dissocier du mouvement, pour éviter que ne soient trop évoquées les pratiques d’exploitation des sans-papiers dans le secteur du BTP.

L’ambiance est tendue, ce mercredi, au siège parisien du syndicat patronal de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Les sans-papiers qui l’occupent depuis le 12 octobre savent que la police doit les en déloger sous peu. Une ordonnance du Tribunal de grande instance de Paris leur a en effet donné la veille l’ordre d’évacuer les lieux dès 14 heures.

Le matin même, un autre lieu de la capitale a déjà été évacué par les forces de l’ordre. Les sans-papiers ont ensuite occupé pendant deux heures le siège de la Fédération française du bâtiment (FFB), l’autre syndicat patronal du BTP, jusqu’à l’intervention de la police.

Des sans-papiers qui cotisent sans être protégés

« Je suis rentré le premier », dit Benyahia, du syndicat CGT Construction, qui ajoute : « Nous étions 150 le premier jour, nous sommes désormais environ 500 ». Les relations avec la FNTP se sont jusque-là bien passées, assure-t-il. L’organisation a évacué le 22 octobre son personnel « pour des raisons de sécurité ». Mais, selon Benyahia, « les gens continuent de travailler normalement, c’est pour avoir un prétexte devant le juge que la direction de la FNTP l’a fait ».

SakomimaLes travailleurs présents sont en majorité des hommes d’Afrique subsaharienne, avec également quelques Maghrébins. Travailleurs du bâtiment, ils n’espèrent qu’une chose : que leur lutte les mène à la régularisation. Plusieurs Maliens sont assis dans les fauteuils design du hall d’entrée ; deux d’entre eux acceptent de raconter leur expérience. Sakomima, 23 ans, est arrivé en France en 2004. Il explique avoir travaillé avec les papiers d’un ami, mais être désormais « en galère ». « Sans papiers, je ne peux pas travailler. Comment manger alors ? Je n’ai pas le droit de voler ! », s’exclame-t-il.

Tout comme Moussa, 38 ans, Sakomima insiste sur le fait qu’il paye des impôts en travaillant. C’est ce que Benyahia appelle le « salaire différé », c’est-à-dire la part de cotisations sociales qui ouvre en théorie la porte à des prestations comme la sécurité sociale ou la retraite. « Mais, quand on est sans papiers, on paye sans rien toucher ! », s’indigne-t-il.

La discrétion de la FNTP

Le siège de la FNTPTout d’un coup, quelqu’un entre et crie : « La police arrive ! ». Quelques minutes plus tard, une centaine d’hommes interviennent, principalement des gendarmes. Beaucoup sont chargés de parcourir le bâtiment à la recherche de récalcitrants. Mais l’évacuation se fait dans un calme relatif. Chacun savait ce qui devait arriver et certains, comme Moussa, sont des vétérans de la lutte pour la régularisation.

Seul un représentant de la FNTP se montre très énervé, alors que pénètrent les forces de l’ordre. « Pas de journalistes, pas de journalistes ! », répète-t-il de manière agressive. Le syndicat patronal semble craindre fortement pour son image. Le logo de l’organisation a été retiré du mur du bâtiment.

La FNTP, épinglée en 2008 par Rue89 pour son système abusif de caisses de congés payés, entend éloigner toute menace de polémique. Sa ligne de défense est que les revendications des travailleurs concernent uniquement le gouvernement. Le syndicat patronal annonce ne pas comprendre la raison pour laquelle son siège a été occupé.

Il a pourtant maintes fois été prouvé que de nombreux employeurs du bâtiment profitent sciemment de la situation des travailleurs en situation irrégulière. « Il s’agit pour eux de réduire le coût de production », explique Benyahia. Fin 2008, sur le plateau de l’émission télévisée Les Infiltrés, diffusée sur France 2, le secrétaire général de la CGT Construction, Eric Aubin, affirmait que lors d’une réunion de travail, un responsable de la FNTP lui avait déclaré que les sans-papiers avaient tout à fait leur utilité en ces temps de crise, car les travailleurs en situation légale étaient rassurés de savoir qu’ils n’allaient pas être les premiers touchés par les licenciements.

La sous-traitance est le biais couramment utilisé par des grands groupes du BTP pour échapper aux responsabilités légales. Les employeurs ferment les yeux sur la situation des sans-papiers, et les renvoient d’un claquement de doigts quand ils n’en veulent plus. « J’ai travaillé 8 ans et demi dans la même boîte, puis un jour mon patron m’a dit que mes papiers n’étaient pas valides », explique Moussa.

Lutte des sans-papiers « acte II » : vers une circulaire

Sit-in des sans-papiersLe mouvement des sans-papiers, qui s’étend depuis le 12 octobre à toute la région parisienne, a pris le nom d’« acte II », en référence à la fructueuse lutte de 2008. 4 100 travailleurs se sont progressivement mobilisés, et occupent aujourd’hui une quarantaine de sites. Sont principalement touchés les secteurs précaires de l’intérim, de la restauration, du BTP, du nettoyage et de la sécurité. Deux cents femmes travaillant dans l’aide à la personne ont également rejoint le mouvement.

La grève a commencé suite à l’absence de réponse du Premier ministre à une lettre, envoyée le 1er octobre par un collectif de 5 syndicats (CGT, FSU, Solidaires, CFDT, UNSA) et 6 associations (LDH, Cimade, Femmes Egalité, Autremonde, RESF, Droits Devant !!). Celle-ci pose la revendication que soit rédigée une circulaire ministérielle de régularisation. « Les critères de régularisation varient suivant les préfectures, justifie Benyahia, nous voulons donc une décision centralisée ». Le Conseil d’Etat a annulé vendredi la précédente circulaire, datant de 2008, celle dont l’application est critiquée.

Plusieurs réunions ont eu lieu au ministère de l’Immigration. Les discussions portent désormais sur le contenu de la nouvelle circulaire et les critères de régularisation. La prochaine se tiendra vendredi. Malgré la vigueur du mouvement, qui pousse le gouvernement à la négociation, la couverture médiatique française reste relativement faible.

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