Fier d’être pygmée


Lecture 8 min.
arton22399

Les pygmées ne sont pas des curiosités ethnologiques et encore moins des pièces de musée. Discriminés pour leur petite taille et leur mode de vie, leur salut passe par l’éducation, estime le congolais Kapupu Diwa Mutimanwa, coordonnateur du REPALEAC (Réseau des peuples autochtones d’Afrique centrale). Participant au FIPAC 2 (Forum international sur les peuples autochtones d’Afrique centrale), qui se déroulait du 16 au 19 mars, à Impfondo, en République du Congo, il nous a accordé un entretien.

C’est à la force des poings que Kapupu Diwa Mutimanwa se faisait respecter, lorsqu’enfant ses camarades de classe le dénigraient. Aujourd’hui, le verbe haut et la tête bien faite, c’est avec les mots que le coordonnateur du REPALEAC défend la cause de ses frères pygmées. Ce statut de leader, il l’a en partie reçu en héritage. « Ma famille était à la cour royale de Bamila, dans le Kivu (Est de la RDC). C’est nous qui donnons le pouvoir aux Mwani car, symboliquement, nous sommes les dépositaires des terres », explique-t-il. Formé à l’école des missionnaires puis aux universités de Bukavu, en RDC, et de Genève, en Suisse, il est aujourd’hui licencié en sciences commerciales et financières et expert en développement. Un niveau d’étude peu fréquent chez les pygmées qui ont encore un accès limité au système scolaire. Son ascension, il la doit aussi à un coup de pouce du destin.

« À la fin des années 80, à cause de mes déclarations, j’étais tout le temps au cachot, se rappelle-t-il. Lors d’un passage du président Mobutu dans le Kivu, on lui a dit qu’un pygmée faisait un discours. Il a demandé : dans quelle langue ? Quand on lui a répondu que c’était en français, il n’en a pas cru ses oreilles ! C’est comme ça que j’ai été nommé assistant du représentant zaïrois du CEPGL (Comité économique des pays des grands lacs) ». Pour M. Diwa Mutimanwa, l’émancipation des pygmées, n’en déplaise aux adorateurs d’images d’Epinal, passe par l’éducation et la maîtrise des outils du monde moderne. Premier pygmée du Congo-Kinshasa à avoir fondé une association, une ligue nationale puis un réseau international de défense des peuples autochtones, il a sillonné les cinq continents pour plaider une cause qu’il entend bien léguer à ses enfants.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de défendre la cause des pygmées ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : De 1988 à 1990, je travaillais comme assistant du représentant zaïrois du CEPGL. Je voyais que j’avançais, mais que la vie de mes frères était toujours difficile. Je me suis dit : à quoi bon progresser seul, alors que mes frères sont dans le dénuement, victimes de discrimination, de marginalisation ? Je devais relever le défi. Pour cela, en 1991, j’ai créé une association avec mes parents, à Bukavu, dans l’est de la RDC. Je l’ai appelée le PIDP (Programme d’intégration et de développement du peuple pygmée au Kivu). J’ai commencé par l’identification des pygmées dans le Kivu. Personne ne savait où ni combien ils étaient. Chacun les considérait comme des esclaves, des sous-hommes. Tous les travaux pénibles et nauséabonds étaient pour les pygmées… Le PIDP fut la première structure des peuples autochtone en RDC. J’ai emmené pour la première fois, en 1994, des autochtones dans la ville de Bukavu. C’était la première fois qu’ils voyaient une route goudronnée, l’électricité. Les gens voulaient les toucher, car c’était aussi la première fois qu’ils voyaient des pygmées.

Afrik.com : Et comment vous est venue l’idée de créer le REPALEAC ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : Après le PIDP, j’ai créé la LINAPYCO, la Ligue nationale des associations autochtones pygmées du Congo. Elle réunissait 32 associations. C’était en 2000, pendant la guerre civile qui a entraîné une grande dispersion des pygmées. J’ai décidé d’installer le siège à Kinshasa, pour être près des décideurs. Là, j’ai continué à plaidoyer, à faire du lobbying. J’ai créé le REPALEAC en 2006, mais l’idée date de 2003, alors que j’étais à une conférence à Kigali, au Rwanda. J’étais toujours invité par la CEFDHAC (Conférence sur les écosystèmes de forêts denses et humides d’Afrique Centrale) et la COMIFAC (Commission des forêts d’Afrique centrale). Mais au niveau sous-régional, les peuples autochtones n’avaient pas de correspondant. C’est pourquoi, avec l’aide de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), les statuts du REPALEAC ont été créés. L’un de nos objectifs principaux est l’accès et le partage des bénéfices issus de la forêt. Comment garder nos droits sur cette ressource que nous avons gérée pendant des millénaires ? Comment faire pour ne pas rester aussi pauvres ?

Afrik.com : L’idée que les pygmées sont des êtres inférieurs demeure bien ancrée en Afrique centrale. Et votre niveau scolaire fait que certains doutent même de vos origines. Pourquoi les préjugés sont-ils si tenaces ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : Avant, quand on disait « pygmée », c’était une injure. Et quand j’étais enfant, on m’appelait Cassius Clay parce que je me battais tous les jours lorsqu’on m’insultait. Un autochtone, c’est quelqu’un qui n’a pas de souliers, qui ne réfléchit pas, qui est sale. Quand vous parlez bien, que vous êtes capable de faire un discours devant une salle, vous ne l’êtes plus. Des préjugés que nombre d’entre nous se sont appropriés. Nier nous-mêmes nos propres capacités est devenu une habitude. Tout cela a une histoire. Je suis contre les ouvrages des Européens qui ont créé des mythes sur nous à l’époque où nous ne savions ni lire ni écrire. Suite à cela, en Europe, il y a eu deux écoles dont l’une dit qu’il faut que nous restions dans la forêt. Est-ce là ce qu’il y a de mieux pour nous ? Je ne le crois pas.

Afrik.com : Vous êtes diplômé de l’université. Un niveau d’études peu courant pour un pygmée, de votre génération en particulier. Comment avez-vous fait pour vous hisser jusque là ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : J’ai été poussé par les prêtres. J’étais un cobaye. Autrefois, l’on disait qu’un pygmée n’avait que 40% du quotient intellectuel des autres hommes. Et les missionnaires ont dit que non. Et j’étais celui qui devait prouver que nous étions égaux aux autres. J’ai dû travailler dur. Lorsqu’on est enfant, rester assis toute la journée derrière une table à étudier au lieu de jouer, ce n’est pas facile. Quand on partait en vacances, je ne voulais pas rentrer. Quand je ne me suis pas présenté à la rentrée, on a envoyé les policiers attraper mon père pour lui demander où j’étais. Finalement, en classe de 4ème, on a appelé mon père pour en faire la sentinelle de l’école où j’étudiais. Ca a été difficile, mais aujourd’hui je suis licencié en sciences commerciales et financières du Bukavu. J’ai aussi suivi une formation à l’institut universitaire d’étude de développement de l’université de Genève. Maintenant je suis un expert, spécialiste du développement. C’est de ça que je vis.

Afrik.com : Dans votre discours, l’éducation tient une place de première importance…

Kapupu Diwa Mutimanwa : C’est ma finalité. Si je fais tout ce que je fais maintenant, c’est parce que j’ai étudié. On manque de cadres ! A la première conférence de la CEFDHAC (Conférence sur les écosystèmes de forêts denses et humides d’Afrique Centrale), en 1996, les Blancs ont demandé s’il n’y avait pas des autochtones capables de parler en leur propre nom. C’est là qu’on a fait appel à moi. L’éducation, c’est la pierre angulaire de notre développement. Une fois que vous êtes instruit, on fait appel à vous parce que vous avez des références. En Europe, certains disent que les autochtones doivent créer leurs propres écoles. C’est ce qu’ils appellent la discrimination positive. Moi, je dis non. C’est une discrimination dans la discrimination, une marginalisation dans la marginalisation. Dans ces conditions, comment les autochtones feront-ils pour connaître leurs voisins ? C’est une idéologie du Nord. C’est du colonialisme, un moyen de toujours nous cracher sur la tête.

Afrik.com : Avez-vous des enfants ? Si c’est le cas, veillez-vous à ce qu’ils aient une éducation poussée ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : J’ai beaucoup d’enfants. Ma fille vient de terminer sa licence en droit. Elle l’a eue avec distinctions ! Elle étudie pour servir son peuple. A quoi je peux lui servir ? Elle n’a jamais cessé de se poser cette question. C’est pourquoi je voudrais qu’elle ne s’arrête pas là, et qu’elle poursuive ses études en Amérique du Sud ou au Canada, par exemple, où le combat des Inuits est très fort. L’un de mes fils a eu sa licence. Il est environnementaliste. J’insiste beaucoup sur l’importance d’étudier. Tout ça, c’est pour essayer de former des cadres et préparer la relève.

Afrik.com : Les pays d’Afrique centrale ont des positions différentes sur les peuples autochtones. Par exemple, le Rwanda, le Burundi et la Guinée équatoriale n’ont pas ratifié, en 2007, la déclaration de l’ONU sur le sujet. Comment analysez-vous ces divergences?

Kapupu Diwa Mutimanwa : Le Rwanda n’était même pas dans la salle. Car après le génocide, le gouvernement ne veut pas parler d’ethnies, de peuples autochtones, pour lui il n’y a plus que des Rwandais. Le Burundi, qui pourtant a déjà traité le problème en réservant des places aux autochtones dans les deux chambres du Parlement, a refusé de ratifier la déclaration et s’est solidarisée avec le Rwanda en s’abstenant. La Guinée équatoriale, ce sont des bandits. Ils disent : à quoi bon s’engager sur ce sujet, alors que nous n’en avons pas chez nous ? Mais on va parler de plus en plus d’autochtones, ce n’est plus un sujet tabou. Les USA, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, qui refusaient de reconnaître cette catégorie, ont adhéré finalement à la déclaration. Obama a reçu les autochtones au Congrès et les a valorisés.

Afrik.com : Comment voyez-vous l’avenir des peuples autochtones d’Afrique centrale ?

Kapupu Diwa Mutimanwa : L’avenir est ouvert sur l’horizon. Maintenant les autochtones commencent à comprendre les enjeux du combat. Avant, ils disaient : ça, c’est le combat de Kapupu, pas le nôtre. C’est de moins en moins le cas. De plus en plus de gens trouvent qu’il est temps de se réveiller et de mettre en place des réseaux internationaux et d’institutionnaliser le FIPAC. Si le FIPAC était institutionnalisé, ce serait une grande victoire pour moi. La question des autochtones ne serait plus mineure en Afrique centrale. Si tous les autochtones et les pays concernés s’inscrivaient dans cette ligne, la condition des autochtones pourrait réellement s’améliorer.

Lire aussi :

Peuples autochtones d’Afrique centrale : en marche vers la reconnaissance

Pygmées – Bantous : un amour impossible ?

Avatar photo
Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News