Faure contre Kpatcha Gnassingbé : les raisons du conflit


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Deux jours après l’arrestation de son propre frère pour tentative de coup d’Etat, le président togolais, Faure Gnassingbé, s’est adressé à ses concitoyens vendredi soir. Il a appelé la justice à agir avec la plus grande fermeté à l’encontre des auteurs de ces actes et de leurs complices. Afrik.com a tenté de comprendre les raisons du conflit qui oppose Faure à Kpatcha, tous les deux fils de feu le président Gnassingbé Eyadéma.

«Il s’agissait [pour les comploteurs] de remplacer la force de la loi par la loi de la force». C’est en ces termes que le président togolais, Faure Gnassingbé, a qualifié, dans une allocution télévisée, une action qui, semble-t-il, se tramait contre sa personne. Son propre demi-frère, Kaptcha Gnassingbé, député du Rassemblement du peuple togolais, RPT au pouvoir, s’apprêtait, selon les autorités du pays, à perpétrer un coup d’Etat. Le plan de celui-ci, selon ces mêmes autorités, consistait à contraindre à l’exil le président togolais qui devait effectuer cette semaine une tournée en Asie, ou, le cas échéant, à l’éliminer physiquement.

Les gardes du corps de Kpatcha Gnassinbgé auraient tiré en premier

L’arsenal militaire qui devait permettre de réaliser ce dessein a été présenté, jeudi, à la presse locale par le procureur de la République du Togo, Robert Bawoubadi Bakaï. Ce dernier a inculpé l’ancien ministre de la Défense de « complot » et de « tentative d’atteinte contre la sûreté de l’Etat ». L’importance de l’armement saisi surprend. Pourtant, le ministère public togolais affirme qu’il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg. Dans son message télévisé, le président togolais a indiqué à ses concitoyens que «les dimensions du projet criminel apparaissent, d’ores et déjà, dans toute leur ampleur». Mais certains observateurs de la politique togolaise sont tentés de penser à une mise en scène. Et s’il s’agissait plutôt d’une manœuvre visant, à l’approche de la présidentielle de 2010, à écarter Kpatcha Gnassingbé, soupçonné de convoiter le fauteuil présidentiel, s’interrogent certains d’entre eux ?

A cette question, des représentants des services de sécurité du Togo contactés par Afrik.com ont donné leur réponse : d’abord la fusillade survenue, dimanche soir, au domicile de Kpatcha Gnassingbé a été déclenchée par la garde rapprochée de ce dernier. Elle avait ouvert le feu sur les forces de sécurité venues interpeller le député dans le cadre d’une enquête relative à une tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. « Les gardes n’ont pas pu agir de leur propre chef », nous a-t-on indiqué, avant d’ajouter que ceux-ci « n’auraient pas reçu l’instruction de tirer sur les gendarmes si leur patron ne se reprochait rien ». Ensuite, les éléments de la Force d’intervention rapide (FIR) dont le commandant, Félix Katanga, désigné par Kpatcha comme celui qui a tenté de l’assassiner, seraient venus en renforts des gendarmes qui essuyaient déjà les tirs des gardes du corps de Kpatcha Gnassingbé. Le frère du président, nous dit-on, s’est empressé, le lendemain matin de cette fusillade, de convoquer la presse pour lui livrer sa version des faits. Son objectif : se mettre dans la position de la victime.

L’un progressiste, l’autre conservateur

La rivalité entre le député de Kara (420 km au nord de Lomé) et le chef de l’Etat est bien connue des Togolais. Des rumeurs sur la préparation d’un putsch par le ministre de la Défense, évincé par son frère en 2007, ont souvent couru à travers le pays. Il se racontait même, à Lomé, depuis fin 2007, début 2008, que Kpatcha Gnassingbé, encouragé par l’ancien Premier ministre, Agbéyomé Kodjo, envisageait de se présenter à la prochaine présidentielle face à son propre frère. Les Togolais ont perçu lors de la commémoration du dixième anniversaire du décès de la mère de Kpatcha, retransmise à la télé, la tension entre les deux frères, rapporte Afrique Magazine.

Cette tension aurait donc atteint son paroxysme ce mois-ci. Au point que le frère du président aurait choisi d’en venir aux armes. En réalité, affirme-t-on du côté du palais de Lomé 2, outre les ambitions présidentielles qu’on peut lui prêter, Kpatcha Gnassingbé s’est retrouvé dans une situation inconfortable du fait des réformes engagées par Faure Gnassingbé. Conséquence: il a opté pour le renversement de son frère. « C’était pour lui une question de survie », nous a-t-on déclaré.

Les deux frères, qui semblaient pourtant bien s’entendre au lendemain du décès de leur père en 2005, se sont très vite découvert des divergences au niveau de leurs conceptions respectives du pouvoir. Alors que le président Faure Gnassingbé est considéré comme un progressiste, animé par une volonté de changer le système hérité du défunt Eyadéma Gnassingbé, Kpatcha Gnassingbé, lui, apparaît comme un conservateur. Il est devenu, affirme un haut responsable du parti au pouvoir, «une grosse casserole que son frère traîne partout où il va». A tous les niveaux où le président togolais envisage des réformes, notamment dans les sociétés publiques, le président togolais retrouve toujours, nous dit-on, son frère cadet dans de mauvaises postures.

Jusqu’où ira la justice togolaise contre le frère du président ?

Exemple, à la Sotoco, la société togolaise du coton, dont Kpatcha Gnassingbé a été le président du Conseil d’administration, accuse un déficit de 30 milliards de francs CFA. Le frère du président serait aussi impliqué dans la mauvaise gestion de plusieurs autres sociétés d’Etat tombées en faillite et que le gouvernement peine à relancer depuis quelques années. Les institutions internationales (la Banque mondiales et le FMI) exigent un audit de ces entreprises et une action en justice contre les responsables du pillage de ces entreprises avant d’y injecter à nouveau des fonds. Kpatcha Gnassingbé, voyant venir la menace, a démissionné de tous ses postes au sein des entreprises publiques pour reprendre sa place de député à l’Assemblée nationale et jouir ainsi de l’immunité parlementaire. Il aurait même négocié des alliances avec des partis d’opposition, l’UFC notamment, afin de s’emparer de la présidence de l’Assemblée nationale. Des manœuvres qui feraient de lui la deuxième personnalité du pays et lui permettraient d’accéder à la magistrature suprême en cas de vacance du pouvoir. Une vacance qu’il pouvait provoquer lui-même…

Désormais incarcéré et inculpé de complot et de tentative d’attentat contre la sûreté de l’Etat, Kpatcha Gnassingbé semble isolé face à son frère président. Il se disait pourtant qu’il avait le soutien de l’armée togolaise et d’une frange non négligeable des barons du RPT au pouvoir. Pendant la fusillade de dimanche, à son domicile de Kégué, au Nord-est de Lomé, la capitale du pays, seul son autre grand frère, le colonel Rock Gnassingbé, qui commande le groupement des blindés des Forces armées togolaises, a daigné venir à son secours. Il n’a reçu d’autre soutien que ceux de l’ancien Premier ministre et ancien directeur du port autonome de Lomé, Agbéyomé Messan Kodjo et de certains de ses collègues de l’UFC, principal parti d’opposition.

«J’ai pris toutes les mesures avec le gouvernement pour que la justice s’exerce avec fermeté mais dans la sérénité à l’égard des auteurs de ces actes criminels et de leurs complices», a indiqué le président togolais dans son discours télévisé ce vendredi soir. Mais jusqu’où ira la justice togolaise dans la punition des auteurs présumés du coup d’Etat qui se préparait? Pas bien loin, estiment certains observateurs avertis de la politique togolaise. Jusqu’au bout, assure-t-on, de sources proches du président, et cela au risque de mettre en péril l’union de la famille et du parti. Faure Gnassingbé, qui se dit profondément attaché aux vertus familiales, devra choisir entre son frère et sa crédibilité auprès du peuple togolais. A la présidence, l’on indique que, de toute évidence, le peuple l’emportera. Affaire à suivre.

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