Droits des femmes au Maroc : le combat est loin d’être terminé


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Actes de violence envers les femmes impunis, mariages précoces en augmentation, permissivité des juges…Le Code de la famille marocain, cinq ans après sa promulgation, a toujours beaucoup de mal à s’ancrer dans les mœurs. Rabia Naciri, présidente de l’Association Démocratique des Femmes au Maroc (ADFM), revient sur les difficultés à faire appliquer la Moudawana.

L’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) est une ONG qui se revendique féministe et autonome. Elle a pour mission d’accompagner les femmes dans leur combat pour l’égalité et la citoyenneté. Cinq ans après l’entrée en vigueur du Code de la famille, la révolution annoncée n’a pas encore eu lieu. Mais la présidente de l’ADFM, Rabia Naciri, sait qu’il faut aller de l’avant. Elle pointe certains dysfonctionnements dans l’application de la Moudawana, et évoque les « gros chantiers » dans la lutte pour les droits de la femme.

Afrik.com : Comment expliquez-vous les difficultés à appliquer le Code de la famille ?

Rabia Naciri :
On a en effet énormément de difficultés à appliquer le Code de la famille. Et ceci pour deux raisons principales. D’abord pour une raison objective : c’est un texte qui a pour ambition de carrément révolutionner la vie familiale et, par conséquent, la vie sociale. On ne peut donc pas imaginer le mettre en application aussi facilement. Ensuite, pour une raison subjective : c’est que nous n’étions pas suffisamment préparés pour une telle loi. Nous n’avions pas assez de moyens.

Afrik.com : Comment expliquez-vous le fait que, malgré les restrictions draconiennes prévues par le Code, les mariages des mineurs soient toujours légion au Maroc?

Rabia Naciri :
Le problème c’est que beaucoup recourent à des stratégies de contournement de la loi. C’est le cas par exemple dans les mariages des mineurs. A ce sujet, le Code de la famille prévoit une dérogation, sous certaines conditions, pour les mineurs. Mais certains couples mineurs se marient d’abord de façon non-formelle (cérémonie religieuse, ndlr), puis vont demander au juge de régulariser leur union. Celui-ci, mis devant le fait accompli, n’a d’autre choix que de valider le mariage. Il en est de même pour la polygamie. Des gens ont recours à la même stratégie: ils prennent une deuxième femme par un mariage qu’ils ne formalisent pas, puis vont demander la régularisation, soit parce que cette femme est enceinte ou qu’elle a des enfants. Et c’est une situation dramatique. Ajoutez à cela le problème des magistrats corrompus qui vous autoriseraient n’importe quoi pour de l’argent. D’autres encore, au lieu d’appliquer la loi, se croient en devoir de protéger des valeurs patriarcales. C’est ainsi que certaines femmes victimes de maltraitances n’arrivent pas à obtenir le divorce, alors que ce droit est prévu par le Code de la famille, le « divorce pour discorde », et permet aux femmes de divorcer sans être obligées de prouver le préjudice. Le problème c’est que ces gens ne sont pas sanctionnés. Il devrait y avoir des sanctions.

Afrik.com : Est-ce ce qui est prévu par la nouvelle loi en préparation contre la violence à l’égard des femmes ?

Afrik.com :
La législation pénale marocaine est en fait actuellement ouverte à révision. Nous souhaitons profiter de cette ouverture pour faire en sorte que toutes les dispositions discriminatoires envers les femmes dans le Code pénal soient abolies. Que les hommes qui commettent des maltraitances envers les femmes soient sanctionnés. Et c’est un très gros chantier sur lequel nous travaillons aujourd’hui. A côté de cela, il y a une demande de femmes pour qu’une loi spécifique sur les violences dont elles peuvent être victimes. Mais se sont des mesures préventives pour lutter contre certains types de violences. Cette loi est axée sur la prévention.

Afrik.com : Le Maroc a annoncé récemment la levée des réserves concernant la Convention internationale de lutte contre la discrimination (CEDAW) ? Qu’est-ce que cela implique ? Et ont-elles bien toutes été levées ?

Rabia Naciri :
Cela permettra d’harmoniser la législation interne avec les textes internationaux. La convention a été ratifiée par le Maroc en 1993, mais il avait émis des réserves sur certains articles, lesquelles ont porté atteinte à l’objet même de celles-ci. A l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, on nous apprend que ces réserves ont été levées. On nous a expliqué que toutes ces réserves ont été levées dans leur ensemble. On verra.

Afrik.com : Qu’en est-il du fonds de pension devant garantir la pension alimentaire à la femme divorcée ayant la garde des enfants ?

Rabia Naciri :
Il n’a malheureusement pas encore été mis en place. A cause de la pauvreté des ménages, et aussi parce que le Maroc n’est pas encore un Etat de droit. Beaucoup d’enfants, dont les parents sont divorcés, sont jetés dans la rue. Le fonds de pension, c’est une excellente idée, que le roi Mohamed VI a eue bien avant la réforme du Code de la famille. Mais il n’a pas encore vu le jour. Il paraît que c’est un problème de montage financier.

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