Dora Abdel Razik, une journaliste égyptienne au Festival de Cannes


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Dora et Hanaa

Ce n’est pas seulement le pavillon égyptien qui représente le pays des pharaons sur la Croisette. Il y a, entre autres, la journaliste Dora Abdel Razik qui arpente depuis le 12 mai dernier le Festival de Cannes pour le faire vivre aux téléspectateurs égyptiens. Rencontre avec une star de l’info sur la planète des étoiles du cinéma.

La journaliste franco-égyptienne Dora Abdel Razik travaille pour Nile TV International depuis près de sept ans. Sa chaîne de télévision appartient au réseau de l’audiovisuel public égyptien (ERTU). Présentatrice du journal, journaliste à la rédaction du journal télévisé, elle anime aussi bien des émissions politiques que des programmes consacrés au cinéma. Ces derniers rendent régulièrement compte de l’actualité de l’industrie cinématographique en Egypte. Titulaire d’une maîtrise de langues étrangères appliquées – anglais et italien -, le journalisme est arrivé « par hasard » dans la vie de Dora alors qu’elle était en première année à l’université. Une émission musicale en Egypte dont elle apprécie le style du présentateur, l’un de ses actuels rédacteurs en chef, une demande de stage à laquelle elle ne pense pas qu’on donnera suite et voilà qu’elle se retrouve à Nile TV pour quelques mois. Son expérience journalistique se poursuit en France à RMC Moyen-Orient, à Canal + ou encore à Reservoir Prod. Cependant, son futur de journaliste, elle le voit plutôt en Egypte. Née au Caire, de parents égyptiens qui se sont installés en France alors qu’elle avait deux mois, Dorah Abdel Razik retournera donc chez elle pour faire carrière à la télé.

Afrik.com : C’est facile d’être une femme journaliste en Egypte ?

Dora Abdel Razik :
Il n’y a aucun problème. Les meilleures journalistes sont des femmes. Partout dans les institutions égyptiennes, les femmes occupent des postes de responsabilité.

Afrik.com : En Afrique sub-saharienne, les télévisions publiques souffrent du manque d’équipement. C’est le cas en Egypte ?

Dora Abdel Razik :
Pas vraiment. Nous avons des équipements comparables à ce qu’on retrouve en Europe. Parfois, nous sommes mieux équipées que certaines chaînes françaises. Le problème est plutôt au niveau des compétences. Il y a un réel besoin de formation dans nos chaînes.

Afrik.com : Vous animez une émission sur le cinéma égyptien. Etre à Cannes doit être une expérience assez singulière ?

Dora Abdel Razik :
Cannes, c’est là que ça se passe ! C’est la capitale du Septième art. C’est une fenêtre sur le monde qui permet de découvrir le cinéma tchadien, de connaître le cinéma mexicain… Je suis d’ailleurs un peu frustrée de ne pas avoir eu le temps de découvrir tout cela parce que couvrir le festival est une activité prenante.

Afrik.com : Vous côtoyez les producteurs égyptiens durant ce festival. Quel est leur avis sur cette édition ?

Dora Abdel Razik :
L’Egypte s’est doté cette année d’un pavillon à l’intérieur du village international. Les producteurs égyptiens sont un peu déçus. Car Cannes cette année, c’est vide, selon eux. Ils m’ont expliqué que l’année dernière on ne pouvait pas marcher sur la Croisette tant ça grouillait de monde. A l’intérieur du marché du film, c’était infernal. La crise serait la principale responsable de cette situation d’après les informations obtenues lors de mes différents entretiens. Il y a eu aussi le fait que les plages aient été ravagées quelques jours avant le début du festival. Mais les cendres volcaniques qui ont perturbé récemment le trafic aérien y sont également pour beaucoup. Les gens ont eu peur d’être bloqués indéfiniment sur la Croisette.

Afrik.com : On parle du retour de l’Afrique noire dans la compétition officielle. Mais il y a longtemps que l’on a pas vu un film égyptien ici ?

Dora Abdel Razik :
Depuis Chahine qui a reçu une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Ces films étaient des films d’auteurs. Ces œuvres n’étaient pas populaires. Ils étaient compris par les intellectuels égyptiens et à l’étranger. Youssef Chahine faisait d’une certaine manière des films adaptés aux festivals. Aujourd’hui, personne ne porte le flambeau de Chahine. Les Egyptiens cherchent maintenant à coproduire de façon intelligente en investissant dans des films de qualité. S’ils y parviennent, on retrouvera alors un film égyptien dans un festival aussi prestigieux que celui de Cannes.

Afrik.com : Vous avez vécu en France la majeure partie de votre vie. C’est facile de s’adapter à son pays ?

Dora Abdel Razik :
Ce n’est pas toujours évident. Même aujourd’hui, il m’arrive de penser que les gens sont sur une autre planète. Mais tout cela fait partie du jeu. En Egypte, il y a néanmoins un côte humain que l’on ne retrouve pas en France. Tout cela contribue au charme de ce pays. C’est vrai que j’ai pensé plusieurs fois rentrer en France mais je pense que j’aurai du mal à me replonger dans le bain. Quand je suis partie d’ici, j’étais très française, mais aujourd’hui, je ne le suis plus tellement. Pourtant, l’Egypte était un calvaire pour moi jusqu’à l’âge de 16 ans. Maintenant quand je suis au Caire, j’ai envie de retourner en France et vice-versa.

Dora et HanaaAfrik.com : Vous participez à la formation Canal France International (CFI) conduite dans le cadre de la 63e édition du Festival de Cannes et dont bénéficie cinq chaînes dont trois africaines. Que vous apporte cette formation ?

Dora Abdel Razik :
On apprend à travailler avec des gens qu’on ne connaît pas. C’est le cas de mon binôme, Hanaa Youssef qui est monteuse, également au sein du réseau ERTU. Il a fallu qu’on apprenne à s’accorder afin de gagner au fur et à mesure en rapidité. De fait, on a pas la même connivence qu’avec nos collaborateurs habituels. Dans ma chaîne, un regard et mon monteur sait ce que j’attends de lui. Mais aujourd’hui, Hanaa m’est d’une grande aide au quotidien. Pour en revenir à la formation elle-même, ce n’est pas facile d’autant plus que je dois répondre aux différentes exigences de CFI et de trois rédacteurs en chef, français, anglais et arabe. Je dois avouer que travailler dans cette dernière langue requiert chez moi un certain effort puisque c’est la première fois que je fais des reportages en arabe. Tout cela fait qu’on est un peu perdus, notamment les premiers jours, et que votre stress augmente. Autre chose que j’ai apprise : ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. J’ai proposé et validé de nombreux sujets sur et autour du festival que je n’ai pas pu réaliser, faute de pouvoir trouver des interlocuteurs. Parfois, c’est une question de crédibilité par rapport aux télévisions françaises et aux médias internationaux. C’est comme les stars qu’on voit tous les soirs sur le plateau de Canal + alors que l’on ne les a jamais croisées. Par ailleurs, dans le cadre de la rédaction mutualisée, on se rend compte que parfois chaque pays fait des sujets de proximité qui ne peuvent pas être forcément repris par une autre équipe. Je ne cache pas que je ressens une certaine frustration qui est bien évidemment compensée par des moments de grande satisfaction.

Dora, à l'ouverture du Festival de CannesAfrik.com : Quels sont les souvenirs que vous garderez donc de cet exceptionnel stage cannois et du festival ?

Dora Abdel Razik :
Mes trois directs sur les marches à l’ouverture du festival, mon entretien avec Gilles Jacob ou cette soirée mémorable à laquelle participait le réalisateur Martin Scorsese et le comédien Benicio del Toro, membre du jury de la 63e édition du Festival. Quant à la formation CFI, si j’avais une suggestion à faire, c’est d’ailleurs une idée que je partage avec le plus jeune d’entre nous (il a 18 ans, ndlr), le journaliste arménien Tigran Danielyan -, c’est que soit associé à l’équipe de formateurs un psychologue. Auprès de lui, nous pourrions nous épancher parce que cette formation est l’occasion d’une vraie remise en question. Ce qui est certain, c’est que j’ai eu l’opportunité d’échanger avec des professionnels d’autres pays et que j’ai envie de revenir à Cannes pour faire plus et mieux.

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