Delta du Niger : la « tragédie » de la pollution pétrolière


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Delta du Niger
Crédit photo : Kadir van Lohuizen/NOOR

Cent jours après un rapport dénonçant la situation dans le delta du Niger, Amnesty International a proposé vendredi un bilan de l’impact de son réquisitoire. La situation présente quelques timides signes d’amélioration, mais Amnesty juge qu’on est encore loin des efforts nécessaires. Les entreprises pétrolières, en particulier Shell, sont considérées responsables des graves manquements aux droits humains, en même temps qu’un Etat nigérian brutal et corrompu.

« En descendant de l’avion, j’ai respiré un air frais pour la première fois de ma vie… ». Dans les locaux parisiens de l’ONG Amnesty International, l’assistance de journalistes et d’humanitaires, habitués à se plaindre de la pollution atmosphérique dans la capitale française, ne peut s’empêcher de rire face à la déclaration de Celestine AkpoBari Nkabari. Ce militant nigérian explique en ce vendredi matin à une assistance abasourdie l’ampleur de la pollution qui touche le delta du Niger.

La combustion de torchères et les nombreux déversements de pétrole dans la nature créent des dommages environnementaux des plus importants, dans une région où plus de 60% de la population dépend du milieu naturel pour vivre. L’air lui-même est en permanence irrespirable. Une situation d’autant plus tragique que les habitants ne voient souvent pas la couleur de la richesse ainsi produite. Selon un rapport de la Economic and Financial Crimes Commision (EFCC) cité par Celestine AkpoBari, 26 années de revenu national ont en effet été « volées à la population et transférées sur des comptes à l’étranger »

En juin dernier, Amnesty avait rendu un rapport accablant sur les responsabilités des acteurs locaux et internationaux dans la « tragédie » qui se joue au sud du Nigeria, des suites de l’exploitation intensive des gisements pétroliers du delta. Cent jours plus tard, les réactions ne sont pas à la hauteur des espérances de l’organisation. Mais Francis Perrin, porte-parole d’Amnesty, discerne tout de même des signes positifs.

L’or noir exploité par le pouvoir

Le débat a été intense au Nigeria, tant dans les médias que dans le monde politique. La majorité des élus a vu sa campagne financée par les entreprises du pétrole, mais certains hommes politiques ont tout de même entamé un virage. La Commission nationale des droits humains du Nigeria envisage même des poursuites contre les entreprises occidentales. Mais les ministères comme celui de l’Intérieur ne semblent pas voir d’un bon œil qu’on porte atteinte à leurs intérêts économiques.

Une loi importante est en ce moment débattue au Parlement, intitulée « Petroleum Industry Bill ». L’initiative législative pourrait en théorie être l’occasion d’en finir avec les innombrables dérives dénoncées par les ONG. Mais « malgré notre lobbying, et celui d’autres organisations, ce n’est pas encore le cas », regrette Francis Perrin.

Difficile par ailleurs de défendre les droits de son ethnie ogonie, explique Celestine AkpoBari : « Dès qu’une action est menée, même pacifique, les sociétés pétrolières téléphonent et l’armée intervient ! ». Le militant des droits humains évoque régulièrement au cours de son propos son modèle spirituel, Ken Saro-Wiwa, pendu en 1995 avec huit autres personnes après un procès expéditif, « parce que son engagement gênait le pouvoir ». Lui-même dit être régulièrement gêné dans ses démarches par les forces militaires.

L’exploitation du pétrole a lieu via des joint-ventures, alliant une ou plusieurs entreprises occidentales à la Compagnie nationale nigériane du pétrole (NNPC). Cette société d’Etat est toujours majoritaire, mais le gouvernement ne domine pas la situation, dans le rapport de force établi avec les compagnies. Selon Celestine AkpoBari, « les dirigeant nigérians sont invités à grand frais pour dîner à Londres et signent des contrats auxquels ils ne comprennent rien ».

Shell au banc des accusés

Des contacts ont par ailleurs été pris par Amnesty avec les entreprises pétrolière exploitantes, au premier rang desquelles la firme anglo-hollandaise Royal Dutch Shell. Des actions symboliques sont menées pour établir une pression suffisante, mais sans grand résultat pour le moment. Selon Amnesty, Shell affirme que 85% de la pollution provient des sabotages, ce qui est « absolument faux, comme nous l’avons démontré ». L’entreprise invite à penser l’avenir, plutôt que de ressasser un passé pourtant toujours omniprésent. Encore faudrait-il qu’ait lieu la dépollution des sites, pour le moment quasiment inexistante. Celestine AkpoBari se lamente : « L’eau, la terre et l’air sont pollués ; il ne nous reste que la pauvreté, la faim et la maladie ! ».

Les gouvernements des Etats où se trouvent les sièges des compagnies ont aussi été approchés, mais l’importance des taxes versées porte les politiques occidentaux à la prudence sur le sujet. Malgré la pression économique, le gouvernement néerlandais s’est engagé il y a quelques jours à mener une enquête sur l’impact en terme de droits humains de ses cinq plus grandes entreprises, a rapporté un représentant d’Amnesty. Or, la principale entreprise aux Pays-Bas n’est autre que Royal Dutch Shell elle-même…

Au printemps, un procès new-yorkais avait été interrompu par un accord à l’amiable. Shell s’était alors engagée à verser 15,5 millions de dollars. L’entreprise était accusée de complicité avec le pouvoir dans la pendaison de Ken Saro-Wiwa. Une preuve de plus de sa culpabilité, pour Celestine AkpoBari.

De l’avis de Francis Perrin, il est d’autant plus crucial que le cas nigérian soit réglé que de nombreux nouveaux gisements seront exploités dans les années à venir : au Ghana en 2010, en Ouganda en 2011… La RDC sera probablement bientôt concernée, et on a découvert mi-septembre du pétrole au large de la Sierra Leone. « Il est vital d’agir pour ne pas exporter la tragédie du delta du Niger », conclut-il.

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