Davy Sicard, défenseur du maloya


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Pochette de l'album Kabar
Pochette de l'album Kabar

Vivant à Bras-Panon, où l’on cultive la canne à sucre, Davy Sicard chante les paradoxes de la société réunionnaise, ses inégalités, mais ses rêves aussi, dans des balades douces et envoûtantes, parfois chantées à voix nue, comme chantent les démunis partout dans le monde… Rencontre à l’occasion de la sortie de son troisième album, Kabar (Universal Music/Warner).

Davy Sicard fait partie de cette nouvelle génération d’artistes réunionnais qui font revivre le maloya, ce chant traditionnel de l’île. Chanté en créole, et né comme le blues chez les populations noires de l’île, le maloya renaît après des décennies où il était étouffé. Davy Sicard, qui est auteur-compositeur, chante un « maloya kabosé », c’est-à-dire métissé, ayant roulé sa bosse ailleurs… Après Keur volcan (2003, auto-produit) et Keur marron (2006, Warner), il fait paraître son troisième album, Kabar (Universal Music/Warner). Entretien.

Afrik.com : Quelle place occupe la musique dans la société réunionnaise ?

Davy Sicard : La musique, comme dans la plupart des pays, réunit les gens. Avec ce quelque chose en plus pour le maloya, parce qu’il était officieusement interdit à La Réunion. Du coup, lorsqu’il y a la Fête de la musique ou du 20 Décembre (commémoration de l’abolition de l’esclavage), il y a une saveur particulière lorsque l’on joue du maloya : parce qu’on sait qu’il y a eu des luttes pour que cette musique soit enfin jouée. Donc à La Réunion la musique rassemble les gens, et elle parle. Et c’est vrai aussi que le maloya est l’emblème musical des Réunionnais. Il n’y a pas grand’chose qui puisse définir un Réunionnais: il peut ressembler à un Malgache, à un Africain, à un Européen, un Asiatique, il y a des musulmans, des bouddhistes, des chrétiens, …. En revanche, lorsqu’on parle de maloya, on sait qu’on parle de La Réunion.

Afrik.com : Comme au Brésil, un pays très métissé, où tout le monde aime la même musique ?

Davy Sicard : Oui, voilà. Mais pour être honnête, le maloya fait moins l’unanimité que la samba ou la bossa nova au Brésil. J’ai le sentiment qu’il y a une double tendance: il y a ceux qui sont conscients de ce qu’il représente, et qui s’investissent dans le maloya, s’y retrouvent complètement. Et puis il y a ceux qui considèrent toujours que c’est une musique qui n’apporte pas grand’chose. Il a une phrase-cliché qui se dit à La Réunion: on dit que le maloya c’est boudoudoum-boudoudoum. En voulant dire que c’est toujours la même chose. Et il y a en ce moment une vague de nouveaux artistes qui essayent d’amener autre chose, il y a des ténors du maloya traditionnel qui sont très appréciés, très aimés. Des gens comme Danyel Waro ou comme Firmin Viry qui tiennent ce maloya, ou des groupes comme Ziskakan. Mais aujourd’hui c’est vrai que le maloya reste un peu en souffrance quant à l’appréciation qui est portée sur lui.

Afrik.com : Si le maloya a été interdit pendant longtemps, quand a-t-il émergé à nouveau ?

Davy Sicard : Il a été autorisé à partir de 1981, avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir.

Afrik.com : Pourquoi était-il interdit jusque si récemment ?

Davy Sicard : Il a toujours souffert d’une certaine image. Il a été associé dans les années 60 à une sorte de mouvement de rébellion. Le parti communiste a vu le jour en 1962, et le PCR a vu dans le maloya l’expression du quotidien du Réunionnais – entre guillemets – « de base »: du simple Réunionnais, du Réunionnais modeste. Donc ils ont associé le maloya à leurs meetings, et ça a été fortement réprimé par les autorités. Mais il n’y avait pas de texte officiel d’interdiction. Il y a eu beaucoup de malversations politiques pour faire que le maloya n’émerge pas, ni la conscience de l’identité réunionnaise, rien. Ca a été une vraie lutte, et dans mon précédent album, « Keur marron », je parlais d’un maloya cabossé pour parler d’un maloya que je n’ai découvert que tardivement du fait de l’interdiction qu’il a subie, et en raison des influences que j’ai eues entre temps avec le jazz ou le funk: mon maloya je l’ai qualifié de cabossé pour dire qu’il n’est pas traditionnel. Parce qu’il ne passait pas sur les ondes, ou trop rarement, et il n’était pas entendu. Et même lorsqu’il a été autorisé, il a fallu beaucoup de temps avant que les Réunionnais ne s’autorisent à aller vers le maloya.

Afrik.com : Parce qu’ils avaient intériorisé l’interdit…

Davy Sicard : Le maloya était donné comme une musique de sauvages, une musique de l’ombre, une musique qu’il ne fallait pas jouer, qui n’était pas intéressante, qui n’apportait rien. Donc il est difficile à des gens qui ont intégré cette information pendant des années, d’aller à l’opposé de ça quand cette musique est à nouveau autorisée.

Afrik.com : Vous êtes venu au maloya après un parcours musical qui ne passait pas par le maloya…

Davy Sicard : J’ai découvert le maloya à la fin des années 80. J’ai rencontré des gens, on s’est mis à chanter ensemble, a capella, on a intégré des chansons créoles au fur et à mesure, et le maloya est venu comme ça: on s’est mis à faire du maloya.

Afrik.com : Après ces débuts difficiles, avec ces nouveaux artistes, le maloya est-il de nouveau réinstallé dans le paysage ?

Davy Sicard : Oui. Ca se passe relativement bien à ce niveau-là. Il y a de beaux groupes qui apparaissent, il y a une vraie force qui émerge.

Afrik.com : Le maloya est indissociable de la langue créole, et dans cet album, toutes vos chansons sont en créole, sauf une. La langue créole est-elle en train de disparaître, avec la télévision ?

Davy Sicard : Elle est toujours dénigrée. Elle n’est pas enseignée à l’école primaire, et ça n’est pas une langue officielle. Beaucoup de gens se refusent à la considérer comme une langue, d’ailleurs. La langue subit la même dépréciation que le maloya.

Afrik.com : C’est votre langue maternelle, que vous parliez avec vos copains pour jouer dans la rue? C’est votre langue du quotidien ?

Davy Sicard : Oui, tout à fait.

Afrik.com : Parlez-nous des textes de vos chansons, en créole…

Davy Sicard : « Zwazo la kol » fait référence à une jeu que nous jouions, « poz la kol »: on mettait de la colle sur un bâton de bois, les oiseaux venaient, et on les attrapait comme ça. Donc un zwazo la kol, pour moi, c’est un oiseau qui a été capturé très jeune et qui a passé le reste de sa vie dans une cage…

Afrik.com : C’est un danger que vous sentez poindre à La Réunion aussi: la société de consommation ?

Davy Sicard : Oui et l’insularité favorise tout ça. Lorsque vous mettez des gens, que vous les éloignez d’un pôle où tout se passe, ils ont besoin, pour les plus modestes – enfin, c’est l’analyse que je fais, et elle est peut-être fausse – ils ont besoin, pour se sentir exister, de posséder des choses: d’avoir la parabole, la dernière voiture qui est sortie, l’écran plat dernier cri, …. Et pour moi, ce sont des portes de cages que l’on rabat un peu sur soi.

Afrik.com : Dans « Kafouyaz », vous parlez des « kaf »: c’est quoi ?

Davy Sicard : Ce sont des gens comme moi un peu, qui sont donc noirs de peau le plus souvent, et qui sont d’origine africaine ou malgache. Je dis que le kaf est en bas de l’échelle sociale, à La Réunion, le plus souvent.

Afrik.com : Donc vous dites: « on est tous Réunionnais », mais il y a quand même des gens moins « pareils » que d’autres…

Davy Sicard : Oui, il y a quand même une catégorie de personnes qui n’arrivent pas à s’épanouir comme tous les autres. L’Histoire veut ça, nos ancêtres ont été arrachés à leurs terres pour devenir des esclaves, et nous, on a envie de savoir qui ils étaient. Parce que quand on dit « esclaves », c’est comme si on avait tous un parent, mais il est dans une fosse commune, on a envie de lui donner une place. Et lorsqu’on fait cette recherche sur nos ancêtres, on bute très vite: le mieux qu’on puisse obtenir c’est un prénom. Comme il peut y en avoir des milliers à l’époque. Ou même un sobriquet…

Afrik.com : Comment décrivez-vous votre lien à La Réunion ?

Davy Sicard : Pour avoir fait une sorte de quête identitaire, et pour avoir vu dans d’autres pays des tensions, des blessures, des souffrances, je me dis que je suis bien à La Réunion. Je ne dis pas que c’est le meilleur endroit sur terre, je dis que j’y suis bien. Et je pense que chacun a un endroit où il voudrait véritablement être, où il sent qu’il peut passer toute sa vie. Il y a des gens qui ne pensent qu’à bouger, ils sont de vrais nomades. Il y a des gens qui aiment voyager mais qui savent qu’ils retourneront toujours de toute façon à un endroit bien précis. Dans mon cas c’est La Réunion.

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