Darfour : chronique d’un massacre annoncé


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La responsabilité du gouvernement soudanais dans les atrocités commises depuis quatre ans contre les populations civiles, au Darfour, est établie. C’est pourquoi des voix s’élèvent pour que son accord ne soit plus un préalable à l’intervention militaire de l’ONU. Car le temps, principal allié d’Omar el-Béchir, fait son oeuvre.

Le 26 février 2003, le Front de libération du Darfour lançait sa première attaque contre les forces armées soudanaises dans le Djebel Marra. Le mouvement rebelle, formé par les tribus dites « africaines » – Fours, Masalits, Zaghawas ou Bertis – de cette région de l’ouest du Soudan a été créé par des étudiants, à Khartoum, parmi lesquels son président, le jeune avocat Abdelwahid Mohamed Ahmed al-Nour. Rapidement rebaptisé Armée/Mouvement de libération du Soudan (ALS), il souhaite que le gouvernement s’intéresse davantage au développement des régions périphériques du pays et qu’il fasse cesser les razzias cycliques menées par les janjawids, des bandes armées dites « arabes ». Le président Omar el Béchir répond par la force armée et le 9 février 2004, après plusieurs succès, annonce la « fin des opérations militaires ». Les violences se poursuivent pourtant. Elles visent essentiellement les populations civiles.

Dès 2004, des comparaisons avec le Rwanda

Le 26 avril 2004, aussi tardivement que la presse nationale et internationale, Afrik titrait sur le silence de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies au Darfour et, un mois plus tard, sur la lenteur des pays donateurs et « la catastrophe inévitable » qui en découle. Jan Egeland, le coordonnateur humanitaire de l’ONU au Soudan, avait déjà parlé de « nettoyage ethnique » et Koffi Anan avait fait un rapprochement entre la situation dans l’ouest du Soudan et le génocide de 1994 au Rwanda.

Les témoignages quant au soutien et à la participation des forces armées soudanaises auprès des milices janjawids se faisaient de plus en plus précises. Le bilan humain, sous estimé, était alors de 10 000 morts, 1,15 millions de déplacés et 158 000 réfugiés. Selon les estimations de l’ONU, près de 200 000 personnes ont à ce jour péri de la guerre et de ses conséquences et plus de 2 millions ont été déplacées.

Aujourd’hui, tout le monde sait quel drame se déroule au Darfour. Koffi Annan et son successeur au poste de secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, en ont fait leur « priorité ». L’ONU et l’Union africaine (UA), à travers plusieurs rapports, ont depuis 2004 établi la participation des forces gouvernementales aux exécutions de masse et aux attaques de villages. Ils s’obstinent pourtant à réclamer l’autorisation de Khartoum afin qu’une force internationale intervienne au Darfour. Une requête qui reçoit invariablement la même réponse négative.

Le retour du « devoir d’ingérence » ?

Juge et parti, le gouvernement soudanais promet qu’il est capable de gérer la crise humanitaire avec ses forces armées. Ce qui inquiète d’autant plus les déplacés et les milliers de travailleurs humanitaires qui s’y emploient dans des conditions toujours plus difficiles. Ce lundi, alors qu’il reniait à la Cour pénale internationale (CPI) toute compétence dans son pays, le ministre de la Justice Mohammed Ali al-Mardhi a affirmé que la justice soudanaise avait assez d’« indépendance, d’impartialité ainsi que le désir et la capacité de juger toute personne coupable de crime au Darfour »…

La stratégie du gouvernement consiste à nier les accusations portées contre lui et gagner du temps, en espérant que le lien qui attache les populations déplacées à leur terre se distende jusqu’à céder. Même Minni Minawi, qui avec une frange de l’ALS a signé l’accord de paix d’Abuja avec Khartoum, le 5 mai 2006, déchante. Il menace régulièrement de reprendre les armes.

Depuis quelques semaines, des voix s’élèvent pour réclamer une intervention de la communauté internationale, à des fins humanitaires, avec ou sans l’accord de Khartoum. L’appel d’Abdelwahid Mohamed al Nour lancé le 16 janvier dernier depuis Paris pour une intervention de l’OTAN au Darfour est passé complètement inaperçu dans les médias. « Il n’y a aucune perspective pour qu’un déploiement des troupes de l’ONU ait lieu dans un bref délais (…) Ne méritons-nous pas le même sort que le peuple du Kosovo, où l’OTAN est intervenue pour mettre fin au nettoyage ethnique ? », a-t-il demandé. Des députés de l’Union européenne, de même que Bernard Kouchner, à l’origine de l’intervention au Kosovo et du principe du « devoir d’ingérence », se sont aussi prononcés pour une action humanitaire sans l’accord d’Omar el-Béchir.

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Image extraite du livre « Le Darfour : un génocide ambigu », de Gérard Prunier, aux éditions La Table Ronde

Copyright : Sven Torfinn/Panos Pictures

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