D’institutrice à travailleuse du sexe au Zimbabwe


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Pour survivre au taux d’inflation le plus élevé du monde, certains travailleurs renoncent à leur profession et se lancent dans d’autres activités qu’ils n’avaient jamais envisagées auparavant. C’est le cas de Mavis. Cette enseignante en école maternelle a échangé sa vie d’éducatrice contre celle de travailleuse du sexe.

Aujourd’hui, Mavis racole dans les hôtels huppés d’Harare, la capitale. « Je suis une éducatrice qualifiée, spécialiste de la petite enfance, mais j’ai décidé l’année dernière de renoncer à pratiquer cette profession, car mes revenus ne permettaient pas de subvenir à mes besoins, a-t-elle expliqué à IRIN. Les touristes [qui nous sollicitent] de temps en temps sont toujours bons pour les affaires parce qu’ils paient en devises et sont toujours très généreux ».

Bien que le tourisme étranger ait considérablement diminué ces dernières années en raison du gouffre économique et politique dans lequel se trouve le pays, il y a encore, au Zimbabwe, une classe de personnes en mesure de s’offrir ses services, explique Mavis, et les hôtels demeurent le meilleur endroit pour les solliciter. « Si je travaillais encore comme institutrice, je gagnerais à peine plus de 300 000 dollars zimbabwéens (7,5 dollars américains au taux de change de 40 000 dollars zimbabwéens pour 1 dollar américain, pratiqué sur le marché parallèle) par mois, mais maintenant, je peux faire payer jusqu’à 500 000 dollars zimbabwéens (12,5 dollars américains) la nuit, que le client demande mes services pour un bref laps de temps ou pour une nuit entière ».

Mavis a expliqué que la plupart de ses clients étaient des hommes mariés, qui devaient rentrer chez eux pour rejoindre leurs épouses. « Quand les clients ne peuvent pas rester longtemps avec moi, je peux doubler mes gains en une soirée », a-t-elle poursuivi.

Avec son nouveau travail, Mavis court le risque de contracter le sida, puisqu’un Zimbabwéen sur cinq âgés de 15 à 49 ans est séropositif. « Je ne serai jamais assez imprudente pour avoir des rapports non-protégés. Je suis une personne éduquée et je connais les risques. Certains clients exigent d’avoir des rapports non-protégés et proposent même de payer plus mais, dans ces cas-là, j’insiste pour qu’ils mettent un préservatif ou bien j’annule la transaction », a déclaré Mavis.

Plus de 5 000 professeurs ne se sont pas présentés sur leur lieu de travail à la rentrée des classes, il y a deux semaines. Dans son dernier rapport sur la situation économique du pays, le Congrès zimbabwéen des syndicats estime que l’hyper-inflation aurait ramené le niveau des salaires à celui de 1965. Un fonctionnaire moyen perçoit environ 300 000 dollars zimbabwéens (7,5 dollars américains) par mois, alors que la somme nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels d’une famille de six, à savoir le loyer, la nourriture et les frais scolaires, est estimée à quelque 2 millions de dollars zimbabwéens (50 dollars américains) par mois.

Selon plusieurs économistes indépendants, le taux d’inflation annuel officiel qui est de 3,713 pour cent correspond à moins de la moitié du taux d’inflation réel. L’économiste Eric Bloch a même écrit, récemment, dans l’une des rubriques d’un hebdomadaire que « l’inflation ayant grimpé en flèche, en fonction de l’Indice des prix à la consommation, (elle) excède en réalité les 8 000 pour cent ». L’Indice des prix à la consommation permet de mesurer l’augmentation des prix pratiqués sur un ensemble de produits spécifique.

« L’hyper-inflation est tellement prononcée qu’environ 85 pour cent ou plus de la population lutterait pour survivre avec des revenus dérisoires, situés bien en deçà du seuil de pauvreté, et plus de la moitié de la population du Zimbabwe se situerait en deçà du seuil alimentaire, à savoir le niveau de ressources minimum nécessaire pour éviter la malnutrition », révèle M. Bloch.

Corvées domestiques

Sarudzai travaille comme aide domestique chez trois jeunes femmes, journalistes de profession. Elle leur fait la lessive le week-end et le ménage une journée par semaine. Au début, les journalistes sont restées perplexes : leur femme de ménage leur semblait « trop intelligente » pour ces tâches subalternes et elle s’était même mise à leur fournir de bons sujets d’articles, particulièrement en rapport avec la police.

L’énigme qui entourait la vie de leur femme de ménage a été résolue lorsque les trois journalistes ont été arrêtées à un barrage de police : parmi les policiers, le visage d’une policière leur a semblé vaguement familier. Elles se sont soudain rendu compte que celle-ci était en fait leur aide domestique.

Au début, une certaine gêne s’est installée et la policière a marmonné des excuses ; pourtant, la coïncidence allait changer sa vie. Sarudzai a en effet démissionné de la police il y a cinq mois, la découverte de sa double vie lui ayant permis d’obtenir un travail mieux rémunéré.

« Lorsque les journalistes ont découvert la vérité, elles m’ont présentée à un grand nombre de leurs amis, qui m’emploient à présent à mi-temps. Je leur suis très reconnaissante de m’avoir donné cette chance. En effet, en travaillant comme sergent dans la police, je gagnerais 400 000 dollars zimbabwéens (10 dollars américains), alors que j’empoche aujourd’hui 3 millions de dollars zimbabwéens (75 dollars américains) par mois en faisant des lessives et du ménage pour de jeunes professionnels d’Harare », a-t-elle expliqué à IRIN. Selon les autorités, 15 000 fonctionnaires ont démissionné au cours des 12 derniers mois et la moitié des postes de la fonction publique sont vacants.

Photo: IRIN

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