Covid-19 au Gabon : “Les gens ont plus peur de mourir affamés que de mourir du virus”


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Drapeau du Gabon
Drapeau du Gabon

Depuis quelques mois, la maladie à Coronavirus fait des ravages dans presque tous les pays du monde. Si la progression en Afrique était restée faible jusque-là, depuis quelques semaines, on assiste à une montée en flèche du nombre de cas. Au Gabon, au matin du 4 juillet, ce sont 107 nouveaux cas qui ont été recensés en 24 heures sur 976 tests réalisés. Le mal est donc bien présent et se propage rapidement au sein de la population. Nous avons été à la rencontre de Sobirou Vignack, Béninois vivant au Gabon, professeur d’Espagnol.

Afrik: Comment avez-vous vécu l’arrivée de la pandémie dans votre pays ?

Au début on n’y croyait pas, mais avec tout le ballet médiatique du gouvernement pour informer la population sur les effets du Covid-19, nous avons saisi sa dangerosité. Il faut dire que la population gabonaise est de nature très sceptique et difficile à convaincre. Figurez-vous que près de 8 Gabonais sur 10 ne croient pas aux chiffres avancés par le COPil (Comité  de Pilotage du Covid-19), soit plus de 5 600 cas enregistrés au début du mois de juillet. Je pense que la communication gouvernementale n’a pas pu impacter la population simplement parce qu’il y a manque de témoignage des victimes et une opacité en ce qui concerne la gestion des malades. Libreville est la ville la plus touchée avec près de 5 000 cas et aucune famille ici ne connait de nom un malade.

Vous êtes enseignant à Libreville. Et depuis plus de deux mois, les écoles sont fermées. Quelle est votre nouvelle routine quotidienne en cette période en tant qu’étranger ?

Le secteur privé est le plus touché par les mesures gouvernementales afin de faire face au Covid-19. Cela a conduit à la fermeture des écoles, depuis le 14 mars, ainsi que des commerces (sauf ceux alimentaires). Nous sommes donc cloués à la maison sans assistance, ni gouvernementale ni consulaire, et chacun essaie de survivre quand on connaît les loyers exorbitants au Gabon et le coût élevé de la vie. Alors on doit se rendre compte du calvaire du personnel enseignant privé. Mais il faut souligner quand même que le gouvernement gabonais a essayé d’aider financièrement les écoles privées, même si dans le fonds, cela ne résout que très peu la crise actuelle. De façon concrète, le gouvernement a annoncé vouloir aider les écoles privées en facilitant l’accès aux crédits bancaires afin qu’elles puissent continuer à payer leurs personnels. Mais la condition pour en bénéficier c’est qu’il faut que l’école soit à jour vis-à-vis des documents administratifs. Or, ici, sur 100 écoles, à peine 20 sont à régulièrement enregistrées et à jour.

Les gestes barrières sont-ils respectés par votre entourage et la population en général ?

Oui, ici à Libreville, il faut dire que les gestes barrières sont plutôt respectés surtout le port des masque et le lavage des mains. Même s’il faut noter l’incivisme persistant de certains citoyens qui ne le portent que parce que c’est obligatoire pour circuler en ville et surtout parce que sans cela aucun taxi ne les prendrait et à cause de la répression des forces de l’ordre.

Dans les marchés, le port de masque est obligatoire aussi bien pour les commerçants que pour les clients. La distanciation de 1 mètre entre clients ainsi que l’usage du gel hydroalcoolique sont de mise. C’est du moins ce que le gouvernement exige aux commerces. Mais dans les faits, en dehors du port de masque et du lavage des mains, la distanciation sociale n’est pas véritablement respectée.

Que pensez-vous des actions du gouvernement face à la pandémie ?

Plusieurs mesures ont été prises par les autorités pour faire face au virus. Cependant, il y a un certain gap entre les actions gouvernementales telles qu’annoncées et ce qui se fait dans la réalité.

Sobirou 3D’abord les kits alimentaires que le gouvernement gabonais a promis de distribuer à la population ne sont pas arrivés à bon port. Le gouvernement a bien ordonné la distribution, mais il y a certainement eu une faille dans le dispositif mis en place afin d’atteindre la cible, en l’occurrence la population. Pour preuve, je vis dans l’un des quartiers les plus pauvres de Libreville et aucun de mes voisins n’a reçu lesdits kits.

Ensuite, le gouvernement a annoncé des mesures d’exemption de loyers aux citoyens à faible revenu. Cela n’a, de toute évidence, abouti à rien de concret. Il y a également eu l’annonce de l’électricité et de l’eau gratuites à la population en 2 phases. Seule la première phase a été un succès. Le couvre-feu difficile à vivre, qui était de 18h à 6h, perturbait la population et heureusement a été ramené de 20h à 6h, au début de ce mois 

Mais ce qui marque le plus, c’est la décision gouvernementale portant annulation des examens du BEPEC et du CEPE au titre de l’année scolaire en cours. Cela a un très mauvais écho au sein de la population et la rentrée scolaire prochaine prévue au 9 novembre vient anéantir les espoirs du personnel enseignant privé.

Seul le volet sanitaire peut être considéré comme une réussite à mon avis avec la prise en charge des malades du Covid-19, le dépistage gratuit, l’isolement des cas suspects, etc.

Quel est l’état psychologique du peuple gabonais ?

Le peuple gabonais, disons-le, est découragé et surtout révolté sur les réseaux sociaux spécialement et est très impatient quant à la reprise normale de la vie courante. Ici, il faut le dire, les gens ont plus peur de mourir affamés que de mourir suite à une infection au virus.

Quelles sont les leçons que l’on devrait tirer de cette pandémie ?

Cette maladie nous enseigne quatre leçons fondamentales en Afrique. Nous devons avant tout savoir que le monde n’est pas aussi solidaire qu’on le croit. Que la mondialisation a aussi ses revers (la propagation à une vitesse fulgurante des maladies).

Nous devons également prendre conscience en Afrique que notre système sanitaire est très embryonnaire et n’est hélas pas encore la priorité des pouvoirs publics. Et enfin, que la recherche scientifique en Afrique n’existe presque pas. Nous devons, par conséquent, être prêt à toute éventualité en organisant notre vie convenablement.

Votre mot de fin ?

Je demanderais à tous de développer une certaine solidarité et de se soutenir mutuellement par ce temps de crise. Je demanderai au peuple gabonais de se protéger et de ne pas prendre la chose à la légère, car le mal existe. Il nous faut adopter les comportements qui, non seulement nous protègent, mais qui protègent aussi les autres.

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