Côte d’Ivoire : méfiez-vous du cancer de l’utérus !


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Drapeau de la Côte d'Ivoire
Drapeau de la Côte d'Ivoire

La Ligue ivoirienne contre le cancer (LICC) tire la sonnette d’alarme : il faut prévenir et lutter contre le cancer de l’utérus. Si aucune statistique nationale fiable n’est disponible, cette maladie est, selon la LICC et plusieurs spécialistes, l’une des plus meurtrières chez la femme en Côte d’Ivoire. Pourtant, elle ne serait toujours pas considérée comme une priorité par les autorités.

Le cancer de l’utérus est le plus meurtrier de tous les cancers qui touchent les Ivoiriennes. Il est également l’une des premières maladies qui tuent les femmes. C’est le message que la Ligue ivoirienne contre le cancer a délivré lors d’un enseignement post-universitaire qui s’est tenu la semaine dernière à Abidjan. Il n’y a pas de statistiques fiables à l’échelle nationale, mais une étude menée entre 1995 et 1997 à Abidjan donne l’incidence (le nombre de cas par an) du cancer de l’utérus. « Cette étude montre que, de tous les cancers, le cancer de l’utérus concerne 21,3 cas sur 100 000 femmes. C’est un chiffre encore valable aujourd’hui », souligne le Professeur Antoine Echimane Kouassi, chef du service de cancérologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville, qui est également le seul service spécialisé du pays.

Les raisons qui provoqueraient cette maladie sont multiples. « Le cancer du col se comporte comme une véritable maladie sexuellement transmissible. Il peut être favorisé par la polygamie, le mariage précoce (car l’appareil sexuel féminin est alors immature), des rapports extraconjugaux, des infections cervico-vaginales répétées ou le virus du VIH », énumère un gynécologue-obstétricien exerçant au CHU de Treichville, qui explique que la moyenne d’âge des femmes atteintes est entre 35 et 45 ans. Selon ce spécialiste, les femmes les plus exposées sont celles qui comptent parmi les classes défavorisées : « La sexualité reste largement un tabou. Les femmes qui ont reçu une éducation osent poser des questions à leur médecin, elles consultent Internet et se renseignent. Mais une femme non intellectuelle ne se plaindra pas des saignements et cachera ces signes-là. Ce n’est que lorsqu’elles sont anémiées qu’elles consultent, mais il est déjà trop tard ».

Si le stade est trop avancé, il faut émigrer

Trop tard, c’est-à-dire lorsque la maladie en est à un stade 3 ou 4 et que des métastases se sont formées au niveau de la vessie ou encore du rectum. Dans ce cas, elles ont très peu de chances de survivre. « Sur 100 femmes atteintes d’un cancer de l’utérus diagnostiqué tardivement, 70 décèderont », confie le Pr Antoine Echimane Kouassi. Le gynécologue-obstétricien du CHU de Treichville se souvient de l’une de ses patientes : « J’ai le souvenir de cette institutrice venue consulter très tard. Je l’ai vue mourir à petit feu. Elle était très anémiée et nous avions beau la transfuser, il n’y avait rien à faire. C’était vraiment pénible de la voir ainsi. Et il n’y a avait pas moyen de l’envoyer à l’étranger se faire soigner, car elle n’en avait pas les moyens ».

Envoyer les patientes au Ghana, au Cameroun, dans certains pays du Maghreb, en Afrique du Sud ou en Europe : c’est l’une des solutions coûteuses qui peut sauver la vie des femmes atteintes d’un cancer de l’utérus. Car la Côte d’Ivoire n’est pas équipée pour traiter les cancers trop évolués. « Nous dirigeons les femmes malades au service de cancérologie de notre CHU car nous n’avons pas les moyens de les prendre en charge. Le service est sensé être plus outillé que nous, mais ce n’est pas le cas. Il n’a pas de radiothérapie. Pour traiter la maladie, il intervient chirurgicalement et administre des substances chimiques. Mais le vrai traitement comprend la chirurgie et la radiothérapie », précise le gynécologue-ostétricien.

Le cancer de l’utérus, pas une priorité pour les autorités

En somme, les patientes ont une chance de guérir même en restant dans leur pays si les cancers ne sont pris en charge au stade 0 ou 1, avant la formation de métastases. Dans ce contexte, les acteurs de santé semblent bien conscients qu’il faut sensibiliser la population. « Comme je le dis toujours, prévenir, c’est guérir. Cela fait deux ou trois ans déjà, d’après le registre du cancer du pays, que le cancer de l’utérus est l’une des premières causes de décès des femmes. Mais comme aucune sensibilisation n’a été faite, la situation n’est pas prête de changer. Quelque 200 professeurs, médecins et sages femmes ont participé à l’enseignement post-universitaire de la semaine dernière, mais aucun représentant du gouvernement n’était là. Pour les autorités, le cancer de l’utérus n’est clairement pas une priorité de santé publique », dénonce Bintou Bourgoin, présidente de la Ligue ivoirienne contre le cancer (LICC).

Pendant trois ans, la LICC avait mis l’accent sur la prévention du cancer du sein. Cette association à but non lucratif a mené trois campagnes de dépistage gratuit et fait don de deux mammographes aux CHU de Treichville et Cocody. « Aujourd’hui nous nous focalisons, nous informons et nous sensibilisons sur le cancer de l’utérus. Nous avons commencé la campagne la semaine dernière et nous nous attaquerons au dépistage en février prochain », explique Bintou Bourgoin. Si la LICC est « coincée financièrement », elle ne recherche pas à tout prix des dons en d’argent. « Nous recherchons plutôt des dons en matériel car il y beaucoup à faire de ce côté-là. Recevoir de la chimiothérapie nous aiderait car la cure revient à 400 000 FCFA (environ 609 euros). Le traitement générique coûte lui 60 000 FCFA. Si l’Inde, qui vient d’offrir 3 milliards de FCFA (environ 4,6 millions d’euros) d’antirétroviraux génériques pour le sida, pouvait faire la même chose pour la chimiothérapie, ce serait une belle avancée », poursuit Bintou Bourgoin, qui espère qu’un centre de cancérologie adéquat ouvrira bientôt et qu’un centre de radiothérapie suivra.

Le gynécologue-ostétricien du CHU de Treichville indique pour sa part qu’il faut « arriver à convaincre les femmes et les médecins à faire des frottis vaginaux, des dépistages systématiques ». Car outre le manque de gynécologues, qui ne facilite pas le dépistage, certaines femmes vont d’abord consulter « des marabouts ou des gens qui ne connaissent pas le métier. Et ils leur disent n’importent quoi », s’indigne le gynécologue-ostétricien. Le plus grand effort sera peut-être à faire du côté des autorités. Comme conclut Bintou Bourgoin : « La Côte d’Ivoire a créé un programme national de lutte contre le cancer, mais il n’est pas effectif. Il faut de la volonté politique pour mener notre combat à bien ».

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