Côte d’Ivoire : la violence s’incruste


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Déclaration tragique et sans surprise. Les quatre otages du Novotel d’Abidjan ont été abattus par des pro-Gbagbo, a déclaré mardi le ministre ivoirien de la Justice, Jeannot Kouadio Ahoussou. Leur enlèvement rentrait dans une logique de violence et de représailles qui continue, un mois après l’investiture d’Alassane Ouattara, d’empoisonner la vie quotidienne en Côte d’Ivoire.

Fin tragique en terre d’Eburnie. Les quatre otages enlevés le 4 avril au Novotel d’Abidjan par des hommes armés ont été abattus après avoir été torturés par leurs ravisseurs. « Conduits au palais présidentiel », décrit comme « un mouroir », « ils ont été (…) torturés, battus », et « un commissaire de police a achevé ces personnes », a affirmé mardi le ministre ivoirien de la Justice, Jeannot Ahoussou Kouadio. Les corps des disparus ont été jetés « dans la lagune », a déclaré le ministre qui a ajouté que leurs ossements ont été retrouvés. La mort du directeur du Novotel avait été annoncée le 2 juin. Les suspects du rapt, parmi lesquels des membres des Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo), des miliciens également fidèles au président déchu, le commissaire de police et deux colonels de la Garde Républicaine ont été inculpés et placés en détention pour meurtre, a indiqué M. Ahoussou. Stéphane Frantz di Rippel, Yves Lambelin, président de Sifca, son assistant béninois Raoul Adeossi, et le Malaisien Chelliah Pandian, directeur général de Sania, filiale de Sifca auraient été enlevés sept jours avant l’arrestation de Laurent Gbagbo, parce qu’ils étaient « Blancs », selon Omar Ouahmane, journaliste à France Culture, qui résidait dans cet hôtel le 4 avril.

Un climat délétère

Un climat de vengeance parcourait alors le pays, comme le décrit Amnesty international dans son rapport Ils ont regardé sa carte d’identité et l’ont abattu. Chaque camp, les Forces de sécurité et de défense de Laurent Gbagbo comme les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, pro-Ouattara), s’est livré à des exécutions sommaires sur la seule base du soutien véridique ou supposé à l’un ou l’autre prétendant au fauteuil présidentiel. L’appartenance à une ethnie suffisait quelquefois à être persécuté, d’après l’organisation de défense des droits de l’homme.

La logique de représailles semble avoir continué après la prise de fonction officielle d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) le 21 mai dernier. Une logique dénoncée par plusieurs rapports internationaux. Dans un communiqué publié ce 22 juin, Amnesty International dénonce la « détention arbitraire » de partisans de Laurent Gbagbo « sans inculpation ». Au moins 21 personnes sont retenues à l’Hôtel La Pergola à Abidjan, rapporte-t-elle. Les détenus, parmi lesquels « plusieurs politiciens en vue », ont été battus et souffrent de mauvais traitements selon l’ONG. Plusieurs autres, dont Laurent Gbagbo, sa femme Simone et Pascal Affi N’guessan, le président du parti de l’ancien président, le Front populaire ivoirien, sont retenus prisonniers dans le nord, indique l’organisation. « On ne peut pas dire que ce soit un début très prometteur pour la présidence d’Alassane Ouattara », estime Véronique Aubert, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.

Lutte contre l’anarchie

ADO a cependant donné samedi un nouveau signe de sa volonté de réconciliation nationale en libérant 17 proches de son ex-rival, Laurent Gbagbo. Ils étaient retenus en résidence surveillée depuis deux mois à l’hôtel La Perloga. Parmi la quarantaine de détenus de l’hôtel, d’anciens hauts dignitaires du pays, dont les ex-ministres de la Défense Michel Amani N’Guessan, de la Justice Yanon Yapo et de la Réconciliation nationale Sébastien Dano Djédjé, ainsi que la compagne de Pascal Affi N’Guessan, ont été libérés. Jeudi dernier, sous la pression de la communauté internationale, Alassane Ouattara a mis en place une commission d’enquête nationale chargée d’enquêter sur les crimes commis avant et après la crise post-électorale. Les FRCI feront également l’objet d’une enquête, a-t-il promis. Et, en mai, le président ivoirien avait aussi créé une Commission vérité, dialogue et réconciliation et fait appel à Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), pour enquêter sur les « crimes les plus graves » commis lors des violences qui avaient suivi le second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 et fait près de 3000 morts. Ce mercredi, le bureau du procureur a annoncé que M. Moreno Ocampo demandera demain aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis depuis la dernière présidentielle.

Malgré ces efforts, la Côte d’Ivoire reste minée par l’insécurité. Ainsi, c’est une situation de chaos à Abidjan que décrit cette semaine le journal ivoirien Le Temps. Pillages, braquages, agressions à mains armées… La capitale économique semble sens dessus dessous. Le patron du renseignement a lui-même été braqué et volé par des hommes en uniforme. En dépit des appels du Premier ministre Guillaume Soro, peu de fonctionnaires de police ont regagné leur poste de peur des représailles des FRCI. «Certains cherchent à reproduire les pratiques mafieuses expérimentées durant des années dans le Nord, en taxant les transporteurs et en rackettant les entreprises et les particuliers en échange de leur protection», a confié au journal une source sécuritaire.

Sur le plan sanitaire, une épidémie de choléra menace. L’ONU a confirmé mardi dernier une quarantaine de cas dans le secteur de Koumassi, aux alentours d’Abidjan, dont une dizaine ces derniers jours. En cause : des inondations qui menacent plus de 27 646 personnes, d’après le bureau de coordination humanitaire des affaires humanitaires de l’ONU.

Après l’arrestation de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara a reçu de la communauté internationale nombre de promesses des financements. Mais la situation actuelle du pays risque peu d’encourager les si nécessaires investissements privés.

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