Côte d’Ivoire : l’efficacité douteuse des sanctions internationales


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De l’Afrique du Sud au Soudan, en passant par le Zimbabwe et la Libye, de nombreux pays africains ont subi des sanctions internationales. Mais celles-ci ne conduisent pas aux changements politiques souhaités faisant tout au plus souffrir les populations.

Au sein de la communauté internationale unanimement hostile à Laurent Gbagbo, l’un des deux présidents proclamés de la Côte d’Ivoire, l’heure est désormais aux sanctions. Objectif : obtenir le départ de celui qui, hors de son pays, n’est plus désormais perçu que comme un usurpateur arc-bouté contre vents et marées à un pouvoir qu’il a perdu lors de l’épreuve des urnes. Mardi, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Rodham Clinton a donné son feu vert pour un ensemble de mesures contraignantes contre Laurent Gbagbo et une trentaine de personnes de son entourage. Lesquels sont désormais interdits de se rendre aux Etats-Unis. Leurs enfants et parents proches qui étudieraient aux Etats-Unis pourraient également en être expulsés. Washington a enfin dit se réserver la possibilité de prendre des sanctions commerciales, « toutes les options » restant « sur la table », comme l’a indiqué William Fitzgerald, vice-secrétaire d’Etat chargé des Affaires africaines. Les Etats-Unis suivent ainsi la voie tracée par l’Union européenne, qui a déjà décidé de ne plus accueillir sur son territoire Laurent Gbagbo, son épouse Simone et dix-sept personnes de leur entourage. Une mesure qui se double de la possibilité de geler leurs avoirs à l’étranger, ou de retirer à Gbagbo, sa signature sur les comptes de l’Etat ivoirien. De leur côté, l’Union africaine et la Cedeao qui ont déclaré Laurent Gbagbo persona non grata dans leurs instances ont annoncé qu’elles étudiaient des possibilités de sanctions économiques contre lui. Jeudi, sept ministres des Finances de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ont demandé à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) d’autoriser uniquement les représentants d’Alassane Ouattara à gérer les comptes de la Côte d’Ivoire.

Entretien avec Philippe Hugon Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales de Paris
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Afrik.com : Laurent Gbagbo peut-il tenir longtemps face aux sanctions de la communauté internationale ?

Philippe Hugon :
Ça dépend du type de sanctions. Si ce sont des sanctions concernant ses avoirs ou ceux de ses proches en Europe ou des obtentions de visas, cela n’aura que des effets symboliques. Si ce sont des sanctions concernant des prêts de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international, cela pourra avoir plus d’impact. Egalement, si la BCEAO ne permet pas à Laurent Gbagbo et à son ministre des finances d’accéder aux fonds et d’accéder notamment à l’argent qui permet de payer les fonctionnaires – jusqu’à présent on n’en est pas encore là – ce serait une véritable sanction. Une autre grande inconnue c’est comment va se comporter l’armée. L’Etat major est très fidèle à Gbagbo et globalement, pour le payement des militaires, il n’y a pas de risque pour lui. Ceci étant, il est possible qu’au sein de cette armée à un moment certains se posent des questions. Donc je dirais que les jeux sont plus internes essentiellement qu’externes. C’est un jeu de construction de la démocratie. On le voit notamment par rapport au Zimbabwe, les sanctions n’ont que des effets limités.

Afrik.com : Comment des régimes comme celui de Robert Mugabe réussissent-ils justement à tenir malgré les sanctions ?

Philippe Hugon :
M. Mugabe contrôle l’armée, il contrôle la police. Donc d’une certaine manière on est dans une situation qui se rapproche en partie de celle de la Côte d’Ivoire avec cette différence que pour la Côte d’Ivoire il y a une unanimité de la communauté internationale, ce qui n’est pas le cas pour le Zimbabwe qui n’a pas été totalement été désavoué par l’ensemble des partenaires africains.

Afrik.com : Lorsqu’on observe le cas du Zimbabwe que vous avez cité, n’est-on pas en droit de penser que ce sont finalement les populations qu’on pénalise et non les dirigeants ?

Philippe Hugon :
Il est certain que les populations sont les premières à souffrir des sanctions et des embargos. Et c’est là-dessus que s’appuient les leaders nationalistes comme Mugabe ou Gbagbo. Il faut observer que ce dont vont souffrir les Ivoiriens, c’est surtout de l’effondrement économique qui est en train d’apparaître. On était dans une économie stagnante. Il y avait des rentes qui étaient prélevées sur le cacao, sur le coton au Nord. Là on passe dans une économie où il y aura un effondrement. Donc baisse des revenus, baisse des l’emplois. Les populations vont souffrir de l’instabilité, de l’incertitude dans lesquels se trouve le pays.

Afrik.com : D’autres pays comme l’Afrique du Sud et la Libye ont également subi des sanctions sans visiblement trop en souffrir. Est-ce la traduction de la duplicité de la communauté internationale qui n’appliquait pas à la lettre les mesures prises contre eux ?

Philippe Hugon :
Oui. C’est sûr qu’il peut y avoir un double jeu. Et on sait très bien que certains opérateurs occidentaux continuaient à vendre des centrales nucléaires en Afrique du Sud alors qu’il y avait un embargo sur le nucléaire. Il peut y avoir des pratiques de contournement des embargos par des opérateurs qui cherchent à en profiter. On voit également le cas de la Chine vis-à-vis du Soudan ou du Zimbabwe. Les sanctions ne sont valables que si les grandes entreprises, les puissances moyennes mais aussi les grandes puissances sont en accord pour que ces sanctions soient appliquées par tous.

La Côte d’Ivoire rejoint ainsi, petit à petit, le groupe des pays africains ayant connu des sanctions internationales. Qu’elles soient le fait d’un seul État (sanctions bilatérales) ou de plusieurs (sanctions multilatérales) ces mesures constituent une alternative à l’intervention militaire. Elles sont un instrument destiné à obliger ou dissuader une entité politique à faire ou à ne pas faire quelque chose, et visent soit des individus, soit le pays tout entier. Elles sont apparues en Afrique dès les années 60, lorsque les Nations unies (1962) ont décidé d’appliquer de nombreuses restrictions commerciales à l’Afrique du Sud, pour sanctionner sa politique d’apartheid. En 1965, l’Onu réitère ce type de mesures contre Rhodésie (ancienne Zimbabwe) majoritairement peuplée de noirs mais tenue par une minorité blanche raciste, après la déclaration unilatérale d’indépendance du chef rebelle blanc et raciste Ian Smith. Les restrictions commerciales portent notamment sur le chrome, considéré comme un minerai stratégique. Au début des années 80, l’activisme du colonel Kadhafi, Guide libyens considéré alors comme l’un des parrains du terrorisme international, pousse l’Onu à sévir contre son pays. Les sanctions onusiennes atteignent leur point culminant en 1992, lorsqu’un embargo est décidé par le Conseil de sécurité, sur les installations pétrolières, dont l’exploitation constitue la principale source de rentes pour la Libye.

Les sanctions, une affaire panafricaine

Au cours de la dernière décennie, quatre autres pays ont subi des sanctions internationales. Epinglé pour les atteintes aux droits de l’homme de son président, le Zimbabwe de Robert Mugabe vit depuis plus de dix ans sous le régime des sanctions financières internationales le plus contraignant jamais appliqué à un pays africain. En 2000, l’Union européenne et des Etats-Unis ont interdit à la Banque mondiale, au Fonds monétaire internationale ainsi qu’à 18 autres institutions financières, de traiter avec le Zimbabwe. Le pays s’est vu interdire toute possibilité de prêt, ce qui a contribué à son asphyxie financière. Beaucoup plus au nord du Zimbabwe, le Soudan du président Omar el-Béchir est également dans le collimateur de certaines grandes puissances depuis cinq ans. Accusé de crimes de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide dans le cadre du conflit du Darfour, Omar el-Béchir a été déclaré persona non grata en Occident. Une décision doublée en mars 2009 par un mandat d’arrêt international émis contre lui par la Cour pénale internationale. Il y a deux ans, les Etats-Unis ont décidé de suspendre leur aide bilatérale à la Mauritanie, après le coup d’Etat militaire perpétré contre le président élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, par le général Mohammed Ould Abdel Aziz. La prise du pouvoir en Guinée l’année dernière par une junte militaire, suite à la mort du dictateur Lansana Conté, et les violations des droits de l’homme qui ont suivi, ont également poussé l’Union européenne à prendre des sanctions ciblées contre des membres du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) alors au pouvoir. Le gel de leurs avoirs à l’étranger a été annoncé, ainsi que des interdictions de visas de sortie.

Résultats mitigés des sanctions internationales

Ces sanctions internationales atteignent-elles leurs objectifs ? La plupart des observateurs répondent par la négative. Ils font remarquer que les pressions internationales aboutissent rarement à un changement de régime ou de politique, en dépit des souffrances qu’elles infligent aux populations. Si l’on s’accorde à dire que les menaces de la communauté internationale ont contribué à chasser la junte militaire en Guinée du pouvoir, il s’agit d’un cas isolé.

Les sanctions imposées à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid n’ont que passagèrement atteint son économie, même si selon certains, elles ont joué un rôle dans l’arrêt du régime de ségrégation raciale, au début des années 90. Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, Marie-Hélène Labbé explique qu’entre 1985 et 1989, c’est-à-dire pendant les sanctions, le volume des échanges entre ce pays et l’étranger a augmenté de 24,1% pour les exportations et de 26,2% pour les importations, tandis que l’investissement atteignait 10,8 milliards de dollars. En Libye également, une décennie de sanction n’a pas ébranlé le pouvoir du colonel Kadhafi. C’est de son proche chef que le Guide a décidé de revenir au sein de la communauté internationale, en livrant à la justice suisse certains de ses proches impliqués dans des attentats et en renonçant à développer des armes de destruction massive.

Souffrances des populations

Tout comme au Zimbabwe, où Robert Mugabe ne cesse de se payer la tête de ses détracteurs. « Au diable, au diable, qu’ils aillent au diable, voilà ce que nous disons ! », leur crie-t-il. Ici, ce sont les populations qui ont trinqué. Ajoutées aux effets d’une grave crise politico-économique, les sanctions internationales ont mis le pays à genoux. L’inflation a atteint des niveaux records. Le chômage concerne plus de 80% des personnes actives et près d’un tiers de la population a quitté le pays. Des maladies de la pauvreté comme le choléra tuent par dizaine de milliers.

Double jeu

Les sanctions échouent principalement à cause de l’absence d’unanimité des Etats dans leur application. « Il peut y avoir des pratiques de contournement des embargos par des opérateurs qui cherchent à en profiter », relève Philippe Hugon, Directeur des recherches à l’Institut des relations internationales (IRIS) de Paris (lire l’interview ci-contre). Même si en Afrique du Sud, les performances économiques des années 1985-1989 s’expliquent en partie par le fait que les sanctions ne s’appliquaient pas à l’or, au diamant et d’autres métaux (le platine, le férro-chrome et le vanadium) dont regorge le pays, de nombreux chercheurs ont établi que plusieurs pays avaient contourné les restrictions commerciales qui frappaient le pays. Cela avait été le cas également en Rhodésie (Zimbabwe), où les Etats-Unis, l’Afrique du Sud et le Portugal avaient continuer à faire commerce avec le régime raciste. Au Soudan, L’Union africaine a décidé de soutenir Omar el-Béchir. Lequel, bien que recherché par la Cour pénale internationale, peut librement se déplacer sur le continent. De son côté, la Chine, principal exploitant du pétrole soudanais, a menacé de faire usage de son droit de veto, pour bloquer les sanctions contre ce pays.
Lorsqu’elles y trouvent leur intérêt, les grandes puissances abandonnent l’idée de sanctions. Cela a été le cas en Mauritanie, où la France et les Etats-Unis ont finalement adoubé le général putschiste Mohammed Ould Abdel Aziz en lieu et place du président démocratiquement élu et déchu Sidi Ould Cheikh Abdallahi. A leurs yeux, il constituait le meilleur gage de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme dans la région.

En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et ses alliés ne semblent pas pour l’instant troublés par les mesures prises contre eux. Evoquant l’interdiction de séjourner en Europe, son ministre de l’intérieur, Emile Guiéroulou, a laissé entendre qu’il « ne prend pas de vacances en Europe, alors ce n’est même pas une vraie sanction. » « Même si cela nous coûte, nous ne céderons pas. C’est la vie du peuple de Côte d’Ivoire qui compte pour nous », a-t-il ajouté. Cependant, l’Onu n’en démord pas. Porte-parole de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire Hamadoun Touré ne se dit pas pessimiste : « Je ne sais pas si les sanctions auront une portée importante. Cependant, on n’a jamais vu une unanimité de la communauté internationale semblable à celle contre Laurent Gbagbo. » Le boulanger d’Abidjan n’a pas encore livré toutes ses recettes.

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