Comment humaniser les prisons au Maroc ?


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Les conditions d’accueil dans les prisons marocaines sont inquiétantes. Malgré la volonté des autorités d’entraver la mission de la société civile dans les prisons, les informations arrivent à alimenter des rapports qui interpellent.

Dans son article, Asmâa Bassouri, dénonce les atteintes aux droits de l’Homme dans les prisons marocaines : des conditions inhumaines de détention, des atteintes à l’intégrité et la dignité, des locaux précaires. L’auteure fait alors une série de propositions contextualisées qui peuvent d’évidence inspirer d’autres pays que le Maroc.

Que les prisons marocaines soient dans un état piteux, voilà une affirmation que peu contesteront. Des rapports réguliers, tant de l’Observatoire Marocain des Prisons que du Conseil National des Droits de l’Homme, font état de l’indignité des conditions de détention. Pourquoi les établissements pénitentiaires continuent-ils d’être une zone de non-droit, et comment remédier à la situation ?

Bien que le Maroc dispose d’un cadre normatif régissant les prisons – e.g. Constitution, Code de Procédure Pénale (CPP), conventions internationales ratifiées (à leur tête celle contre la Torture et son protocole facultatif), en plus de certains textes spécifiques tels la loi n° 23-98 relative à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires – l’exécution des peines privatives de liberté au sein de ces établissements demeure encore loin de se conformer aux standards édictés par lesdits textes. On se demander même si la prison se conçoit comme lieu de détention en vue de redresser et de rééduquer, ou comme camps de concentration où la maltraitance serait la norme.

Un traitement inhumain

En effet, dans l’inconscient collectif (et on soupçonnerait que les autorités soient elles aussi imprégnées par cette croyance), un malfaiteur qui finit en prison mérite son sort. Toute « humanisation » de la peine reviendrait à vider celle-ci de son essence et lui ôter son caractère dissuasif. Le débat sur les rapports qu’entretiennent droit pénal et droit international des droits de l’Homme n’est en soi pas nouveau, il a agité depuis longtemps praticiens et doctrinaires, mais l’on s’accordera à dire que les faits criminels reprochés à un individu – et quelque soit leur gravité – ne pourraient servir de motif pour le bafouage de ses droits humains les plus élémentaires, une fois remis à la justice. Qui plus est, les divers dysfonctionnements observés au niveau des prisons seraient de nature à hypothéquer la possibilité de réhabilitation du délinquant, empêchant ainsi l’emprisonnement de remplir le rôle qui lui est normalement assigné, à savoir la rédemption.

La question carcérale est de tout intérêt tant l’enjeu est de taille : des prisonniers ayant reçu un traitement inhumain peuvent récidiver. Cette inhumanité du traitement se mesure au surpeuplement carcérale (avec un taux de remplissage de 220%), à l’insalubrité des locaux, à l’absence d’activités de réinsertion, sans oublier les exactions commises à l’encontre des détenus et qui sont légion : insultes, coups, suspensions, brûlures, déshabillage forcé devant les autres prisonniers, manque d’accès aux soins d’hospitalisation, abus de recours aux mesures disciplinaires comme l’isolement dans des cellules individuelles ou encore le transfert vers une autre prison… etc. Si le délinquant paie sa dette envers la société dont il a porté atteinte à l’ordre public par ses faits criminels, encore faut-il que cela se fasse dans des conditions minima de décence. La question carcérale doit faire l’objet d’une nouvelle attention politique en transformant l’administration pénitentiaire plutôt que de songer à la seule construction de nouvelles prisons, une mesure qui peut aider à court terme certes par l’augmentation de la capacité d’accueil carcérale, mais qui ne sera pas plus qu’une solution-pansement, ne réglant point le problème au fond.

Des procédures inappropriées

D’abord, sur le plan normatif, le recours à la détention préventive (présentant 40% de la population carcérale et donc cause directe de surpeuplement) doit être rationalisé. Le CPP devrait la conditionner davantage pour en brider l’abus de recours, et lui substituer d’autres mesures telles le contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence sous surveillance électronique. Dans la même lignée, il serait aussi utile de repenser la peine après que l’emprisonnement se soit imposé comme clé de voûte du système pénal. Des alternatives à la prison peuvent décongestionner celle-ci et être plus productives en termes de rédemption/réinsertion.

Un accueil décent s’impose

Ensuite, les établissements pénitentiaires doivent être rénovés et dotés de ressources humaines et matérielles suffisantes pour garantir les droits des prisonniers, en leur fournissant des prestations décentes d’hygiène, alimentation, santé ainsi que de réhabilitation et réinsertion par l’éducation et les formations professionnelles. De même, ces établissements seraient sommés à une catégorisation méticuleuse des détenus (ce qui découlerait sur une différenciation de traitement, à ne pas confondre avec la discrimination répressible) : les mineurs, les malades mentaux, les toxicomanes, les personnes radicalisées… ne peuvent être mélangés avec les autres détenus.

Une plus grande ouverture sur la société civile par l’élargissement des champs de partenariat avec celle-ci, serait un autre aspect à développer. La réglementation actuelle ne permet aux associations qu’un contact limité avec les détenus, notamment lors des fêtes, en plus d’être conditionné par l’approbation du délégué général de l’administration pénitentiaire. Cette dernière exigence devrait être révisée et réduite à la seule information du délégué et non l’obtention de sa permission. Les autorités craignant d’évidence qu’un accès aisé aux prisons ne permette un monitoring systématique des abus par la société civile, devraient plutôt voir en celle-ci un prestataire potentiel pouvant suppléer à leur propre incompétence. Minimiser le rôle de la société civile reviendrait à se priver injustement de son soutien.

Enfin, une réédition des comptes par les établissements pénitentiaires devrait s’imposer d’urgence. La magistrature devrait désormais contrôler ce qui se passe en prison. A ce propos, le rôle inefficace pour ne dire quasi-absent du juge de l’application des peines serait l’un des principaux aspects à pâtir du présent cadre institutionnel. Outre l’élargissement des prérogatives de ce juge, nous préconisons la création d’une instance nationale indépendante de contrôle. Une modification des rapports de pouvoir au sein de l’institution carcérale est nécessaire pour permettre une meilleure reconnaissance juridique des détenus dont les doléances doivent être entendues, et auxquelles devraient être apportées des réponses adéquates par le biais de l’intervention de ladite instance. Ceci étant dit, il est important d’agir parallèlement en amont sur l’environnement socioéconomique « pourvoyeur » de la population carcérale (exclusion économique, dysfonctionnements familiaux, etc.) afin d’assécher efficacement la source du mal.

Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc).

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