Chine-Soudan : Pékin, entre Khartoum et Djouba


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Drapeau de la Chine
Drapeau de la Chine

Les prétentions commerciales chinoises en Afrique, largement commentées depuis une dizaine d’années, n’ont vraisemblablement pas fini de passionner économistes et autres géopolitologues.

Le grand bond en avant du commerce sino-africain (+294% entre 2003 et 2007) a pour principal effet de rapprocher toujours plus les acteurs économiques, diplomatiques et culturels chinois du continent noir. Les deux parties se redécouvrent aujourd’hui des liens, tissés lors de la période des émancipations nationalistes asiatiques et africaines d’après guerre. Ce sont ces mêmes liens qui ont constitué la chair vive du mouvement tiers-mondiste des « non-alignés » pendant la Guerre froide avec comme point d’orgue les conférences de Bandung (1955) et de Belgrade (1961).

Le commerce Chine-Afrique a été multiplié par vingt en douze ans

Cependant, à l’image des bouleversements qu’a connus la Chine depuis 1978 et les premières mesures de libéralisation, le lien Chine-Afrique n’est aujourd’hui plus tant fondé sur une opposition des « Suds » envers les « Nords », mais plutôt selon le principe populaire « les bons comptes font les bons amis ». Ce nouveau départ de « l’amitié » sud-sud donnerait presque le vertige : le commerce Chine-Afrique a été multiplié par vingt en douze ans. Tant et si bien que certains pays comme le Soudan (avant la partition), pour lequel l’exportation de pétrole représente 80% du PIB, font transiter plus des trois quarts de leur or noir en direction de l’Empire du milieu, le conduisant à une situation de dépendance vis-à-vis de la République populaire.

Cette situation est difficilement vécue par certains Africains, comme l’ont montré les troubles anti-Chinois lors de la visite du chef d’Etat Hu Jintao en Zambie en 2007 et les « régulières » prises d’otages d’ouvriers chinois. Mais il faut relativiser : en 2008, la Chine représentait 10,3% des exportations africaines alors que l’UE se taillait la part du lion, avec près de 40% des produits africains à destination des vingt-sept pays formant l’Union européenne.

Ce n’est en effet pas (encore ?) tant le volume des échanges qui choque, mais plutôt la vitesse phénoménale avec laquelle les investissements chinois se sont déployés sur le continent africain. Ces relations commerciales, avantageuses avant tout pour la Chine mais aussi pour l’Afrique (qui y trouve d’autres débouchés qu’européens) ont en effet été les objets d’attentions toutes particulières pour les Chinois vers la fin des années 1990, pour qui l’Afrique a tout d’un eldorado.

Ce n’est un secret pour personne, il s’agit d’étancher la soif qu’a la République populaire de Chine pour les matières premières, à l’avant desquelles se trouve le pétrole (près de 70% du commerce Chine/Afrique) : rappelons-le, si les 1,3 milliards de Chinois avaient le même nombre de voitures par habitant que les états-uniens, ils engloutiraient à eux seuls la totalité des barils produits quotidiennement dans le monde. Autre intérêt économique, les métaux précieux et, moins significatif, les matières agricoles, la Chine populaire concentrant 29% de la population mondiale mais seulement 11% des terres arables.

L’opération séduction de la Chine pour diminuer Taiwan

Au delà de l’économie, la Chine trouve aussi des intérêts diplomatiques non négligeables à sa présence africaine, à savoir détourner les Etats africains du « frère ennemi » Taïwanais (avec qui elle se dispute la souveraineté du « monde chinois » depuis 1949) et améliorer son « soft power », son image de marque auprès des Africains (cherchant à combler son manque d’attraction -autre qu’économique- auprès des Occidentaux), se posant en pourvoyeur d’emplois et déployant un arsenal médiatique inédit dans les autres parties du monde [[Outre divers sites Internet étatiques, CCTV Africa, chaine d’Etat chinoise anglophone à destination du public africain à ouvert son propre bureau de production d’information à Nairobi, premier du genre en dehors de Chine, et a pour objectif d’en ouvrir pas moins de quatorze dans les prochaines années.]].

Surfant sur l’héritage tiers-mondiste, la Chine se veut aussi être l’appui des pays africains pour œuvrer à leur « renaissance », ce qui, outre les excès de fausse philanthropie, n’est pas sans intérêt pour les Chinois : puissance exportatrice majeure, la Chine a tout intérêt à avoir des partenaires en bonne santé économique. Il faut d’ailleurs prendre en compte le fait que la Chine est engagée dans de nombreux projets de « développement structurel » (routes, rails, production d’électricité) peu rentables mais nécessaires sur le long-terme.

Le Soudan, un faux-pas dans la stratégie chinoise

Mais plusieurs exemples semblent montrer que la Chine a parfois confondu vitesse et précipitation dans son périple africain. L’exemple le plus récent reste le Soudan. Partenaire particulier de Pékin en Afrique, Khartoum (actuelle République du Soudan, dite « du Nord ») avait trouvé un appui diplomatique : la Chine ne se mêlant pas des affaires intérieures des Etats souverains, elle avait opposé son véto aux résolutions des Nations-unies condamnant la gestion des évènements du Darfour et des différents conflits armés par le gouvernement d’El-Béchir. Le partenariat sino-soudanais était également commercial avec des contrats potentiellement juteux pour les deux parties. Il faut rappeler que le Soudan est sous embargo américain depuis 1997, à l’exception de certaines compagnies, dont Coca-cola, qui bénéficient de « faveurs » (Guillaume Pitron, Liens méconnus entre Khartoum et Washington : quand la gomme arabique fait tanguer l’Amérique, Le Monde Diplomatique, avril 2011)).

Mais les Chinois n’ont sans doute pas vu venir la partition du pays, officialisée le 9 juillet 2011, établissant une frontière –disputée- entre les investissements matériels chinois (raffinerie d’Al-Geili, terminaux portuaires, etc) et la majorité des précieux champs de pétrole, le Sud-soudan produisant aujourd’hui 75% des 470 000 barils quotidiens. En effet, il semblerait que les Chinois aient parié sur le mauvais cheval, erreur difficile à rattraper : les Sud-soudanais, qui n’ont pas oublié l’attitude de la Chine lors des différents déchirements internes du pays, développent en conséquence une diplomatie beaucoup plus favorable aux Etats-Unis qu’aux Chinois. Ils n’ont ainsi pas hésité à expulser, fin février dernier, le représentant chinois du groupe pétrolier Petrodar, accusé d’être le « complice » du Nord-Soudan par lequel la Chine fait toujours transiter ce qui lui reste de pétrole dans la zone. Les autorités de Djouba n’ont d’ailleurs pas tardé à annoncer leur projet de construction d’un pipeline lui donnant accès à la mer, évitant ainsi la route de Khartoum (pour qui le contrôle des routes pétrolières constitue un levier de pression décisif) et donc la majorité des investissements chinois.

Il y a fort à parier que la Chine aura besoin de temps pour se faire bien voir des autorités du Soudan du Sud, même si les opportunités africaines « de remplacement » ne manquent pas. Le véritable problème pour la République populaire de Chine réside sans doute dans le fait que le projet d’exportation du pétrole sud-soudanais vers les côtes orientales africaines (via le Kenya) est révélateur d’une tendance globale : l’attraction du rival indien, qui pourrait bien, d’ici quelques années, perturber le projet africain de Pékin.

Par Théo Clément

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