Centrafrique : impunité totale pour les criminels de guerre


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Les auteurs de crimes de guerre jouissent d’une impunité totale en Centrafrique. C’est ce que dénonce la FIDH dans un rapport publié jeudi. La justice centrafricaine s’est elle-même déclarée incompétente et a demandé à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête sur la guerre qui a mené François Bozizé au pouvoir. Afrik s’est entretenu avec Sidiki Kaba, le président de la FIDH.

La Centrafrique est abandonnée à elle-même. Depuis que François Bozizé a pris le pouvoir par la force, le 15 mars 2003, mettant fin à six mois de guerre (octobre 2002 à mars 2003), aucun des auteurs présumés de crimes de guerre n’a été jugé, dénonce la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) dans un rapport publié jeudi. Les « libérateurs » à la solde du nouveau président ne l’ont pas plus été que le chef de l’Etat déchu, Ange Félix Patassé, ou que Jean Pierre Bemba et Abdoulaye Miskine, les chefs de guerre dont il a sollicité le soutien. Or, explique Sidiki Kaba, le président de la FIDH, cette impunité est la source et la cause des cycles de violence qui caractérisent la République de Centrafrique (RCA) depuis son indépendance, en 1960. Une nouvelle rébellion prend ainsi forme depuis plusieurs mois au nord-est du pays. C’est pourquoi l’avocat sénégalais, qui a conduit une délégation a Bangui, appelle la Cour pénale internationale (CPI) à se saisir du dossier. Afin que les victimes, mutilées et humiliées, oubliées par la communauté internationale et stigmatisées chez elles, y trouvent une réparation.

Afrik : Aucun haut responsable présumé coupable de crimes de guerre n’a été inquiété à ce jour ?

Sidiki Kaba :
A notre connaissance, aucune personne n’a été poursuivie dans le cadre de crimes de guerre. La cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 11 avril dernier qu’elle était dans l’incapacité de poursuivre les présumés coupables et a renvoyé le dossier devant la CPI. Elle n’a pas les moyens matériels et financiers de mener une telle action. Le président Patassé est au Togo et le mandat d’arrêt international que les autorités centrafricaines ont envoyé à Lomé n’a pas eu de suites. Les autorités françaises n’ont pas plus répondu à la commission rogatoire envoyée au sujet de Paul Baril (un mercenaire français, ndlr). Jean Pierre Bemba est vice président en RDC et Abdoulaye Miskine est en fuite au Soudan.

Afrik : Qu’en est-il des « libérateurs » ?

Sidiki Kaba :
La cour mise avant tout sur Patassé et les milices qu’il a sollicitées. C’est-à-dire près de 1 000 hommes envoyés par Jean Pierre Bemba et 300 venus avec Abdoulaye Miskine, qui ont commis des exactions que l’on peut considérer comme des crimes de guerre : viols collectifs, exécutions sommaires, incendies… Quant à ceux que l’on appelle les « libérateurs », ils ont estimé après le coup d’Etat qu’ils étaient à l’origine de la victoire de Bozizé. En tant que telle, ils ont commencé à commettre les actes les plus répréhensibles contre la population. A l’image de l’affaire Dogo, un « libérateur » qui a assassiné des civils après avoir été promu lieutenant de l’armée. Il a eu droit à des funérailles nationales après sa décapitation par des rebelles dans le nord du pays. Nous avons rencontré le président centrafricain durant 1h30 et nous lui avons faire part de nos inquiétudes concernant la situation sécuritaire désastreuse et l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes, « libérateurs » compris.

Afrik : Pourquoi les populations civiles sont elles visées ?

Sidiki Kaba :
Les miliciens ont pour consigne de « se payer sur la bête », c’est-à-dire de piller la population. Les civils sont également visés par un groupe lorsqu’ils sont censés soutenir un adversaire. Comme c’est également un conflit ethnique, l’armée centrafricaine aux ordres de Patassé s’est attaquée aux Centrafricains de la même ethnie que Bozizé durant la guerre, et d’une manière générale contre ceux considérés proches de sa rébellion.

Afrik : Vous évoquez dans le rapport la « double peine des victimes » qui n’ont pas obtenu justice et sont stigmatisées…

Sidiki Kaba :
Nous avons rencontré près de 250 victimes de violences. Ils demandent justice et se sont rassemblées dans une association, l’Oco Defad (Organisation pour la compensation et la défense des victimes), qui compte plus de mille adhérents. Des femmes nous ont raconté comment des sidéens, parmi les miliciens, avaient pour tâche de les violer et de leur inoculer le virus du Sida. La femme est devenue un champ de bataille et son corps est ciblé afin de tuer la population à petit feu. Nous avons reçu un chef coutumier qui a été sodomisé et qui n’a plus aucune estime pour lui-même, mais ne veut pas se tuer. Toutes ces personnes, en plus de leur souffrance, sont stigmatisées. Si une personne déclare qu’elle est sidéenne, s’en est finit pour elle. Les enfants nés de viols sont ainsi obligés de fuir l’école. Un médecin du programme de l’Onu contre le sida nous a expliqué comment les personnes atteintes de cette maladie se cachent pour venir le consulter et comment il doit dissimuler les médicaments qu’il leur prescrit. N’osant pas déclarer leur maladie, ils deviennent eux-mêmes des vecteurs de propagation du sida.

Afrik : La situation ne semble pas s’améliorer avec la formation d’une nouvelle rébellion, au nord, à laquelle Abdoulaye Miskine prendrait part…

Sidiki Kaba :
Au départ, lorsque les violences étaient reportées dans le nord, les autorités les imputaient à des bandits et d’« ex libérateurs » devenus coupeurs de route. Mais cela ne peut plus être le cas aujourd’hui. Il faut reconnaître qu’il s’agit là d’une rébellion, à laquelle certains « libérateurs » se sont joints, et qui pourrait devenir dangereuse. Nous ne la connaissons pas bien car personne ne peut vraiment se promener là-bas. Mais des attaques de villages, à Markounda, Bossangoa, Bémal… ont été revendiquées par l’APRD. Elle aurait des liens avec Patassé car ce serait en partie ses hommes qui l’aurait formée pour reprendre le pouvoir.

Afrik : Vous évoquez ses liens possibles avec la rébellion tchadienne…

Sidiki Kaba :
Dans cette zone frontalière avec le Tchad et le Soudan, les rébellions tchadiennes et centrafricaines se sont jointes pour faire cause commune contre les régimes de Bangui et de Ndjamena. Nous regrettons aujourd’hui de voir la communauté internationale nous prêter attention sur le dossier de la RCA uniquement parce que la situation concerne aussi le Tchad et le Soudan. Le pétrole est le catalyseur des conflits dans ces pays. C’est ce qui intéresse les membres permanents à l’Onu.

Afrik : A son arrivée, le président Bozizé a déclaré qu’il allait assainir le commerce du diamant et du bois, les principales richesses naturelles de la RCA. Qu’en est-il ?

Sidiki Kaba :
Selon nos sources, les trafiquants continuent l’exploitation des zones diamantifères. Il n’y a pas de comptabilité claire de ce que l’Etat encaisse et la justice est toujours corrompue. Certains juges nous ont déclaré ne pas avoir été payés depuis 2002… ils ne peuvent vivre que de la corruption.

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