« Cellule Afrique » de l’Elysée : Circulez, y’a rien à voir !


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L’Etat français semble toujours peu enclin à collaborer à l’élucidation de l’affaire Borrel. Deux juges d’instruction se sont vus refuser l’entrée de l’Elysée, mercredi, dont ils souhaitaient perquisitionner la « cellule Afrique ». Le palais présidentiel a brandi l’article 67 de la Constitution qui rend le président de la République intouchable durant son mandat.

Les juges d’instruction qui souhaitaient perquisitionner la « cellule Afrique » de l’Elysée, mercredi, dans le cadre d’un dossier périphérique à l’affaire Borrel, se sont vu opposer une fin de non recevoir ferme. Le palais présidentiel a d’abord argué de la nature militaire de son enceinte, nécessitant de la part des juges le déclenchement d’une procédure pénale longue pour y accéder, avant de brandir l’article 67 de la Constitution.

Voté en février dernier par le Parlement, cet article prévoit que « le président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité. Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction (…) être requis de témoigner non plus que de faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ».

Les deux juges n’ont pas fait de déclaration. Mais Me Olivier Morice, l’avocat de Mme Borrel, la veuve du juge retrouvé mort en 1995, à Djibouti, dans des circonstances non élucidées, a dénoncé « une entrave inadmissible à la justice ». Le Syndicat de la magistrature (de gauche) et l’Union syndicale des magistrats (majoritaire) ont eux aussi dénoncé l’« obstruction » à l’action judiciaire ainsi faite. Les deux organisations soulignent également l’interprétation erronée de l’article 67 qui protégerait la personne du président mais pas ses services, visés par les juges. Au contraire, d’autres juristes constitutionnalistes cités par Le Monde se prononcent pour une « interprétation extensive » de l’article de loi qui inclurait les collaborateurs et les locaux du chef de l’Etat.

Les Affaires étrangères, la Justice et la « cellule Afrique » en cause

Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia avaient déjà perquisitionné le ministère de la Justice et celui des Affaires étrangères, les 18 et 19 avril dernier, dans le cadre de cette affaire où elles enquêtent sur les conditions de rédaction d’un communiqué du Quai d’Orsay publié le 29 janvier 2005. Celui-ci annonçait la transmission à la justice djiboutienne du dossier de l’affaire Borrel, où figure l’identité de témoins qui mettent en cause Ismaël Omar Guelleh, le président de cet ancien territoire français. En réponse, Elisabeth Borrel avait déposé plainte pour « publication de commentaires en vue d’influencer une décision judiciaire ».

Elles avaient dû faire sans le soutien de la gendarmerie, selon laquelle « ce type d’intervention prendrait nécessairement un sens politique, médiatiquement exploité » dans le contexte des élections présidentielles. Au contraire, les juges ainsi que le syndicat de la magistrature soulignent la nécessité de perquisitionner la « cellule Afrique » avant la fin du processus électoral. Elles craignent que la valse des ministères accompagnée de destruction d’archives ne fassent disparaître les preuves éventuelles.

« Raison d’Etat, quand tu nous tiens »

Ce n’est pas la première fois que l’Etat français met des bâtons dans les roues de la justice dans cette affaire. La dernière remonte au sommet Afrique-France de février dernier, à Nice, où le président de Djibouti était convié. Sophie Clément, la juge d’instruction chargée du dossier, avait alors convoqué Ismaël Omar Guelleh pour l’entendre en qualité de témoin.

Mais le ministère des Affaires étrangère avait indiqué via un communiqué, avant la réponse de l’intéressé, que l’immunité diplomatique empêche un juge d’instruction d’auditionner un chef d’Etat étranger. Avec près de 2 800 hommes, la France entretient sa principale base militaire extérieur à Djibouti. Un carrefour stratégique de plus en plus couru dans le Proche-Orient, notamment par les Etats-Unis, qui y ont installé 1 500 marines en 2001.

Dans un communiqué titré « raison d’Etat, quand tu nous tiens », le Syndicat de la magistrature s’était indigné « du double langage permanent des autorités françaises, tantôt faussement bienveillantes vis-à-vis du combat pour la vérité mené sans relâche par Elisabeth Borrel, tantôt – et le plus souvent – impitoyable vis-à-vis de l’enquête (…) Aussi, le Syndicat de la magistrature attend-il du Président de la République française, (actuel et futur) un engagement fort pour que la justice ne soit plus l’objet d’obstacles incessants dans cette affaire ». Raté pour l’actuel.

En image : détail couverture « Un juge assassiné », par Elisabeth Borrel, Flammarion

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