[CANNES 2014] Quand Omar El Zohairy filme la peur qui tue…


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Le jeune cinéaste égyptien Omar El Zohairy présente ce jeudi son court métrage « The Aftermath of the inauguration of the public toilet at kilometer 375 (La suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375) qui figure dans la sélection de la Cinéfondation du Festival de Cannes. Trois courts et moyens métrages, réalisés par des étudiants d’écoles de cinéma, sont récompensés chaque année. C’est la première fois que l’Egypte, avec l’Academy of Arts High Cinema Institute, figure dans cette sélection. Entretien sous le signe du soleil et de la bonne humeur avec Omar El Zohairy.

Omar El Zohairy est un cinéaste égyptien né au Caire en 1988. Il commence ses études de cinéma en 2006. « J’ai passé beaucoup de temps à l’école parce que je n’étais pas un bon étudiant », confie-t-il avec un large sourire. La même année, il fait ses débuts dans l’industrie cinématographique comme assistant-réalisateur auprès notamment de Yousry Nasrallah et de Ahmad Abdalla. Omar El Zohairy offre à l’Egypte avec son court métrage « The Aftermath of the inauguration of the public toilet at kilometer 375 (La suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375) » sa première participation à la sélection de la Cinéfondation. Pour l’édition 2014, ce volet de la sélection officielle du Festival de Cannes comporte 16 courts et moyens métrages présentés par des écoles de cinéma à travers le monde. Le jury de la Cinéfondation et des courts métrages, présidé cette année par le cinéaste iranien Abbas Kiarostami et dont fait partie le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun, récompensera ce jeudi les trois meilleurs.

Afrik.com : D’où vous est venue cette idée de retranscrire à l’écran cette expression que l’on connaît tous :  » mourir de peur » dans « The Aftermath of the inauguration of the public toilet at kilometer 375 (La suite de l’inauguration des toilettes publiques au kilomètre 375) »?

Omar El Zohairy :
Je suis obsédé par les anti-héros et par conséquent j’aime faire des films sur la peur, la colère… J’essaie de travailler sur ces sentiments. C’est une histoire courte de l’écrivain russe Anton Tchekhov – The Death of a government clerk – et j’ai voulu la retranscrire dans la période moderne qu’est la nôtre. J’ai lu l’histoire – celle d’un homme qui éternue devant un homme important et qui meurt de sa phobie de l’avoir offensé – et je me suis dit que cela ferait un bon court.

Afrik.com : Si le héros est tétanisé par sa peur, c’est peut-être parce que le ministre devant lequel il a éternué pendant la fameuse inauguration ne fait rien pour faire baisser la pression…

Omar El Zohairy :
En réalité, le ministre est totalement indifférent au fait qu’il ait éternué mais c’est l’insistance de l’individu à vouloir s’excuser auprès de lui qui finit par l’agacer. Pour moi, ce n’est pas le ministre qui a un problème mais l’employé qui croit que ce responsable va le tuer parce qu’il a éternué. C’est avant tout l’histoire d’un homme qui a toujours fait profil bas et qui est terrifié.

Afrik.com : Contrairement aux Egyptiens. En faisant la révolution, vous avez montré au monde que vous n’aviez peur de rien. Vous n’êtes pas des gens effrayés ?

Omar El Zohairy :
Nous avons un peu plus peur maintenant parce les militaires sont en train d’installer une nouvelle version du régime de Moubarak. Aujourd’hui, nous sommes effrayés parce que la police est comparable à celle que nous connaissions auparavant.

Afrik.com : La situation de votre pays aujourd’hui peut-elle être interprétée comme un échec de la révolution ?

Omar El Zohairy :
La situation est beaucoup plus complexe que ça et surtout triste. Mais nous devons la gérer parce qu’ il s’agit d’un combat pour la liberté, de trouver la voie qui nous y mène entre les islamistes et les militaires. Ce n’est pas une question de politique, il s’agit de notre vie. Nous avons le droit de vivre dans un environnement meilleur, un bon pays. Nous n’avons pas un bon système éducatif, un bon système de santé… Aujourd’hui, les choses sont encore plus compliquées que sous l’ère Moubarak.

Afrik.com : Vous le pensez réellement ?

Omar El Zohairy :
C’est plus compliqué maintenant parce que c’est évident que les militaires sont contre les jeunes, la révolution. Ils veulent réduire cette révolution à une idée abstraite où il serait juste question de changer de président. Ils veulent réduire les révolutionnaires à des gens qui disent juste « non » alors qu’il s’agit de réclamer de meilleures conditions de vie. Nous avons besoin d’une meilleure éducation, d’une sécurité sociale, de culture, de liberté et de développer notre pays. Il ne s’agit pas d’avoir un nouveau Président ou une nouvelle Constitution. Cela nous est égal. Ce qui nous importe, c’est de vivre dans pays où il fait bon vivre. Nous savons exactement ce que nous voulons, contrairement ce que veut faire croire l’armée qui arrête et tue les jeunes. Les militaires disent qu’il faut tuer les islamistes aussi… Certes, ces derniers n’ont rien fait de bon pour le pays. Ils ont voulu faire de l’Egypte un Etat conservateur. Mais ce n’est pas ainsi que l’on traite ses concitoyens. Il faut trouver le moyen de ne tuer personne ! Ils ont tué beaucoup d’islamistes. C’est pourtant l’armée qui est à l’origine du développement de leur mouvement. Le régime de Moubarak a appauvri les Egyptiens dont beaucoup se sont tournés vers les Frères musulmans qui se sont intéressés à eux pour les rallier à leur cause.

Afrik.com : Les Frères musulmans sont-ils responsables selon vous de la situation du pays parce qu’ils ont fait des erreurs quand ils étaient aux affaires ? Ils ont tenté par exemple d’empêcher des cinéastes de faire des films…

Omar El Zohairy :
Ils ont tenté de changer l’identité de notre pays, de l’islamiser, d’en faire un pays très conservateur, de contrôler la culture… Mais l’Egypte est un très grand pays et l’industrie cinématographique y est très forte. Elle n’est donc pas facile à contrôler. En dépit de toutes les oppositions, nous continuons de faire facilement des films. Cependant, de manière générale, c’est difficile d’être libre quand on vit en Egypte ou en Afrique.

Afrik.com : Vous remerciez Yousry Nasrallah dans le générique de fin de votre court métrage. Pourquoi ?

Omar El Zohairy :
J’ai été l’assistant de Yousry sur trois films – Après la bataille (en compétition au Festival de Cannes en 2012), Femmes du Caire et Shéhéerazade – et je travaillerai sur son prochain projet. Je travaille avec lui comme assistant-réalisateur depuis huit ans. C’est un ami. Il m’a beaucoup aidé. Quand j’étais à l’école de cinéma il y a huit ans, à mes débuts, j’ai rencontré des difficultés parce que j’avais un enseignant qui me disait que je n’avais pas l’étoffe d’un réalisateur. Au même moment, Yousry appréciait mon premier projet scolaire. Il m’a encouragé en me disant que j’étais un bon réalisateur. Il m’a beaucoup aidé et j’ai ensuite collaboré avec lui. Il est formidable et je suis très content de figurer dans la sélection de la Cinéfondation !

Afrik.com : Comment vous avez atterri dans cette sélection, une première pour l’Egypte ?

Omar El Zohairy :
C’est Yousry qui m’en a parlé en me disant que je devrais soumettre mon travail, qu’il trouvait bon, à Cannes. Je lui ai répondu que je l’avais fait rapidement et que je ne pensais pas que ça en valait la peine. J’ai tourné en vingt-huit jours. C’était mon projet de fin d’études. Avant, je n’avais fait qu’un autre court – « Zafir (Breathe out) » qui a été par la suite récompensé au Festival de Dubaï et en sélection officielle à Cinemed (festival international dédié au cinéma méditerranéen qui se tient à Montpellier, ndlr). Je me suis donc inscrit en ligne et le 20 mars, j’ai reçu un mail de Dimitra (Karya) qui s’occupe de la sélection de la Cinéfondation. Elle m’a posé quelques questions pour savoir si c’était vraiment mon film, s’il n’avait pas fait l’objet d’une autre sélection, si c’était la version finale…. Cinq heures après ce premier e-mail, alors que j’arrivais chez ma mère pour lui faire un cadeau parce que c’était le jour de la fête des mères, j’ai reçu un autre e-mail qui me disait que mon film était sélectionné. A ce moment-là, je ne réalisais pas encore que c’était important. J’ai donc appelé Yousry pour lui dire que j’avais reçu cet étrange e-mail de Cannes et que j’étais sélectionné et il m’a dit : »Mais , c’est important ! » (rires). J’ai ensuite appelé mes amis, mon monteur parce qu’il y avait encore une peu de travail pour finaliser la copie. Tout le monde m’a confirmé que c’était important. Puis, j’ai reçu un autre mail qui revenait sur l’aspect technique de cette sélection, notamment la mise à disposition de copies de mon film. Enfin, en avril, le Festival de Cannes faisait un communiqué dans lequel on pouvait lire que pour la première fois l’Egypte figurait dans la sélection de la Cinéfondation. C’était donc un évènement !

Afrik.com : Dites m’en un peu plus sur ce titre très long que vous avez choisi pour votre court métrage ?

Omar El Zohairy :
Le titre s’apparente à un mot clé pour un film. Je trouve que c’est celui qui lui sied le plus. Il est aussi absurde que le film, il est à son image. Ce titre est d’ailleurs en train d’aider énormément l’oeuvre parce qu’il retient l’attention de beaucoup de gens.

Afrik.com : Un mot également sur cette lumière très particulière, très fade et froide. Pourquoi ce choix ?

Omar El Zohairy :
Je voulais que le film ne fasse montre d’aucun sentiment, qu’il soit froid. L’image confère une atmosphère particulière au film. A l’instar du décor, de l’architecture que l’on voit dans le film.

Afrik.com : Ce film me fait également penser au fait que nous, Africains, nous sommes souvent très différents, voire obséquieux face à ceux qui nous dirigent politiquement ou économiquement. Vous y avez pensé en faisant « The Aftermath of the inauguration of the public toilet at kilometer 375 » ?

Omar El Zohairy :
Il s’agit un peu de ça puisqu’il est question de bureaucratie.

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