Cancùn : l’espoir malgré tout


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Le sommet de l’Organisation mondiale du commerce ouvre ses portes mercredi, à Cancùn, au Mexique. Pour le coton africain, l’enjeu est de taille : la mort ou la vie. François Traoré, président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso explique que l’équilibre de l’ensemble de la société burkinabé est menacé.

Résigné à croire en Cancùn. François Traoré, président de l’Union des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB), aborde le sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; du 10 au 14 septembre au Mexique, avec un optimisme désabusé. Il se refuse à l’estocade et espère que l’Occident entendra finalement raison sur les subventions qu’il accorde aux producteurs de coton. Une concurrence déloyale qui ruine les économies des pays africains concernés et menace jusqu’à la stabilité de sociétés entières. Revenant sur la structuration des producteurs burkinabé, François Traoré démontre d’autre part l’importance des lobbys pour défendre leurs intérêts.

Afrik : Croyez-vous aux négociations de Cancùn ?

François Traoré : Nous n’avons pas le choix. Soit nous croyons que le monde civilisé peut comprendre, soit nous attendons de disparaître.

Afrik : Quand avez-vous réalisé que le coton africain était au bord du gouffre ?

François Traoré : L’image la plus frappante est celle de 2001, pendant laquelle le cours du coton était à 35 cents. Cela ne pouvait pas continuer. Si la situation avait perduré ne serait-ce que trois ans, nous aurions été obligés d’arrêter la culture du coton en Afrique. Ce qui n’aurait pas manqué de générer des conflits dans tous les villages, une recrudescence de l’exode rural, de l’insécurité et du banditisme. Heureusement, les aléas climatiques sont venus réduire la production dans certains pays (le phénomène El Nino a ruiné la production du coton en Australie et en Asie, ndlr). Les cours moniaux sont donc remontés. Ils sont aujourd’hui à 60 cents. Mais cela reste conjoncturel, car les subventions sont toujours là.

Afrik : Quel serait le cours minimum pour que le coton africain ne soit pas menacé ?

François Traoré : Sans subventions, les cours pourraient se trouver entre 80 et 100 cents. A 80 cents déjà, tout le monde serait ravi et l’Africain pourrait vivre correctement. Avec un cours à 60 cents, il vous reste juste le minimum pour vivre. Mais il s’agit d’un équilibre fragile, puisqu’à la moindre catastrophe climatique vous perdez tout.

Afrik : Vous dites que la mauvaise santé du coton menace les fondements même de la société burkinabé. Avez-vous constaté concrètement une évolution négative des équilibres sociaux ?

François Traoré : Depuis qu’il y a eu la crise, l’insécurité a éclaté un peu partout dans le pays. C’est vraiment flagrant. Il suffit de faire un pas au Burkina pour le ressentir. Le banditisme a clairement augmenté. Parce que ces jeunes hommes qui travaillaient dans le secteur informel, qui faisaient de la mécanique ou de la maçonnerie dans la zone cotonnière, ne peuvent désormais plus vivre comme avant. Les gens n’ont plus d’argent pour investir. Beaucoup ne peuvent que s’adonner à des actes illicites et sombrer dans la délinquance pour survivre.

Afrik : Comment s’est structurée l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina ?

François Traoré : La structuration actuelle du coton burkinabé a démarré dans les années 90. Nous avons d’abord commencé par nous structurer en interne, entre producteurs. La confiance qui nous faisait défaut au sein de nos organisations paysannes s’est instaurée. Nous avons donc créé des groupements de producteurs pour mieux discuter des termes commerciaux et techniques dans les villages. Nous avons en même temps pu nous moderniser en acquérant un certain nombre de matériels agricoles et une logistique commune. Puis nous avons vu plus loin. Car pour être sûrs de maîtriser tous les éléments de la filière, il fallait être présents à tous les niveaux. C’est ainsi que nous nous sommes organisés pour créer l’Union nationale des producteurs de coton. Une initiative qui nous a permis de discuter directement avec les deux autres grands acteurs du coton dans le pays : la société cotonnière (Sofitex, ndlr) et l’Etat.

Afrik : Cela a-t-il changé les rapports de force entre les différents acteurs ?

François Traoré : C’est au cours de nos discussions que l’Etat a senti la puissance et la détermination des organisations paysannes. Il a fini par céder sa part de 30% dans le capital de la société cotonnière. Une première en Afrique. Les producteurs ont ainsi décroché trois sièges au conseil d’administration.

Afrik : Qu’est-ce-que cela vous a concrètement apporté de rentrer au conseil d’administration de la société cotonnière ?

François Traoré : L’union nationale a désormais accès aux informations sur la société et sur le contexte du marché international. Voilà comment nous sommes parvenus à sentir réellement les maux qui minaient le coton africain. C’est là que nous nous sommes rendus compte de l’ampleur du drame des subventions qui faussent la loi de l’offre et de la demande. Si l’offre est excédentaire, cela fait inévitablement baisser le marché. Mais ceux qui sont subventionnés peuvent continuer à produire sans risques puisque de toutes façons ils écouleront leur production. Ce qui creusera davantage le déséquilibre offre/demande, donc qui dépréciera d’autant plus le prix du coton.

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