Boycott au Maroc : véritable danger pour l’économie et l’emploi ?


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boycott Maroc

Depuis avril dernier, Sidi Ali, Centrale Danone et Afriquia sont victimes d’une opération de boycott au Maroc. Initiative populaire pour certains, instrumentalisation politique pour d’autres, quoi qu’il en soit, les salariés des trois sociétés sont de plus en plus inquiets pour leur avenir…

Au premier semestre 2018, les importations d’eau minérale ont considérablement augmenté au Maroc. Celles-ci sont passées de 88 millions de dirhams en juin 2017 à plus de 130 millions de dirhams en juin dernier. Soit une hausse de plus de 45 %. Selon les chiffres de l’Office des changes relatifs aux importations, cette augmentation s’est surtout accélérée au cours du deuxième trimestre de cette année, puisque les Marocains ont fait venir, d’Espagne et de France notamment, pour plus de 120 millions de dirhams d’eau minérale. Des chiffres loin d’être insignifiants, qui s’expliquent très simplement par la baisse des ventes d’eau chez certains mastodontes marocains.

« Nos emplois sont menacés »

Tandis qu’au premier trimestre 2018, Les Eaux Minérales d’Oulmès — entreprise spécialisée dans la production et la commercialisation d’eau en bouteille — affichait une croissance à deux chiffres pour l’année 2017, depuis fin mai, les ventes ne cessent de dégringoler (-17 %). Ce qui a obligé le groupe à conduire des actions de rationalisation et d’optimisation des charges, notamment pour ne pas mettre sur la paille ses salariés. L’origine de ces mauvais chiffres ? « Les Eaux Minérales d’Oulmès fait l’objet, depuis le 20 avril dernier, d’une campagne de boycott de sa marque Sidi Ali », indiquait un communiqué publié en juin dernier par l’entreprise.

Qui n’est pas la seule, au Maroc, à être visée par cette mise au ban. Il y a quelques mois, c’est Centrale Danone, la filiale marocaine du groupe français, leader mondial des produits laitiers frais, qui faisait part de la chute vertigineuse de son chiffre d’affaires journalier (de 18 à 7 millions de dirhams). Là aussi à cause du boycott qu’elle subissait, tout comme les stations-service de la société Afriquia, qui n’a quant à elle pas communiqué ses résultats. La campagne, inédite dans le Royaume, ne fait pas que grever le porte-monnaie des Marocains, qui importent massivement, mais pourrait également toucher les salariés des groupes visés.

« Nos emplois sont menacés [et] nous réclamons une intervention du gouvernement pour trouver une solution », a-t-on entendu aux alentours du Parlement à Rabat, le 5 juin dernier, alors que des centaines d’employés de Centrale Danone étaient descendus manifester dans la rue. Ces derniers sont toujours dans l’incertitude : ils ont vu par exemple leurs dirigeants mettre un terme aux contrats de 886 intérimaires et diminuer de 30 % l’approvisionnement en lait auprès des fournisseurs locaux du groupe. Ces derniers espèrent désormais que le nouveau « juste » prix que proposera Centrale Danone pour son lait au Maroc, à partir de septembre prochain, permettra de satisfaire chacune des parties. Idem chez Sidi Ali, où les salariés ignorent combien de temps tiendront les actions mises en place par la direction pour éviter des licenciements massifs.

Non seulement le boycott met en danger l’avenir de centaines de salariés marocains, mais ce dernier — pour ce qui est de Sidi Ali et Afriquia — cible des entreprises nationales. Une réalité qui pourrait être lourde de conséquences pour le Royaume et sa population : la demande étant toujours la même, le Maroc est désormais dans l’obligation d’importer des produits étrangers. Or, la fragilisation d’entreprises nationales au profit de sociétés étrangères peut, à long terme, coûter cher, notamment à la population marocaine.

Une campagne plus politique que sociale

Officiellement, cette campagne de boycott est née sur les réseaux sociaux, en réponse à la cherté de la vie, pour forcer le gouvernement à agir en faveur d’une diminution des prix. Ce ne serait pas la première fois que les Marocains dénoncent leurs conditions de vie — socioéconomiques notamment — ; entre 2016 et 2017, la région du Rif (nord) s’était embrasée et des dizaines de manifestations avaient eu lieu pour exiger des autorités marocaines qu’elles soient plus à l’écoute. Rien de tel, visiblement, en l’espèce : le boycott massif, qui dure depuis 4 mois maintenant, relèverait davantage du règlement de compte politique que de la crise sociale — instrumentalisée, donc.

En mai dernier, le sociologue et urbaniste Abderrahmane Rachik, spécialiste des mouvements de protestation au Maroc, était revenu sur les débuts de la campagne, dirigée selon lui « contre des personnes connues pour leurs positions négatives à l’égard du Parti de la justice et du développement (PJD) [le parti au pouvoir, ndlr] ». Celui-ci de citer le cas du ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, président du Rassemblement national des indépendants (RNI) et dirigeant de la compagnie pétrolière Afriquia ; « En 2016, après la victoire électorale du PJD […] une milice électronique avait appelé à boycotter la compagnie Afriquia » rappelait-il.

La raison ? Aziz Akhannouch n’avait pas permis au Premier ministre d’alors, Abdelilah Benkirane, avec qui il était en négociation, de choisir à sa guise les membres du futur gouvernement de cohésion nationale. Un « affront » que l’ancien chef du gouvernement, soupçonné d’être l’un des principaux instigateurs du boycott en cours, n’avait pas pardonné. Idem, Sidi Ali, la marque d’eau minérale, pâtit sans doute de la posture va-t’en-guerre de sa dirigeante, Miriem Bensalah, par ailleurs présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui avait vivement critiqué les coupes budgétaires opérées par M. Benkirane — portant atteinte au secteur privé. La goutte d’eau, vraisemblablement, pour ce dernier.

Par Gérard Lafont

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