Ben Laden est mort, pas Al-Qaïda


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La mort d’Oussam Ben Laden constitue un coup dur pour Al-Qaïda. Cependant, les différents groupes affiliés au réseau terroriste, comme Aqmi qui opère dans le Sahel africain, fonctionnent en autonomie et s’autofinancent. Ils pourraient donc continuer leurs activités en dépit de l’élimination de leur chef charismatique. Hantés par les craintes de représailles, les services de sécurité internationaux maintiennent leur niveau de vigilance

« Obama got Oussama! »(Obama a eu Oussama!). C’est le slogan scandé tôt lundi matin à « Ground Zero », New York. Sur ce site, devenu le symbole des plus grands attentats terroristes de l’histoire – ceux du 11 septembre 2001 qui avaient vu des avions de ligne détournés et précipités sur les tours jumelles, causant ainsi près de 3000 morts et disparus – des centaines d’Américains se sont spontanément rassemblés pour « fêter » la mort d’Oussama Ben Laden, le chef du réseau terroriste international Al-Qaida. C’est le président américain, Barack Obama, qui a officiellement annoncé l’information qui auparavant avait fuité sur le réseau social Twitter. « Ce soir, je suis en mesure d’annoncer aux Américains et au monde que les Etats-Unis ont mené une opération qui a tué Oussama ben Laden, le dirigeant d’Al-Qaïda, un terroriste responsable du meurtre de milliers d’innocents », a-t-il déclaré lors d’une allocution télévisée dimanche soir (tôt lundi matin à l’heure parisienne).

Recherché depuis dix ans surtout en Afghanistan, souvent donné pour mort, Ben Laden se cachait au Pakistan voisin, dans la petite ville d’Abbottabad, dans le nord du pays. Selon l’agence Reuters, il y avait élu domicile au milieu d’un vaste terrain, dans un bâtiment près de huit fois plus haut que les résidences voisines et protégé d’un mur d’enceinte surmonté de fils barbelés. Barack Obama a expliqué que l’opération qui s’est soldée par sa mort a été menée par une « petite équipe » américaine infiltrée, qui a bénéficié, durant ses investigations, de la collaboration des services pakistanais de lutte contre le terrorisme. Ben Laden se serait défendu avait de mourir. C’est lors d’un échange de tirs qu’il a, aux dires de l’administration américaine, reçu plusieurs balles dans la tête.

Washington a annoncé procéder à des tests ADN sur son corps et utilisé des techniques de reconnaissance faciale pour l’identifier. Son corps aurait été immergé dans la mer, alors que des photos montrant son visage défiguré par les balles circulent sur Internet (un habile photomontage, selon CNN et plusieurs autres médias américains). « Nous devons répéter que les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre l’islam et ne le seront jamais (…) Ben Laden n’était pas un dirigeant musulman. Il a tué énormément de musulmans (…) Sa fin devrait être saluée par tous ceux qui croient en la paix et la dignité humaine (…) Les Américains n’ont pas choisi ce combat. Il est venu vers nous et a commencé avec le massacre insensé de nos compatriotes », a tenu a précisé Barack Obama.

Une élimination saluée dans le monde entier

Plusieurs pays ont salué la disparition de Ben Laden qu’ils ont considéré comme un coup dur porté au terrorisme international. Pour la France, il s’agit d’un événement majeur. «L’annonce par le président Obama de la mort d’Oussama Ben Laden à la suite d’une remarquable opération de commando américaine au Pakistan, est un événement majeur de la lutte mondiale contre le terrorisme. La France salue la ténacité des États-Unis qui le recherchaient depuis dix ans », a indiqué la présidence française, dans un communiqué. Même son de cloche dans plusieurs capitales africaines. Pour le président kenyan, Mwai Kibaki, la mort de Ben Laden, constitue « un acte de justice » « Son élimination est un acte de justice pour tous les Kényans qui ont perdu  la vie et pour bien d’autres qui avaient été blessés », a-t-il déclaré. Une allusion à l’attentat du 7 août 1998, qui avait endeuillé plusieurs familles dans son pays. Ce jour-là, deux véhicules piégés avaient explosé quasi simultanément près des ambassades américaines de Nairobi, la capitale kenyane, et de Dar es Salaam, la capitale de la Tanzanie voisine. Le bilan avait été très lourd, Quelques 224 morts et 5000 blessés, en majorité des Kényans.

Pour le gouvernement ougandais, il s’agit d’un « moment historique ». « L’Ouganda continuera à soutenir le combat en cours contre le terrorisme mondial », a écrit le gouvernement de Kampala, dans un communiqué.

Al-Qaïda va survivre à Ben Laden

Quel impact aura la disparition du Saoudien, né le 10 mars 1957 à Riyad, sur le réseau terroriste international qu’il a créé et dont il était le symbole fédérateur à travers le monde? Les spécialistes sont divisés sur la question. Pour le juge anti-terroriste français Marc Trévidic, la mort de Ben Laden constitue un coup dur pour l’organisation islamiste. « Al-Qaïda tel qu’on l’a connue a disparu (…) Tout le monde sait bien que (la mort de Ben Laden) ne va pas mettre fin au problème, ça va tout de même avoir un impact sur la capacité d’Al-Qaïda de renaître un jour comme vrai état-major de commandement en zone pakistano-afghane (…) Je ne crois pas qu’il y ait d’autre leader qui soit capable d’être admis, accepté par des islamistes d’Asie, d’Afrique, d’Europe. De ce point de vue-là, quelque chose de mondial a disparu dans le djihad international », a-t-il analysé, lundi, pour Europe1. A l’opposée, d’autres observateurs estiment que la disparition du chef d’Al-Qaïda n’aura qu’un impact mesuré sur le fonctionnement de son réseau. C’est ce que pense, par exemple Dominique Thomas, spécialiste français des mouvements islamistes, pour qui, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, jugé plus radical que Ben Laden, pourrait efficacement lui succéder. « Ben Laden, c’était un symbole, une icône, qui donnait quelques orientations dans des vidéos. Il y a bien longtemps que cette mouvance a passé un cap et n’est plus sous la responsabilité de Ben Laden », a -t-il déclaré dans un entretien au quotidien 20 minutes.

« Les franchises d’Al-Qaida, comme Aqpa (Al-Qaida dans la péninsule arabique) ou Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) sont indépendantes et s’autofinancent depuis longtemps », a-t-il poursuivi. Une analyse conforme à la réalité du réseau terroriste. En Afrique notamment, l’ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) après son allégeance au réseau de Ben Laden en 2007, n’a cessé d’étendre son territoire d’activité. Parti de l’Algérie, sa zone d’opération s’étend désormais à tout le sahel. Outre l’Algérie, il touche des pays comme le Niger, la Mauritanie et le Mali. En septembre 2010, Aqmi a enlevé sept personnes, cinq Français, un Togolais et un Malgache au Niger. Trois d’entre elles ont depuis été libérées. Mais la mort de Ben Laden pourrait contrarier les négociations en vue de la libération des quatre otages restants.

Interrogé sur les conséquences de cette élimination sur le sort de ses compatriotes retenus en otages dans le monde, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a estimé qu’elle pourrait jouer « positivement » pour certains, notamment les journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, otages depuis plus d’un an en Afghanistan . « A très court terme, il y a des risques, peut-être », pour les otages , estime-t-il. Mais « dès que les gens vont réfléchir, c’est la démonstration que la solution de force, de violence, ne fonctionne pas et est sanctionnée nécessairement », a-t-il déclaré. Il en va différemment des otages aux mains d’Aqmi, la filiale d’Al-Qaïda au Maghreb. Selon le quotidien La Croix, l’actualité pourrait compliquer leur situation. « C’est une bonne nouvelle pour la lutte contre le terrorisme, mais c’est une mauvaise nouvelle pour les négociations pour libérer les otages français. Ca va être dur. Chez les gens d’Aqmi, il y en a qui étaient en rapport avec Ben Laden, son entourage. Donc ces gens là peuvent durcir les négociations », a déclaré une source malienne proche des négociations avec Aqmi. Une crainte partagée par certains politiques français, à l’instar du porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon, qui a dit craindre des « représailles ».

Aqmi est également à l’origine de la mort de deux jeunes Français enlevés au Niger en Janvier et est soupçonné d’avoir commandité l’attentat de Marrakech (Maroc) dans lequel 16 personnes ont péri le 28 avril. Pour se financer, le réseau participerait, selon l’Onu, au trafic de drogue.

Shebab

En Afrique de l’est également, le réseau terroriste est implanté. Les milices islamistes Shebab, qui ont fait allégeance à Al-Qaida, tiennent l’essentiel du centre-sud de la Somalie en coupe réglée et contrôlent une partie de Mogadiscio, la capitale. « Le fléau du terrorisme subit un échec historique, mais ce n’est pas la fin d’Al-Qaïda. Le combat contre les criminels qui s’en réclament doit se poursuivre sans relâche et rassembler tous les états qui sont victimes de ces crimes », a indiqué l’Élysée, dans son communiqué de lundi. Même son de cloche à Naïrobi, la capitale du Kenya. « La mort d’Oussama Ben Laden ne signifie pas la fin de la guerre contre le terrorisme. Nous resterons vigilants jusqu’au bout. Vous vous souvenez qu’ils (les shebab) ont menacé récemment de perpétrer des attaques, et à présent leur leader est donné pour mort. Nous continuerons à renforcer notre sécurité et nos réseaux de collecte d’informations », a déclaré à l’AFP, Bogita Ongeri, un Porte parole de l’armée Kenyane.

Une vigilance d’autant plus nécessaire que les services d’espionnage, la CIA en tête, craignent la perpétration d’actes de représailles de la part d’islamistes désireux de venger la mort de leur chef charismatique.

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