Beauté ethnique ou quand l’ethnicité doit s’appliquer à la beauté (2ème partie)


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photo ernest collins
@Ernest Collins

Deuxième partie – En France, on restreint la réflexion ethnique au seul marché des produits destinés aux personnes à la peau foncée ayant une ascendance africaine. L’ethnocosmétique à la française est un mauvais palliatif à la carence de réflexion structurée même si la construction historique de la société explique son avènement. Mais, plutôt que de s’efforcer de la justifier, il est plus constructif sur le plan économique, notamment pour les acteurs de l’industrie cosmétique, d’intégrer à une réflexion plus globale la dimension de plurielle de l’ethnicité.

Pas plus que maintenant, dans les années 60, les professionnels de la beauté ne recevaient une formation adaptée aux besoins de ces clients à la peau colorée. Ce sont les coiffeurs ethniques qui ont assuré les services dans les quartiers où se concentraient ces populations. En s’amplifiant, la demande a suscité l’intérêt d’hommes d’affaires propriétaires de salons de coiffure pour Européens moins florissants, notamment dans le Xè arrondissement, à Paris. Ces derniers, originaires d’Afrique du Nord, eux-mêmes rapatriés à la même époque, étaient plus sensibles à ces communautés qu’ils côtoyaient déjà largement dans leur pays. Eux, ils avaient la « bosse » des affaires. Ils ont saisi l’enjeu économique que représente l’intérêt des Antillais et Africains pour leur coiffure. Rapidement leur métier a évolué vers la distribution de produits américains spécifiques. Après les capillaires, les produits de maquillage ont envahi ce « ghetto » commercial.

Les clients s’y sont habitués puis contentés même si avec le temps ils ont commencé à moins s’en satisfaire. Ils ont ainsi conservé leurs habitudes tout en nourrissant dans le non-dit le plus imparfait, l’espoir d’une véritable prise en compte de leurs attentes par les grandes marques de la grande distribution et de la parfumerie. Là se situe le point de rupture majeur entre le vécu des clients et son estimation par les professionnels qualifiés et l’industrie de la beauté. Les besoins semblant satisfaits par la réponse communautaire, la nécessité d’une réflexion technique documentée pour concevoir et fabriquer des produits et proposer des protocoles de soin et de coiffure mieux adaptés à ces clients ne semblait pas devoir s’imposer aux industriels. Les majors se sont d’ailleurs mises en retrait en faisant la part belle aux commerçants et même pire aux « aventuriers ».

Les majors s’effacent

Après la distribution, ces commerçants ont lancé leurs marques copiant celles dont ils avaient la licence pour mieux cannibaliser le marché du continent africain. Avec force dommages et maltraitances au plan humain (blanchiment sauvage de la peau – fragilisation des cheveux). Ils ont même fait des émules dans la « communauté africaine des affaires ». Il faut toutefois noter que pendant que les majors ne faisaient pas évoluer leur stratégie commerciale en direction de la demande dite « ethnique » en France, elles ont su se plier aux exigences d’un marché américain. Un marché, qui lui, avait intégré la réalité pluriethnique de la clientèle. Pour réussir leur implantation Outre-Atlantique et s’affirmer, les leaders français du cosmétique ont étendu leurs gammes de maquillage notamment à des teintes en adéquation avec le nuancier de carnations de toutes les femmes du monde. C’est à l’évidence en maquillage qu’il y a des besoins majeurs. Pour le soin de la peau et des cheveux, on vérifie largement qu’une excellente adaptation des méthodes d’application des produits existants, donne des résultats largement satisfaisants et compétitifs.

Depuis les années 60, la clientèle française d’ascendance africaine a fait évoluer ses exigences en observant l’offre exponentielle des produits et services faite aux clients de type caucasien à peau claire. La télévision véhiculait de plus en plus l’image d’Africaines américaines éblouissantes de beauté : Whitney Houston, Diahann Carroll (Dynastie), Vanessa Williams (Miss America 84), Anita Baker, Chaka Khan, Tina Turner et tant d’autres. Les grands couturiers ont commencé à exhiber des top models plus sublimes les uns que les autres : Iman, Khatoucha, Mounia…Les magazines tels que Ebony et Essence, distribués très confidentiellement, circulaient tout de même entre les mains de lecteurs en manque de reconnaissance au plan national. Les distributeurs du réseau spécifique fournissaient à leurs clients (salons de coiffure) publicités et catalogues montrant des femmes Africaines américaines resplendissantes. A l’évidence, les solutions semblaient ne pouvoir venir que de l’autre côté de l’Atlantique ou de la Manche. C’est ainsi que dans les années 80, d’autres professionnels de la distribution, ceux du sélectif ont ouverts les portes des grands magasins et parfumeries à certaines marques spécialisées leaders aux Etats-Unis dans ce secteur de distribution.

Des clientes comme les autres

Certains entrepreneurs Africains américains avaient opté déjà depuis plusieurs années pour une implantation de leur marque dans la seule distribution sélective aux Etats-unis. Ils avaient bien réussi sur leur part de marché car, dès la fin des années 60 , les Africaines américaines n’acceptaient déjà plus la seule option d’enfermement dans le marché de masse bas de gamme. Ces marques telles que Fashion Fair Cosmetics ou Flori Roberts ont connu un développement commercial significatif en France, la clientèle y trouvant reconnaissance et acceptation. Depuis nombre d’entrepreneurs d’origines ethniques diverses ont tenté de reproduire l’expérience à partir de la France avec l’ambition non dissimulée de conquérir l’Amérique, puis d’envahir le monde. Leur progression et résultats sont bien peu significatifs sur le moyen et le long termes. Depuis la fin des années 90, une ou deux de ces marques ont perduré avec des résultats relativement modestes. Ces marques, trop ciblées, après une percée significative, ont moins bien répondu à la tendance foncièrement universaliste que ces générations de clientes attendent des marques.

Cette tendance est d’autant plus marquée chez les nouvelles générations. Depuis la fin des années, 80 la cliente dite « ethnique » n’est plus celle qui a immigré dans les années 60 et 70. Elle est née française sur le territoire métropolitain. Elle revendique et attend avec une impatience revancharde la juste valorisation de ses particularités ethniques et du pouvoir économique qu’elle représente. Elle refuse viscéralement que son ethnicité soit prétexte à la continuité d’un certain « isolationnisme » commercial. Si pour l’instant, elle n’exprime ses besoins que par quelques timides balbutiements, elle veut cependant pouvoir trouver des réponses satisfaisantes en poussant librement les portes des espaces de service. Elle refuse que la question de son ethnicité se pose en barrière. Comme c’est encore trop souvent le cas. Ses principales préoccupations : qualité, image de marque, multiplicité des propositions, performance technologique et rapport au prix raisonnable. Antillaise, Africaine ou Maghrébine, elle veut avant tout être considérée une cliente potentielle.

Les nouveaux ghettos de la beauté

Les initiateurs de tendances, chercheurs, concepteurs, fabricants et autres prestataires de service doivent désormais inclure les richesses de la diversité ethnique de toutes les composantes de la population à leur réflexion de prospective globale. Les professionnels qualifiés de l’univers de la beauté doivent rapidement dépasser les limites de leurs certitudes galvaudées pour évoluer au même rythme que leur cible commerciale actuelle. Car, depuis le début de ce millénaire, il ne s’agit plus de satisfaire quelques marchés niches épars, mais plutôt de répondre à une logique d’expansion commerciale qui touche près des ¾ de la population mondiale. On remarque bien que ces nouvelles clientes se font d’ailleurs de plus en plus visibles aux comptoirs des marques de maquillage dont l’offre s’adresse à l’ensemble des femmes du monde dans les grands magasins et les parfumeries de luxe.

Des marques très influencées par le milieu de la mode qui réussissent à coller à la demande multiethnique sans autre connotation. La demande pressante de prise en considération des besoins particuliers des personnes à la peau colorée en matière d’hygiène-beauté par des grandes marques est légitime. Et rien d’autre que la facilité ne justifie, qu’en France, on ne se préoccupe que peu de l’aberration de l’enfermement de ce marché en « espaces séparés ».Et rien d’autre que la facilité ne justifie qu’on ne se préoccupe que peu de l’aberration de l’enfermement de ce marché en « espaces séparés » qui donnent naissance à des « corners » regroupant les marques de la dite « ethnocosmétique » avec des vendeuses « issues de l’immigration ». Comme si les clientes s’arrêtaient plus à l’appartenance ethnique des conseillères qu’à leurs performances. La parfumerie sélective serait-elle sectaire et réactionnaire à ce point. Faudrait-il penser que les vendeuses d’origines ethniques différentes ne pourraient pas satisfaire si elles sont compétentes les besoins des femmes d’ascendance européenne à peau claire ?

Prendre en compte la diversité culturelle

Ces « corners » que l’on fait cautionner (faute de réponse juste) par la clientèle en les enrobant de beauté représentent, en y réfléchissant d’un peu plus près, constituent un vrai recul historique qui rappelle de façon plus édulcorée, certes, et sans doute moins violente, certains bus du Sud des Etats-Unis dans les années 50…C’est inacceptable, de faire à ce point sur cette terre d’ouverture et de liberté qu’est la France, l’économie d’une réflexion progressiste et durable avec une acuité incisive. Quel dommage que cette pauvre solution de facilité en guise de palliatif, même si on trouve les raisons que l’on peut pour la justifier. La justification a t-elle force de certitude ?

Quand on prend le temps de se rapprocher des clients pour véritablement les écouter et entendre jusqu’à leurs non-dits, ils décrivent leur principale revendication comme un besoin de juste reconnaissance en tant que clients à part entière. On apprend alors que leurs aspirations se rapprochent beaucoup plus de la publicité d’un fournisseur d’accès Internet qui dit que « le monde est à tout le monde ». Plutôt que de continuer à s’évertuer à fournir des efforts considérables pour légitimer la vision de la dite « ethnocosmétique » à la française, il serait plus juste et réaliste d’intégrer la dimension diverse de l’ethnicité en tant que telle, à la réflexion et à la vision globale du marché de la beauté en France. Et plus largement dans l’espace francophone.

• Lire la première partie de l’article : Beauté ethnique ou quand l’ethnicité doit s’appliquer à la beauté

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