Barberousse, le pacha des razzias


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Entré dans la légende, Barberousse a marqué au XVIe siècle l’histoire de la mer Méditerranée. Or, si son nom est aujourd’hui connu, son parcours et sa personnalité le sont beaucoup moins. L’homme n’était pas seulement un corsaire sanguinaire, mais également un fin tacticien ottoman et un fidèle allié du royaume de France.

Fils d’un potier d’origine albanaise marié à une Catalane, le jeune Khizir grandit sur l’île de Lesbos. Là-bas, il travaille avec l’un de ses frères, Isaak, dans l’atelier familial. A la mort de leur père, les deux garçons rejoignent leur aîné Arudj dans la piraterie. Activité certes plus dangereuse que la précédente, mais surtout bien plus rentable. Pour l’occasion, ils changent leurs noms : Khizir devient Khayr ad-Din (« bienfait de la religion », en arabe) et Isaak, Ishaq. Ils travaillent donc à leur compte, mais offrent ponctuellement leurs services à de riches clients.

Leur première mission, ordonnée en 1492 par le sultan Bayezid II, est de convoyer les juifs séfarades et les musulmans d’Espagne persécutés et convertis de force sur ordre d’Isabelle la Catholique, vers l’Empire ottoman pour leur protection. Le surnom « Barberousse » date de cette époque, où sous les ordres d’Arudj, les corsaires font la chasse aux navires chrétiens en mer Méditerranée, depuis Tunis, Jijel, Djerba et Alger. Dans ce dernier port, Arudj s’autoproclame bey, avant de partir à la conquête de l’Ouest algérien où il trouve la mort. Khayr ad-Din prend alors sa place avec l’assentiment des corsaires et des soldats, chez qui il s’est forgé une solide réputation. Face à la menace espagnole, il décide de faire allégeance à Sélim Ier, ayant chassé son père du pouvoir en 1512, qui lui envoie plus de 6 000 hommes en remerciement. Après avoir maté une révolte des autochtones algériens en 1518, le nouveau bey d’Alger défait une armada espagnole commandée par Hugo de Moncade, lui-même mandaté par Charles Quint, roi des Espagnes, de Naples et de Sicile, futur empereur du Saint-Empire romain germanique.

Alors que Khayr ad-Din a les yeux rivés sur la côte, ce sont finalement les Hafsides, alliés aux Kabyles, qui prennent Alger en 1520. Il se déplace ainsi à Jijel et reprend du service dans le secteur lucratif de la piraterie barbaresque. Dans le même temps, il entreprend la reconquête de la côte algérienne. D’abord Constantine, puis Annaba, et enfin Alger en 1525. Quatre ans plus tard, il fait même tomber la forteresse de Peñon, place forte espagnole, dont les pierres servent à bâtir le port d’Alger à son emplacement actuel. En représailles, l’Espagne envoie une flotte sous les ordres de l’Amiral génois Andréa Doria. Nouvelle victoire pour Barberousse, qui en profite au passage pour ravager les côtes italiennes jusqu’à la Provence. Il devient dès lors, non plus un chef barbaresque gênant, mais l’homme à abattre pour les royaumes chrétiens, à l’exception de la France.

La naissance d’une légende sous l’aile de Soliman

Informé de ses succès, Soliman le Magnifique, sultan depuis 1520, convoque Barberousse à la « Sublime porte ». Il est nommé Grand Amiral de la flotte ottomane et investit des titres de pacha et de beylerbey (« émir des émirs », en langue ottomane). Il lègue alors Alger à Constantinople, et son eunuque Hassan A?a en assume la protection. Lui se lance à la conquête de Tunis, qu’il reprend en 1534 à Abû’ Abd Allâh Muhammad al-Hasan, le sultan des Hafsids. Ce dernier, reçoit l’aide de Charles Quint, qui prend la tête de 27 000 hommes et de 412 bâtiments de guerre. Défait, Barberousse se replie sur Annaba, et après être passé par l’île de Minorque pour se venger, retourne à Alger avec un énorme butin et 6 000 prisonniers. L’esclavage étant un marché juteux. Il quitte alors les côtes africaines pour la capitale ottomane, où il réorganise la flotte impériale. Son objectif est de faire de la mer Méditerranée un lac ottoman, « mare nostrum » pour ainsi dire.

En 1537, il multiplie les razzias sur les côtes italiennes pour le compte des Ottomans. Parallèlement, Soliman le Magnifique, devait envahir le Sud de l’Italie et le roi de France François Ier, premier allié de l’Empire ottoman, l’Italie au Nord. Or, au dernier moment, le roi français renonce et fait échouer l’opération. Barberousse se rabat finalement sur les Cyclades et le Duché de Naxos, un Etat croisé. L’année suivante, face à l’ouragan ottoman, le pape Paul III parvient à convaincre la République de Venise, l’Ordre de Malte et l’Espagne, de s’allier au sein d’une Sainte Ligue. Barberousse retrouve Andréa Doria, à la tête de la flotte de la coalition, à la bataille de Prévéza. C’est l’heure de gloire pour le pacha, qui défait les chrétiens et prend pour de bon le contrôle de la mer Méditerranée. En effet, malgré son infériorité numérique, Barberousse met en déroute la terrible armada en détruisant ou capturant 49 navires. Il enfonce le clou en forçant Venise à demander la paix, humiliation terrible pour la riche cité portuaire. Fin stratège, François Ier parvient à user de cette alliance pour menacer inlassablement son puissant voisin Charles Quint, qui tente en 1541 une expédition contre Alger, en vain.

Avant de prendre sa retraite, le grand amiral dévaste une nouvelle fois la Calabre et ravage l’île d’Elbe. Il s’éteint enfin en juillet 1546, et se fait enterrer dans un mausolée funéraire près de sa mosquée à Constantinople, dans le quartier de Be?ikta?. Héros pour certains, fléau pour beaucoup d’autres, le fils de potier a en tous cas marqué l’histoire des côtes méditerranéennes à tout jamais.

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