Assassinat de Chokri Belaïd : la fureur des manifestants à son paroxysme


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Tunis s’est réveillé, ce matin du 6 février 2013, sur le choc d’un événement, certes appréhendé depuis quelque temps, mais qui n’en a pas moins déconcerté les citoyens, toutes sensibilités confondues.

L’assassinat de Chokri Belaid, Secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, formé en avril 2011, trois mois après la révolution du 14 janvier et regroupant douze partis de la gauche tunisienne, et leader du Front populaire, a donné raison à tous ceux qui, parmi les démocrates ont appelé à la vigilance contre la montée de la violence politique en Tunisie et à la conspiration du silence dont ils soupçonnaient Ennahdha, en particulier, de maintenir vis-à-vis des ligues de protection de la révolution dont les nombreux actes criminels sont restés impunis parce que protégés par la soi-disant tolérance du mouvement et de ses adeptes au sein du gouvernement.

A l’heure qu’il est, les artères principales de Tunis, scènes emblématiques des événements du 14 janvier, mais aussi les centres de plusieurs grandes villes telles que Gafsa, Sidi Bouzid, Le Kef, Bizerte et Sfax, la grogne des manifestants est à son paroxysme. Devant le ministère de l’Intérieur, les bombes lacrymogènes ne semblent pas dissuader les manifestants dont la colère est fomentée par la vue de la dépouille du défunt véhiculée depuis les services de la médecine légiste à l’hôpital Charles Nicolles. Si les manifestations se sont concentrées devant le ministère de l’Intérieur, c’est en raison de son indifférence « coupable », face aux menaces répétitives dont Chokri Belaid a fait l’objet, depuis quelques jours, au gré de ses déclarations incendiaires contre le gouvernement et en particulier contre le mouvement Ennahdha.

Pourquoi Chokri Belaid, précisément ? Son « oracle » scandé depuis la veille du premier anniversaire des élections du 23 octobre à propos de la montée de la violence politique, en passant par les avertissements qu’il n’a cessé de formuler concernant l’échec cuisant, de la politique économique et sociale de la Troïka au pouvoir et jusqu’à sa critique virulente développée le 5 février, quelques heures avant son assassinat et qu’il a accompagné de la proposition d’organiser une conférence nationale sur la violence politique, serait à l’origine de son assassinat. Ce crime politique qui n’est pas le premier en Tunisie, si l’on remonte au milieu du siècle dernier lorsque Farhat Hached, le leader syndicaliste fut assassiné par l’organisation de « la main rouge » et ensuite, lorsque Salah Ben youssef, un compagnon de la lutte pour l’indépendance du leader Bourguiba fut éliminé pour son orientation nationaliste, on constate que l’assassinat de Chokri Belaid s’inscrit dans une conjoncture politique différente et qu’il implique l’émergence d’un phénomène tout-à-fait récent en Tunisie : la violence politique .

La violence politique s’est frayé une voie dans le hiatus d’un parallèle qui serait à l’origine de l’opposition gauche-troïka en Tunisie. Alors que la troïka opte pour une démarche constitutionnelle axée sur l’exclusion des symboles de la dictature, la gauche, elle, conçoit les choses autrement. Il s’agit pour les patriotes démocrates de résoudre les problèmes du chômage et de la pauvreté.

A vrai dire le malentendu est beaucoup plus profond. Il s’agissait pour Chokri Belaid, en tant que leader d’un parti au crédo socialisant, de ramener toutes les énergies politiques et constitutionnelles au rééquilibrage immédiat, de la formation sociale, par le moyen d’une gouvernance démocratique qui tienne compte des droits des minorités et non du pouvoir de la majorité électorale. A la légitimité des urnes, il a pour ainsi dire opposé une légitimité des droits sociaux qui furent spoliés des décennies durant. C’est une conception de la protection de la révolution, toute différente, qu’il a porté et qui se dresse en porte-à-faux contre la démarche d’exclusion animant l’ouvrage de l’ANC, en ce moment.

Au-delà donc de l’alternative préconisée par Chokri Belaid, c’est le rejet, brutal, de toute option participative qui est étouffée après avoir été combattue( les atermoiements entourant le remaniement ministériel en sont la preuve) qui se révèle à travers ce crime et qui laisse filtrer les indices d’une violence politique dont le prétexte est des plus indignes d’une Tunisie réputée par le respect de la différence et par le débat des idées.

Ce crime est venu balayer la pointe d’espoir que faisait miroiter le Président de la République Moncef Marzougui, il y a deux jours en affirmant que notre pays vivait une crise constructive. Ce matin, le mur de l’unité des tunisiens de leur complicité qui a « dégagé » le dictateur a été lézardé…

Par notre correspondante Faouzia Mezzi

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