Wole Soyinka : des mots, des actes et un parti


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Wole Soyinka, prix Nobel de littérature 1986, a toujours critiqué la vie politique nigériane. L’écrivain a néanmoins franchi un pas décisif en lançant samedi dernier un nouveau parti, le Front démocratique pour une Fédération des peuples (DFPF) à quelques mois des élections présidentielles au Nigeria. Portrait.

« Le tigre ne crie pas sa tigritude : il bondit sur sa proie (« A tiger does not shout its tigritude: it pounces »)». La formule est de Wole Soyinka, et l’homme de lettres l’applique en arrivant, à 76 ans, sur la scène politique du Nigeria en tant que président d’un parti politique « progressiste ». A l’approche des présidentielles nigérianes prévues en 2011, Wole Soyinka a lancé ce samedi le Front démocratique pour une Fédération des peuples (Democratic Front for a People’s Federation, DFPF). Pour son président, « le DFPF est le parti des jeunes frustrés et des idées qui dérangent », des « gardiens de la démocratie », de ceux qui démontrent qu’on peut faire entendre sa voix quand «on ne nage pas dans les milliards». « Ma génération a raté la nation », déclarait-il en juillet dernier lors de la célébration de son 76e anniversaire à l’occasion de laquelle il a annoncé son intention de créer un parti. Pour autant, le célèbre écrivain nigérian n’est pas intéressé par le fauteuil présidentiel mais souhaite barrer la route au parti au pouvoir, le Parti démocratique des peuples (People’s Democratic Party, PDP).

La plume d’un opposant

Dramaturge, poète, romancier, essayiste et premier auteur africain et noir à recevoir un prix Nobel de littérature en 1986, Wole Soyinka est le portrait type de ces rares intellectuels africains qui pèsent sur le débat politique dans leur pays. Akinwande Oluwole « Wole » Soyinka est né le 13 juillet 1934 dans le quartier d’Aké, à Abeokuta, dans l’Ouest du Nigeria dans une famille yoruba. Il relatera son enfance dans Aké, a memoir about his youth (1981). Ses études primaires se déroulent dans sa ville natale, puis il part à Ibadan pour y poursuivre des études secondaires et entamer les deux premières années (1952-1954) d’un cursus universitaire qui s’achèvera à l’université de Leeds, en Grande-Bretagne. 1957 : il obtient son diplôme de littérature anglaise. Le jeune dramaturge rentre alors à la Royal Court Theatre à Londres.

L’expérience théâtrale continue et s’enrichit au Nigeria où il est de retour au début des années 60. Wole Soyinka s’intéresse à la dramaturgie africaine et crée deux troupes, The 1960 Masks et l’Orisun Theatre. Les années qui suivent sont marquées par un engagement politique dont Soyinka fait remonter les origines à l’enfance. Le dramaturge commence à écrire des pièces radiophoniques que le gouvernement fédéral juge trop critiques. Depuis la guerre du Biafra, sa prose, ses poèmes et ses prises de position n’ont pas épargné les régimes dictatoriaux, souvent militaires, qui se sont succédés à la tête du pays. Wole Soyinka en fait les frais en 1967 pendant la guerre civile. Il est arrêté par le régime du General Yakubu Gowon, accusé de faire partie de la rébellion. Il invitait par le biais de ses œuvres les belligérants à faire la paix. Durant son emprisonnement (et son confinement) qui durera plus d’un an et demi, en dépit de la forte mobilisation internationale, il écrira des poèmes rassemblés dans le recueil Poems from Prison et racontera ensuite son expérience carcérale dans le livre The Man Died : Prison Notes (1972).

La politique du réel

Parfois, c’est la vie de l’écrivain qui risque d’être sacrifié sur l’autel de l’aspiration au changement. L’exil s’impose souvent. En 1994, alors que le général Sani Abacha est au pouvoir, il fuit en pleine nuit et les pieds nus à travers la brousse. Il trouvera refuge notamment aux Etats-Unis. Wole Soyinka revient dans son pays à la fin des années 90 à la faveur du retour des civils au pouvoir. Il est professeur émérite de littérature comparée à l’Université Obafemi Awolowo, au Nigeria, et membre émérite du Black Mountain Institute de l’Université du Nevada.

Wole Soyinka reste incontestablement un homme de combat, mais d’idées. Ainsi, conseillait-il en 2008, aux jeunes activistes des rébellions du Delta du Niger, de « remplacer le militantisme armé par le militantisme intellectuel dans leur lutte pour la justice et l’équité » dans une région riche en pétrole et dont les habitants sont lésés par les multinationales. Il a d’ailleurs réitéré son appel aux rebelles du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (Mend) samedi dernier afin que ces derniers engagent le dialogue avec le gouvernement fédéral.

L’auteur de la pièce Three Plays (1962) – qui contient notamment The Swamp Dwellers-, du recueil de poèmes Mandela’s Earth and Other Poems (1988), de l’essai Myth, Literature and the African World (1975) ou encore du roman The Interpreters (1965), souvent acclamé pour avoir enrichi la langue de Shakespeare et valorisé la culture africaine, semble vouloir désormais traduire ses mots en actes.

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