Le patrimoine culturel africain bientôt rapatrié ?


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Saartjie Baartman dans Illustrations de l'Histoire Naturelle des Mammifères @wikipedia
Saartjie Baartman dans Illustrations de l'Histoire Naturelle des Mammifères @wikipedia

Entre musées occidentaux et musées africains, le patrimoine culturel africain balance. Doit-il demeurer dans les institutions européennes et nord-américaines qui disposent des moyens de conservation nécessaires ou retourner à ses pays d’origine ? La conférence internationale sur la protection et la restitution des antiquités « volées » qui s’est tenue au Caire le 8 avril dernier, sous la houlette de Zahi Hawass, le puissant secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptien, fait des vagues. Elle relance un débat longtemps mis en sourdine.

Au moment où le musée genevois Barbier-Mueller, réputé pour sa remarquable collection d’arts premiers, restitue un masque Makonde détenu depuis 1985 à la Tanzanie, la question de la restitution des objets sacrés africains est on ne peut plus sensible. Volé en 1984 dans un musée de Dar Es Salaam, puis conservé 25 ans durant dans le musée suisse, le masque rentrera enfin chez lui. Un « don » officialisé par une cérémonie organisée sous l’égide du Conseil international des musées (ICOM), ce lundi à Paris. Un pas de plus dans le processus de restitution des objets pillés à l’Afrique.

Fer de lance de ce combat, Zahi Hawass, le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptien, mène la vie dure aux musées occidentaux. Après avoir mobilisé 23 pays [[L’Autriche, le Chili, la Colombie, la Chine, Chypre, l’Equateur, l’Egypte, la Grèce, le Guatemala, le Honduras, l’Inde, l’Italie, la Libye, le Mexique, le Nigeria, le Pérou, la Pologne, la Russie, la Corée du Sud, l’Espagne, le Sri Lanka, la Syrie, les Etats-Unis]] dans la lutte pour la restitution d’objets pillés depuis la colonisation, lors d’une conférence internationale, se déroulant au Caire le jeudi 8 avril, il compte bien se faire entendre et obtenir gain de cause. « Il est essentiel de renforcer la coopération internationale et les cadres légaux et judiciaires de la protection du patrimoine », a-t-il déclaré lors de la conférence. Il a ajouté que les Etats présents à cette conférence sont « d’accord pour se battre ensemble », mais n’a toutefois pas fait état d’un plan d’action commun concret.

Au nom de l’Egypte, Zahi Hawass demande la restitution de six pièces de grande valeur exposées dans divers musées de par le monde : le buste de Néfertiti (Berlin), la pierre de Rosette (Londres), le zodiaque de Denderah (Paris), le buste du dignitaire Ankhaf (Boston), la statue de Hemiunu (Hildesheim, Allemagne) et une statue de Ramsès II (Turin). Des antiquités qui représentent une valeur historique et culturelle capitale pour leur pays d’origine. Cependant, toutes les antiquités conservées à l’étranger ne sont pas réclamées. « Nous ne demandons que les objets qui ont été volés, pillés, qui sont sortis de nos pays de manière illégale. Les musées, occidentaux comme africains, sont en accord avec ce qui est dit dans le code déontologique de l’ICOM. Si un musée achète un objet volé, il doit s’attendre à une demande de restitution de la part du pays privé de son bien», précise Abdoulaye Camara, ex-conservateur du musée d’art africain de Dakar.

« Ce qui nous a été volé doit nous être rendu »

Différents pays ont marché dans les pas de l’Egypte et sollicité le retour de certaines pièces. Un retour symbolisant une sorte de renaissance identitaire au moment où bon nombre de pays africains fêtent leurs 50 ans d’indépendance. Le Nigeria a fourni une liste comprenant notamment un masque de la reine Idia actuellement conservé au British Museum de Londres, et une tête de bronze d’Olokun située à Francfort. Quant à la Libye, ce n’est pas la première fois qu’elle entreprend une telle démarche. En 1989, elle avait adressé une demande de restitution de la Vénus de Cyrène à l’Italie, une statue de marbre blanc datant du IIe siècle après J.C, qui ne lui a été rendue qu’en avril 2007. Aujourd’hui, c’est aux musées du Louvre (Paris) et au British Muséum (Londres) qu’elle réclame son dû : une statue d’Apollon ainsi que divers objets non spécifiés.

Le British Museum, le Musée de Tervuren, le Metroplitan Museum of Art de New York, Le Musée d’art africain de la Smithsonian, le Louvre et depuis peu, le musée du Quai Branly, appelé également « musée des arts premiers » pour ne citer que ceux-là, ont chacun une section importante consacrée à l’art africain. Ils ont largement contribué à lui donner de la valeur en Occident. Un art pourtant dévalorisé car privé de son cadre de vie. Loin de son contexte initial, et souvent privé d’explications, il ne peut revêtir tout son sens aux yeux du visiteur néophyte.

Le patrimoine culturel au fondement de l’identité nationale

Les représentants de ces grandes institutions étaient pourtant absents de la conférence du Caire à laquelle ils avaient été conviés par Zahi Hawass. Une absence qui s’explique probablement par leur crainte de voir ces objets quitter leurs institutions muséales. Cette crainte, basée sur ce que l’on peut appeler un « manque de confiance » envers les musées africains, lèse les pays souhaitant voir revenir leurs trésors. Toutes les demandes de restitution sont basées sur une même motivation : retrouver un pan de l’histoire du pays, consolider l’identité nationale autour d’un patrimoine commun. Un leitmotiv qui ne fait pas l’unanimité. Les Soudanais, par exemple, « considèrent que c’est une chance de faire découvrir leurs trésors de l’antiquité », explique Michel Baud, responsable de la section Nil-Soudan, commissaire de l’exposition Méroë. Le Soudan a d’ailleurs proposé au musée du Louvre de « partager les découvertes faites sur le site de Méroë. » Une initiative qui vise à effectuer des prêts sur plusieurs années pour permettre la restauration des objets trouvés sur le site soudanais. Une réelle volonté de placer son patrimoine culturel entre de « bonnes mains » et de le présenter au public occidental.

Les demandes de restitution ont, de tout temps, été complexes et n’ont souvent donné aucun résultat. Quelques unes ont cependant abouti, après de longues négociations, il va sans dire. En 1991, l’ex-président français Jacques Chirac s’était vu offrir un magnifique bélier à l’origine inconnue par le personnel de l’Elysée. L’archéologue Jean Polet avait reconnu l’objet. Il l’avait vu quelques années plus tôt sur le site archéologique de Thial au Mali, totalement pillé par les villageois eux-mêmes, y voyant une chance inespérée de gagner de l’argent. « CHIRAC rend-nous ton mouton ! » avait alors lancé une campagne de presse au Mali. Le bélier trône aujourd’hui au musée de Bamako, et ce depuis janvier 1998. Un second exemple, peut être plus représentatif est celui, marquant, de celle que l’on a appelé la Vénus Hottentote. Sauvagement arrachée à sa terre natale, l’Afrique du Sud, Saartjie Baartman a fait le tour de l’Europe, traitée et exhibée comme une bête de foire, puis prostituée de force. Après sa mort, ses ossements ont été conservés au musée de l’Homme à Paris. Ce n’est qu’en 1994 que son pays d’origine a réclamé la dépouille de la jeune femme. Un pays, tout juste né des urnes, qui avait besoin de se réapproprier une pièce de son passé pour se reconstruire et ériger un sentiment identitaire commun puissant.

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