La Mauritanie entre les griffes d’Al-Qaïda


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Une caserne balayée par un tir de roquettes, un convoi militaire tombé dans un guet-apens, une patrouille décimée dans une embuscade, des touristes européens kidnappés puis exécutés, un ressortissant américain tué par balle à Nouakchott, un accrochage entre policiers et salafistes au cœur de la capitale… Les attentats terroristes se multiplient en Mauritanie. La menace terroriste pèse lourdement sur ce pays dont les moyens de défense sont réduits et surtout rudimentaires.

La situation sécuritaire est depuis quelques mois prise au sérieux au plus haut niveau de l’Etat. Le discours selon lequel il n’y a pas de terrorisme en Mauritanie a bien changé. « Il existe des cellules terroristes sur le sol mauritanien. Je vais œuvrer à les combattre », affirme le président élu, le général Mohamed Ould Abdelaziz. Le pays du million de poètes se prépare ainsi à faire face à « la guerre sainte » que lui déclare la branche maghrébine de la nébuleuse Al Qaïda. Pour ce faire, il compte sur l’Algérie, mais aussi sur tous les Etats concernés par « ce fléau du XXIe siècle », dont les puissances occidentales.

La bataille est loin d’être une balade de santé. Du sanglant attentat de Lemghayti en 2005 avec ses 17 victimes, à l’attaque meurtrière de Tourine en septembre 2008, en passant par celle de Ghallaouiya en 2007 avec trois soldats tués, l’armée mauritanienne, non préparée à une telle guerre, a déjà payé un lourd tribut. Des cellules de la branche maghrébine d’Al Qaïda sont implantées sur le sol mauritanien. Elles ont infesté le nord du pays, explique un militaire mauritanien sous le sceau de l’anonymat. Dans le feu de l’action, il constate la suprématie parfois avérée des groupes terroristes en termes d’équipements militaires. Cela explique les importantes pertes humaines de Lemghayti au sud-est, d’Aleg à l’est et de Tourine au nord.

Ces cellules sont en mouvement entre les régions désertiques
mauritaniennes et le Mali. Depuis l’assassinat de l’Américain Christophe Languet, les services de sécurité mauritaniens sont passés à l’offensive, opérant plusieurs arrestations de salafistes et lançant des avis de recherche contre d’autres. Dans la nuit du 17 juillet, la police de Nouakchott a réussi à arrêter deux présumés assassins de cet Américain. L’un deux était en possession d’une ceinture explosive. Ils sont venus du Mali où ils ont séjourné depuis le meurtre de l’Américain. Un autre salafiste accusé d’avoir participé à l’attaque contre une patrouille de l’armée mauritanienne, ayant fait 12 morts en septembre 2008 à Tourine, a été inculpé et écroué à Nouakchott. « Si l’attaque de Lemghayti, le 5 juin 2005, avait été présentée comme une opération visant à ravitailler le GSPC et à faire peur aux Mauritaniens, celle de Tourine en septembre 2008 ouvre la voie à la guerre ouverte. Elle s’inscrit dans la lignée des autres opérations dont notre pays a été le théâtre ces deux dernières années », estime Ould Oumeïr, un journaliste mauritanien spécialisé dans les questions terroristes. Les aveux des principaux accusés dans l’attaque d’Aleg a permis aux services de sécurité mauritaniens d’établir des pistes d’enquête les menant vers des cellules dont les ramifications arrivent jusqu’en Gambie. Ce groupe d’une rare violence est composé de Sidi Ould Sidina, Mohamed Ould Chabarnoux et Maarouv Ould Haiba. Rejetés, tout comme leurs compagnons qui ont participé à l’attentat de Lemghayti, par le courant salafiste mauritanien, ils affirment avoir agi sous les ordres de la branche d’AQMI dirigée par l’émir Abdelmalek Droukdel.

Camps d’entraînement au Mali

Ould Sidina est un ancien militaire qui a eu de nombreux démêlés avec la police. Soupçonné de plusieurs viols, il aurait fui la ville pour se réfugier dans une zone enclavée de l’intérieur du pays. Selon le rapport de la police mauritanienne, il a quitté le pays pour rejoindre le maquis algérien. Il revient en 2006 en Mauritanie pour recruter des « combattants » à même de faire « le djihad » sur cette terre des Mourabitoune contre « les ennemis de Dieu et de l’Islam ». Mohamed Ould Chabarnoux a fait presque le même « parcours » : de délinquant réputé il passe à « djihadiste » redoutable. Celui de la perdition qui mène visiblement au djihad.

Un peu « jenk », un peu voyou, Ould Chabarnoux trouve le salut dans les sorties des du’aat (khourouj). Il vire vite vers l’action violente. Il a été entraîné et préparé aux actions terroristes dans le Sahara malien par l’ex-GSPC. Arrêté, il a fini par être libéré pour manque de preuve. « La police d’Etat tente de le recruter pour en faire un informateur. Il joue le jeu un moment. Mais à la faveur de la nouvelle atmosphère, il disparaît. De même que Maarouv Ould Haiba, connu lui aussi des milieux de la police (DSE) », affirme Ould Oumeïr, qui estime que « la défaillance de l’autorité judiciaire a quelque part atténué l’ardeur des policiers de la Sûreté d’Etat ».

Mission difficile – Un Mauritanien impliqué dans l’attentat de Bordj Bou Arréridj

Mesurant la menace, les services de sécurité, malgré le manque de moyens, arrivent à démanteler le mois dernier un réseau dont fait partie un certain Sidi Ould Habott, recherché pour son implication dans plusieurs actes terroristes. Les révélations de celui-ci font état d’un projet qui aurait été conçu par Maarouf Ould Haiba, alias Abou Qatada, qui a séjourné récemment dans les camps d’Al Qaïda au sud-ouest du Mali. C’est lui qui aurait regroupé le commando Sidi Ould Sidina alias Abou Jendal et Ould Chabarnoux. Ces deux derniers auraient déclaré à la police que « tuer les non-musulmans est un devoir ». Cela correspond bien à la logique de la nébuleuse Al Qaïda qui dit s’attaquer « aux apostats » et aux « ennemis de l’islam ». « Les premiers Mauritaniens du GSPC ont été recrutés pour mener la ’’guerre sainte’’ en Algérie. Mais par la suite, ils ont été renvoyés en Mauritanie pour donner à cette organisation une dimension maghrébine », relève Yahya Ould Al Bar, enseignant à l’université de Nouakchott et spécialiste des groupes salafistes. De retour en Mauritanie, ils ont tenté d’embrigader des jeunes des quartiers pauvres et des zones enclavées, ajoute le même professeur. Le recrutement passe désormais par le Mali où sont établis quelques Mauritaniens. « Le candidat est parrainé par un émir qui l’achemine vers Kidal puis au camp Khalil, où la personne adopte une nouvelle identité après avoir fait acte d’allégeance. Les nouvelles recrues passent soit par Tombouctou, soit par Bamako », affirme Ould Oumeir qui estime qu’il y a de plus en plus de Mauritaniens qui rejoignent les groupes terroristes en franchissant la frontière et rentrant comme ils veulent.

Dans le désert, l’armée mauritanienne dispose de très peu de moyens. Elle a quelques bases éloignées les unes des autres de centaines de kilomètres comme Chegatt, à l’extrême nord-est, Lemghayti à 300 km plus au sud et Al Ghallawiya, plus de 200 km plus bas. En dehors de cela, quelques « modules », jargon militaire désignant des groupes de reconnaissance, sont déployés de temps en temps. Mais ils restent peu efficaces face à cette immensité désertique qui avale ceux qui ne savent pas en déchiffrer les indications géographiques. Le nombre de « djihadistes » mauritaniens reste indéterminé. Mais certains spécialistes estiment qu’ils se comptent par centaines. « Il ne se passe plus d’attaque terroriste sans que le nom d’un ou plusieurs Mauritaniens ne soit cité », affirme Ould Oumeïr. L’attaque en janvier dernier contre des touristes italiens au nord du Mali avait été perpétrée par un groupe composé, entre autres, de huit Mauritaniens, dont Ahmed Ould Mohamed Yehdhih Ould Radhi alias Abou Mouadh, un terroriste activement recherché en Algérie pour avoir participé en juin dernier à une embuscade contre un convoi militaire à Bouira. Un autre Mauritanien a été condamné dans les attaques en Tunisie. Profitant notamment de la pauvreté dans laquelle patauge la majeure partie des jeunes Mauritaniens, la branche locale d’AQMI multiplie les recrutements pour les besoins notamment des groupes activant en Algérie qui se trouvent isolés et en manque de d’effectifs.

Par M. A. O., pour El Watan

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