Allah n’est pas obligé


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Allah n'est pas obligé
Allah n'est pas obligé

Ahmadou Kourouma nous livre une fable guerrière aux pays des guerres tribales. Errance d’un Oliver Twist à travers les républiques bananières devenues folles. La kalachnikov et la drogue en plus.

Il s’appelle Birahima. Il est né en Guinée, un  » foutu pays  » comme toutes ces nations  » foutues  » et  » corrompues « , comme  » la Côte d’Ivoire, en Guinée et dans d’autres républiques bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là bas etc « . Comme des centaines de gosses éperonnés par la misère, il a rejoint les rangs d’enfant soldat au Liberia et en Sierra-Leone en proie aux déchirements des guerres tribales. Muni du dictionnaire Larousse, du Petit Robert (pour être compris  » des nègres noirs africains indigènes »), de l’Inventaire des particularités lexicales  » du français d’Afrique  » (à l’attention des  » toubabs « , blancs  » colons colonialistes « ), du Harrap’s (pour les pidgin -anglophones), Birahima nous rencontre l’enfer de son errance, parmi les différentes factions auxquelles il a appartenu. En empruntant le regard du small-soldier, pour ce livre  » Allah n’est pas obligé « , l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, livre un regard lucide sur les mécanismes qui amènent l’Afrique à jeter ses enfants dans le malstrom sanglant des guerres civiles.

La vérité sur les chefs de guerre

Pas de pleurnicherie, ni de bons sentiments dans ce récit où la drôlerie tutoie l’atrocité comme une bonne vieille copine. Birahima n’est pas un ange. Birahima a  » tué beaucoup de gens avec kalachnikov « . Birahima laisse les dames jouer avec son bangala. Birahima s’est  » bien camé avec kanif et autres drogues dures « . Birahima est  » insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard ». Dans une verve détonante comme une rafale de mitraillette, il ponctue ses phrases de jurons malinkés : faforo (sexe de mon père), gnamakodé (bâtard, bâtardise), Walahé (au nom d’Allah).

Birahima a vieilli trop vite. Il est devenu lucide au contact des différents chefs de guerre. Que ce soit le Colonel Papa le bon, lieutenant de Charles Taylor, Omika la loyaliste de l’ULIMO ou Prince Johnson, pas un de ces seigneurs de la guerre libériens qui n’échappe au prisme impitoyable de ce regard d’enfant. Tous plus pourris qu’un chef de cartel. Tous plus dérangés qu’un gourou sous LSD. Tous plus sanguinaires qu’une bande de lycaons. Lucides encore, ces  » small soldiers  » qui les abandonnent sans vergogne dès que le vent tourne. Tous savent qu’ils ne sont que les pions d’un jeu cruel où les rivalités régionales cachent les intérêts bien compris des grandes puissances. Et c’est cette misère morale que pointe l’écrivain au-delà de la litanie usée du fracas des armes et des chairs broyées. Cette misère de la misère nous interroge sur l’avenir d’un continent aux mains d’une génération sacrifiée, nourrie à l’écuelle du désespoir, de la folie et de la force brute. Ganamakodé ! C’est injuste. Mais Allah n’est pas obligé de l’être.

Commander Allah n’est pas obligé, d’Ahmadou Kourouma, aux éditions du Seuil, Paris

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