Afrique : Pas de miracle économique pour les pays de la zone franc


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Les banques de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (CEMAC) ont enregistré un excédent de trésorerie de 4,5 milliards d’euros (3000 milliards de FCFA) à la mi-avril. Cet excédent de liquidité signifie t-il de meilleures perspectives économiques pour les six pays (Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad) qui forment l’institution régionale ? Sanou Mbaye, économiste sénégalais et ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD), nous livre son analyse.

Les banques de la Communauté économique et monétaire des Etats d’Afrique centrale (CEMAC) ont annoncé avoir fait un excédent de trésorerie de 4, 5 milliards d’euros à la fin avril. Mais pour Sanou Mbaye, économiste sénégalais et ancien fonctionnaire de la Banque Africaine de développement (BAD), « avoir des réserves qui augmentent, c’est bien beau. Mais quand on y regarde de plus près, ce qui semble être positif ne profite pas aux économies africaines ». Selon l’auteur de L’Afrique au secours de l’Afrique, qui réside à Londres, «les pays de la zone franc sont entrain de rater le coche du renouveau économique», à la différence de leurs pays voisins qui disposent de plus d’autonomie monétaire. Entretien.

Afrik.com : Les banques de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC) ont enregistré un excédent de trésorerie 4, 5 milliards d’euros (3 000 milliards de FCA). Qu’est ce que cela révèle des banques concernées ?

Sanou Mabaye :
Cet excédent prouve que les banques de ces pays ont une activité qui produit des excédents. Du fait de l’accroissement de la demande des pays émergents, l’activité bancaire des pays producteurs de pétrole comme le Gabon ou la Guinée a considérablement augmenté. Le pétrole, tout comme l’or sont devenus des valeurs refuges. La crise des marchés boursiers n’a fait qu’accentuer cette dynamique. Il faut savoir que l’Asie et l’Afrique sont les deux continents qui ont été épargnés par la crise financière et économique de 2008. Il y a eu recul de la croissance, mais pas de récession. Cette croissance a été portée par le coût des matières premières qui a augmenté les valeurs de réserve des banques centrales, et les investissements directs à l’étranger (IDE). Le taux de profit sur le continent est l’un des plus élevés au monde.

Afrik.com : C’est plutôt positif pour les économies de ces pays…

Sanou Mabye :
Avoir des réserves qui augmentent, c’est bien beau. Mais quand on regarde de plus près, ce qui semble être positif ne profite pas aux économies africaines. Ce n’est pas la première fois que la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC), tout comme la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), affichent de tels résultats. Les banques centrales dégagent des recettes, mais il n’existe pas de projet bancable. Les habitants de l’Afrique sub-saharienne n’ont pas accès aux crédits. A peine 10% ont un compte bancaire. Quant aux banques commerciales, elles favorisent l’accès aux crédits pour les biens de consommation (voitures etc), mais lorsqu’il s’agit d’investir dans les projets sur le long terme, comme l’éducation, la construction, il n’y a plus rien. Or aujourd’hui ce sont ces secteurs qui portent les pays émergents. Pour que ces excédents puissent vraiment servir aux Africains, il faut accéder au secteur informel, qui représente entre 80 et 90% des emplois en Afrique. Il faut une politique d’expansion du crédit.

Afrik.com : Donc d’après vous la politique monétaire de ces banques n’est pas axée sur la croissance économique?

Sanou Mbaye :
Absolument. Le problème est que les pays de la zone franc ne disposent pas d’une politique monétaire autonome. La moitié des réserves des banques centrales de la zone FCFA sont déposées au trésor français pour garantir la convertibilité purement symbolique entre les deux monnaies. Cela signifie tout simplement que la politique de taux de change et des taux d’intérêts est articulée par la France. Les banques commerciales, qui octroient des crédits à court ou moyen terme au mieux, est le fait de grandes banques étrangères comme la Société générale ou BNP, qui constituent 60% de l’activité en Afrique francophone. Elles disposent souvent de contrats d’exclusivité dans le transfert des devises. Par exemple, si un résident français veut transférer de l’argent au Sénégal, il ne pourra le faire que par le biais de quelques entreprises comme Western Union ou autre. Ce type de contrat empêche la concurrence de se développer et les coûts de transfert de baisser. En fait, il n’existe pas de banque d’investissement au sens propre en zone franc. C’est la raison pour laquelle je préconise une banque d’investissement de la diaspora qui investirait dans les domaines productifs comme l’agriculture, la technologie, la construction etc.

Afrik.com : Quel est l’impact de cette politique monétaire pour les pays de la zone franc?

Sanou Mbaye :
Alors que les pays d’Afrique Australe ou de l’Est progressent, les pays de la zone franc régressent. Je veux par là dire que le taux de croissance de cette zone se situe aux alentours de 2,5%, 3%, ce qui couvre tout juste le budget de fonctionnement de ces Etats. Ces dix dernières années, le taux de croissance moyen en Afrique sub-saharienne a été de 5 % à 7%. Il sera d’environ 5,5% en 2011 et 6% en 2012. En fait les pays de la zone du FCFA sont entrain de rater le coche du renouveau économique. L’Afrique de l’Ouest est la région où la Chine, le plus gros investisseur du continent, a le moins investi. En l’absence des IDE chinois ou indiens, l’Afrique du Sud est l’un des plus gros investisseurs d’Afrique, et des multinationales comme Google ou même Walmart investissent déjà dans ce pays. Mais aucun des pays de la zone franc n’est à la pointe. D’après nos pronostics, d’ici 2049, le PIB du Nigeria, d’une population de 189 millions d’habitants, sera supérieur à celui du Canada ou de la Corée du Sud, si les conditions politiques et économiques demeurent sensiblement les mêmes.

Afrik.com : Comment expliquer une telle différence de croissance entre les différentes régions monétaires du continent ?

Sanou Mbaye :
Parce que des pays comme l’Afrique du Sud ont une politique monétaire autonome. Il faut revenir sur le régime de convertibilité de la zone du FCFA. Alors que l’on se situe actuellement dans une guerre de la monnaie, tous les pays cherchant les taux de change les plus bas, le FCFA a l’un des taux de change les plus élevé. Nous évoluons dans un monde où les monnaies sont à parité fluctuante, mais le FCFA est à parité fixe avec la monnaie française, l’Euro, qui est actuellement très élevé. Cet état de fait pénalise les économies des pays concernés. Il est inadmissible que le franc CFA de la CEMAC ne soit pas convertible avec celui de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), alors que les deux franc CFA sont convertibles avec l’Euro. La zone franc doit faire des réformes fondamentales pour obtenir la totalité de son autonomie financière. Il ne suffit pas d’avoir des institutions communes, mais aussi une réelle politique monétaire commune.

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