Africa paradis : l’Afrique de demain ?


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Sylvestre Amoussou

L’Afrique, terre d’accueil d’immigrés européens : fiction ou réalité ? Pour l’heure c’est une fiction intitulée Africa paradis que l’on doit au réalisateur béninois Sylvestre Amoussou. Le film est sorti ce mercredi en France. Il confie à Afrik les obstacles qu’il a dû surmonter pour faire de son utopie cinématographique une œuvre bien réelle qui fait écho aux interrogations de la société française.

L’Afrique est devenue une terre prospère où se bousculent de nombreux immigrés européens à la recherche de lendemains meilleurs. C’est le cas du couple que forme Olivier et Pauline. Refoulés par les services de l’immigration des Etats-Unis d’Afrique, les Français ont rejoint le continent clandestinement. Ce sont les aventures de ces immigrés européens d’un autre temps que nous propose avec humour et dérision Africa paradis, le film de Sylvestre Amoussou, sorti ce mercredi dans les salles françaises. Sylvestre Amoussou est né au Bénin en 1964 et s’installe en France en 1981. Sa carrière artistique démarre véritablement en 1995. Il a déjà réalisé 6 courts-métrages dont la version courte d’Africa paradis. Dans sa dernière fiction, il dénonce l’immigration clandestine et les préjugés dont sont victimes les immigrés africains en les susbstituant à des Européens. Après la littérature avec les Etats-Unis d’Afrique, c’est au tour du cinéma de proposer à voir ce continent prospère dont rêve tous les Africains.

Afrik.com : Africa paradis nous renvoie l’image d’un continent prospère qui n’est plus en mesure « d’accueillir toute la misère du monde ». C’est bien de la fiction quand on connaît l’état de l’Afrique. Comment travaille-t-on sur un scénario aussi inattendu et qui vient à point nommé dans une France qui s’interroge sur la place qu’elle doit faire aux Noirs ?

Sylvestre Amoussou : Il y a 10 ans que ce projet me taraude. J’avais déjà remarqué qu’à chaque élection présidentielle, les étrangers devenaient les boucs émissaires des politiques. On essaie de les diaboliser en affirmant que c’est eux qui foutent le bordel alors qu’ils contribuent aussi à l’économie nationale. Toutes les personnes à qui j’ai proposé le sujet l’ont trouvé utopique, irréaliste et ont refusé de le soutenir. J’ai néanmoins persisté en réalisant un court-métrage pour donner un aperçu du film que je voulais faire afin d’obtenir d’autres financements. Cette version courte d’Africa paradis a été présentée à de nombreux festivals : Carthage (Tunisie), Fespaco (Burkina Faso), Vue d’Afrique (Canada). Les démarches ont été compliquées et ces sont des membres de la diaspora, qui n’ont rien à voir avec le cinéma, qui nous ont permis de commencer le film. Puis Sandrine Bulteau, qui incarne dans le film une militante pour l’égalité des droits entre Africains et Européens, a monté une nouvelle boîte de production pour nous permettre de continuer. Les difficultés n’ont pas cessé pour autant. Mais aujourd’hui, le film existe et toute la presse en parle.

Afrik.com : Cette Afrique que vous montrez est une utopie…

Sylvestre Amoussou : Ce n’est pas si utopique que cela dans la mesure où l’Afrique regorge de richesses. Le potentiel est là, mais nos dirigeants sont irresponsables. Certains politiciens français affirment que la France n’a pas besoin des pays africains. Mais d’où viennent toutes leurs matières premières ? Toutes ces importations génèrent de l’emploi sur le territoire français, ce qui aurait pu se faire en Afrique si l’on transformait nos ressources brutes. Le président Jacques Chirac l’a encore dit au dernier sommet France-Afrique, l’Afrique a été spoliée. C’est la fiction qui rejoint la réalité. Aujourd’hui, tout le monde court derrière l’Afrique, les Chinois en premier lieu. A travers Africa paradis, je fais passer deux messages fondamentaux. Le film invite, d’une part, les Européens à ne pas diaboliser les étrangers et, d’autre part, veut inciter les dirigeants africains à prendre leurs responsabilités face au destin des fils du continent qui sont chaque jour humiliés. Les Africains doivent arrêter de se regarder le nombril et construire leur avenir parce qu’ils se doivent d’être généreux avec leurs enfants. En évoquant ces Etats-Unis d’Afrique, j’ai voulu montrer également une Afrique ouverte sur le monde. Tout en appelant les Européens à plus de tolérance, je souhaitais aussi dépeindre la générosité de ce continent. Africa paradis est ma manière de retranscrire l’Afrique telle que je la perçois et de susciter de la fierté parmi mes compatriotes. Car l’autre problème des Africains, c’est qui’ils sont devenus fatalistes à force de s’entendre dire qu’ils étaient des incapables. Ce film est un moyen de leur rendre leur fierté parce que les Africains doivent désormais prendre leur destin en main.

Afrik.com : Africa paradis est un film totalement indépendant qui n’est projeté , pour l’instant, à Paris qu’à l’Espace St-Michel. Distribuer ce film ne semble pas être aisé…

Sylvestre Amoussou : Les distributeurs n’attendent pas ce genre de films d’un Africain, ils s’attendent plutôt à ce qu’il soit question de misère comme souvent. Pour la plupart, ils ont été choqués par le sujet et ils ne sauraient pas comment communiquer sur ce genre de film. Pourtant la question de l’immigration est un problème planétaire qui touche tous les hommes. C’est en cela qu’Africa paradis s’adresse à tous et c’est pour cela que je suis content de l’accueil positif qui lui est déjà réservé. J’ai participé à une émission sur France Inter à la suite de laquelle nous avons reçu de nombreux appels de proviseurs qui sont intéressés par le film. Ils souhaitent le diffuser parce que le sujet leur semble pédagogique.

Afrik.com : Africa paradis figure dans la sélection officielle du Fespaco qui se déroule actuellement au Burkina Faso. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

Sylvestre Amoussou : C’est une grande première pour moi et je suis très fier de représenter mon pays d’origine, le Bénin, à ce festival du cinéma africain.

Afrik.com : Une partie de votre film a été financée par la disapora africaine. Serait-il temps que le financement des films passe de la responsabilité des Etats à celui des privés ?

Sylvestre Amoussou : Certainement pas, même si les relais privés ont importants, car les Etats africains doivent comprendre que l’on vit dans un monde d’images. Si l’on réussissait à produire entre 5 et 10 films par an, ce serait déjà un bon début. Tout cet argent dont certains dirigeants africains se remplissent les poches pourrait être utilisé pour mettre en place une logistique de soutien à la production cinématographique, comme la mise à disposition de caméras. Il nous appartiendra ensuite de trouver des financements privés pour faire le film.

Afrik.com : Vous êtes comédien. Comment êtes-vous arrivé
à la réalisation ?

Sylvestre Amoussou : Je suis économiste de formation. Après ma licence en AES (
Administration économique et sociale, ndlr), je n’ai pas trouvé d’emploi. Je me suis alors intéressé à la société dans laquelle je vivais et j’ai commencé à prendre des cours de théâtre. Je suis actuellement en tournée dans une pièce où je joue avec Michel Galabru, même si Africa paradis m’oblige, pour l’heure, à me faire remplacer. Au théâtre et au cinéma, j’ai pu constater que les acteurs noirs sont traités comme ils le sont dans l’ensemble de la société française. Je suis donc passé à la réalisation pour raconter des histoires qui me tiennent à cœur. Sur les tournages, j’observais beaucoup et j’ai demandé à des amis de m’autoriser à assister aux leurs pour faire mon apprentissage.

Afrik.com : Le casting d’Africa paradis est très panafricain. C’est un parti pris ?

Sylvestre Amoussou : C’est effectivement une volonté. Les acteurs sont Camerounais, Sénégalais, Haïtien, Martiniquais… et ils ont du talent. On ne pourra plus dire que les acteurs noirs ne savent pas jouer. C’est aussi une façon de transcender les clivages qui sont parfois faits entre les Noirs de France, par exemple, entre Antillais et Africains. Le message d’Africa paradis est un message d’amour de tolérance et de fraternité et tous les acteurs, blancs ou noirs, se sont dépassés pour le porter.

Afrik.com : Si vous aviez encore un message à faire passer, ce serait lequel ?

Sylvestre Amoussou : L’un des arguments avancés par les distributeurs pour ne pas proposer Africa paradis est qu’il n’a pas de public. A nous de leur démontrer ce mercredi et les prochains jours – le et les premiers jours d’exploitation sont décisifs pour un film – qu’ils ont eu tort. Pour Indigènes, les gens se sont mobilisés et on a vu le résultat. Il doit en être de même pour Africa paradis car il est primordial de démontrer, surtout en cette période, que l’on peut compter politiquement et économiquement.

Africa Paradis

Un film de Sylvestre Amoussou

Avec Charlotte Vermeil, Stéphane Roux, Sylvestre Amoussou, Sandrine Bulteau, Eriq Ebouaney, Cheik Doukouré, Émile Abossolo Mbo, Nathalie Chaban

Durée : 1h26mn

A l’Espace Saint-Michel – 7, place Saint-Michel – 75005 – Paris – Metro Saint-Michel.

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