Affaire Kieffer : se battre pour la vérité


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Cela fait 117 jours que le journaliste Guy-André Kieffer a disparu en Côte d’Ivoire. Et depuis, pas de nouvelles. Entre Paris et Abidjan, l’enquête avance, audition après audition. Lentement. C’est un long combat pour la vérité que mènent conjointement Osange Silou-Kieffer, la femme du journaliste franco-canadien disparu, et deux associations de soutien.

Paris, place du Châtelet. Osange Silou-Kieffer porte une tasse de café brûlant à ses lèvres, la repose, puis sourit. « Je bois beaucoup de café, c’est ce qui me fait tenir », confie-t-elle doucement. Depuis le 16 avril dernier, la journaliste guadeloupéenne ne respire plus. « A l’heure actuelle, je suis dans l’incapacité de dire si Guy-André est vivant et retenu quelque part, ou s’il a été assassiné et enterré profondément dans un sous-sol en espérant qu’on ne le retrouvera jamais. Je suis tous les jours balancée entre ces deux idées. Et j’avoue que je n’arrive pas à donner la priorité à l’une ou à l’autre. » Le journaliste indépendant franco-canadien aurait été vu pour la dernière fois dans un centre commercial de la capitale ivoirienne Abidjan, où il était installé depuis 2002. Il collaborait à La Lettre du Continent et à plusieurs journaux ivoiriens. Connu pour être spécialiste des matières premières, il travaillait sur un dossier de financement de la filière cacao et le transfert « d’usages » dans ce domaine. Sûrement ce qui a dérangé quelques Ivoiriens trop concernés.

Patrick Ramaël. C’est le juge français qui a en charge le « dossier Kieffer ». Aux dernières nouvelles, quatre personnes citées comme étant impliquées dans l’affaire ne se sont pas rendues aux convocations du juge : le ministre de l’Economie et des Finances, Paul Antoine Bohoun Bouabré, son directeur de cabinet, Aubert Zohoré, le directeur de la Banque nationale d’investissements (BNI), Victor Nambelessini Silué, et l’ancien ministre de l’Intérieur Kadet Bertin. « On se demande bien pourquoi », commente d’un air inquisiteur Osange Silou-Kieffer. « Si ces gens refusent de participer à la recherche de la vérité, c’est qu’ils n’ont pas du tout intérêt à ce qu’on sache ce qui s’est passé. De là à penser qu’ils ont quelque chose à voir dans cette affaire, il n’y a pas loin. » Osange Silou a bien sûr sa petite idée sur l’affaire. En attendant de prouver quoique ce soit, elle se bat.

Combat global

Journaliste, épouse de Guy-André et mère de son dernier enfant, Osange est « tout cela ». Quand on lui demande comment elle mène ces différentes « batailles », elle répond que « c’est un combat qui se mène de manière globale. Je le mène en tant qu’épouse, c’est sûr. Pour ma fille Cannelle aussi. Pour le fils de Guy-André, pour ses parents qui, un peu âgés, espèrent que j’accomplisse ce qu’ils ne se sentent plus capables de faire. » Faire la lumière sur une affaire plus qu’obscure. Osange s’est donc rendue en Côte d’Ivoire en mai dernier, pour y voir plus clair, accompagnée de Robert Ménard (secrétaire général de Reporters sans frontières, RSF) et de l’un des frères de Guy-André. Le Président Laurent Gbagbo a limité l’entrevue avec la stricte famille du journaliste disparu dans son pays. « Je n’ai pas insisté pour être accompagnée des ambassadeurs français et canadien et de RSF, car je ne voulais pas que Laurent Gbagbo annule le rendez-vous », explique-t-elle. Osange a obtenu ce jour-là la promesse du Président ivoirien de faire tout son possible pour retrouver Guy-André. Plus de cent jours plus tard, elle attend encore qu’il honore ses engagements.

Ce n’est pas le premier bras de fer dans lequel s’engage Osange, même si celui-ci la touche de près. « En tant que journaliste, cela fait des années que je m’élève contre l’arrestation, l’emprisonnement ou l’assassinat de confrères. Ce n’est pas un combat que j’ai découvert avec la disparition de mon époux. Je suis une militante depuis que j’ai dix ans. J’estime qu’aucun homme n’a le droit de porter la main sur un de ses semblables simplement parce qu’il n’est pas d’accord », affirme la journaliste engagée. Opinion que partagent deux associations qui se sont créées spontanément en France après la disparition de Guy-André : le collectif « Vérité pour Guy-André Kieffer » et le « Comité de soutien d’Outre-mer ».

Pétition en ligne

Ils sont journalistes, anciens collègues, amis, famille de Guy-André… Aline Richard, présidente de l’association « Vérité pour Guy-André Kieffer », explique pourquoi la naissance de ce collectif était inévitable : « J’ai jugé utile de créer un tel rassemblement en tant qu’amie de Guy-André. Beaucoup d’entre nous l’ont côtoyé pendant une dizaine d’années au quotidien économique français La Tribune où il travaillait. C’est vrai que l’on s’était un peu perdu de vue, mais, très vite après sa disparition, on a cherché à savoir ce qui c’était passé. On a appelé les autorités françaises pour récolter des informations. C’est révoltant de voir qu’elles ont tout fait pour que l’affaire tombe aux oubliettes. C’est contre cela que l’on se bat. Il ne faut pas oublier. » L’association regroupe une soixantaine de personnes, pour la plupart journalistes. « On a peu de temps chacun, mais on fait ce que l’on peut à notre niveau. Nous appuyons RSF dans ses actions, par exemple. Nous entretenons un réseau d’information pour tous les journalistes par le biais de notre site internet », explique-t-elle. Un site sur lequel le visiteur peut télécharger et signer la pétition « Vérité pour Guy-André Kieffer ».

Quelques projets pour la rentrée : le collectif veut rencontrer les hommes politiques concernés, envoyer des lettres de mobilisation. En clair, maintenir une certaine pression sur les gouvernements. « Pourquoi ne pas créer un prix Guy-André Kieffer qui récompenserait les meilleures enquêtes journalistiques ? », s’interroge Aline Richard. Osange Silou-Kieffer et les associations travaillent main dans la main, entre sensibilisation de l’opinion et action sur le terrain. Et Osange Silou d’ajouter : « Le juge Ramaël va demander une troisième commission rogatoire pour se rendre à la rentrée en Côte d’Ivoire. Je suis consciente qu’il faut appuyer ce travail par une pression médiatique ».

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